Annie Fiore, journaliste française, s’est rendue au Caire du 28 mars au 9 avril, dans le cadre d’une action de solidarité et de soutien avec les Palestiniens de Gaza réfugiés dans la capitale égyptienne. Un séjour très court et limité, au regard des besoins énormes de la population. Pour les citoyens européens, aller à Al Arish nécessite des autorisations de leur gouvernement mais aussi du gouvernement égyptien. En effet, il faut traverser le Sinaï que les autorités égyptiennes classent en zone noire ou zone de guerre. De retour de ce voyage éprouvant, elle a accepté de nous livrer ses impressions.
Le Chélif : Pouvez-vous présenter à nos lecteurs et expliquer dans quel cadre vous vous êtes rendue au Caire pour y rencontrer des blessés et malades palestiniens ?
Annie Fiore : Je suis journaliste indépendante. J’ai couvert la première Intifada en 1987. J’ai travaillé pour différents journaux et magazines, comme l’Humanité Dimanche, le Monde Diplomatique, Jeune Afrique Eco, magazine qui n’existe plus aujourd’hui. Je suis maintenant animatrice d’un micro collectif, « Marseille Gaza Palestine » dont l’un des objectifs est le jumelage Marseille avec Gaza, mais au vu de la situation actuelle, nous avons décidé de mener des actions de soutien et de coopération au bénéfice des Palestiniens de Gaza. Nous avons organisé avec « Palestine en Résistance », « Palestine 13 », « l’Union Juive Française pour la Paix » mais aussi avec des associations médicales franco-palestiniennes, une collecte, avec nos amis et nos soutiens, qui a réuni 6500 euros. Le problème, ce sont les difficultés pour faire passer l’argent vers Gaza. En effet, les banques françaises bloquent les comptes et font tout pour empêcher l’envoi d’argent vers Gaza. Parfois même, ces banques refusent d’ouvrir des comptes à des associations de solidarité avec Gaza. Nous avons choisi de répondre à un appel lancé par des amis palestiniens afin d’apporter un soutien financier et psychologique aux personnes blessées ou malades, réfugiées en Egypte, à nos frais, je tiens à le préciser. Nous avons payé nos billets nous-mêmes et nous n’avons pas pris un centime sur l’argent de la collecte. Cette somme a été totalement dédiée aux Palestiniens réfugiés. Sur place nous avons reçu le soutien d’amis Egyptiens et Palestiniens francophones ou pas.
Comment se passe le transfert des familles vers le Caire ?
Comment les autorités égyptiennes organisent l’évacuation et la prise en charge des blessés, ça je ne saurais pas le dire. Je ne connais pas les conditions de transfert vers l’Egypte. Certaines personnes valides ont pu sortir avec des sommes énormes par le biais d’une agence de tourisme égyptienne. La rumeur dit que cette agence appartient à la famille du président mais je n’ai pas pu vérifier cela. Les personnes ont été amenées au Caire en payant des sommes astronomiques : au début 10 000 dollars par adulte et 5 000 par enfant. Les Palestiniens se sont ruinés pour faire sortir certains d’entre eux. Puis, à mesure que les moyens se restreignaient, les sommes ont baissé de 5 000 dollars par adulte et 2 500 par enfant. On peut imaginer les dilemmes qui se sont posés aux parents au vu du grand nombre d’enfants par famille. Elles se sont cotisées pour essayer de sauver certains d’entre eux au prix de grands déchirements. Il y a eu des évacuations de blessés ou de malades qui se sont toujours faites mais se sont considérablement accentuées depuis le 8 octobre 2023.
Comment les choix se font, je n’en sais rien. Il y a des listes sans doute en fonction de la gravité des blessures et de la possibilité de transfert. Parfois, il n’est pas possible d’évacuer des blessés malheureusement. Selon la gravité des blessures, les gens ne sont pas transférables sauf pour aller mourir ailleurs. Beaucoup de familles souhaitent évacuer leurs blessés mais ce n’est pas toujours possible. Certains sont transférés à l’hôpital d’El Harrich, vers Port Said, Ismaïlia ou vers le Caire. Nous avons pu voir au Caire la situation. Je veux d’abord affirmer une chose. Il n’est pas question d’attaquer les autorités égyptiennes qui accueillent des centaines et des centaines de blessés et de malades. L’Egypte le fait, contrairement à la France qui n’a accueilli, à ma connaissance, que 24 enfants blessés. C’est bien peu pour un pays comme le nôtre. Quand on connait la situation économique de l’Egypte et la situation des hôpitaux ainsi que le niveau de santé, il serait maladroit de porter un jugement. On est mal placés en tant que Français pour critiquer l’Egypte. Cependant nous avons eu connaissance de quelques critiques sur la qualité des soins, dans certains cas, surtout les post-soins, le suivi des malades, qui sont parfois « parqués » dans des lieux sous contrôle. Il est extrêmement difficile d’y accéder pour rencontrer ces familles, d’après les témoignages recueillis auprès des Palestiniens sur place. Nous avons fait le choix avec nos correspondants sur place d’organiser pour des familles un après-midi dans un parc en plein air. Un moment de détente surtout pour les enfants. Cela nous a permis d’entendre leur voix, d’écouter leurs témoignages mais aussi de leur exprimer notre solidarité.
Cette action nous a coûté 300 euros pour cinquante personnes dont une vingtaine d’enfants. Certains d’entre eux sont très gravement blessés comme cette petite fille donnée pour morte, crâne ouvert, cerveau apparent, avec des éclats d’obus dans les intestins. Au moment de l’enterrer, on s’est rendu compte qu’elle avait bougé et on a compris qu’elle était vivante. Mais aussi ce jeune garçon avec les deux bras amputés, blessé au phosphore, des blessures insoutenables. Certains ont des maladies, il y a quelques cas de maladies génétiques, par exemple un bébé de cinq mois qui doit être opéré. Et il est toujours en attente. Tous les gens que l’on a vus ont encore une partie de leur famille à Gaza. Pour eux, c’est une double peine. À leur situation comme blessés ou malades s’ajoute leur inquiétude pour leurs proches encore sous les bombes israéliennes. D’ailleurs, ces réfugiés, quand il y a une télévision quelque part, se branchent sur El Jazeera en arabe et la laissent allumée en permanence pour suivre la situation. Tous les matins, ils appellent pour tenter d’avoir des nouvelles de leurs proches. C’est un double drame que vivent ces familles.
Comment se passe la prise en charge des familles réfugiées sur place?
Celles qui sont venues dans le cadre de l’évacuation sont logées par exemple dans une maison de retraite, ou dans des immeubles désaffectés où il n’y a rien. Elle se déplacent en bus le matin pour aller au marché. Il n’y a pas d’aide financière à notre connaissance sauf parfois de la part d’associations de solidarité qui viennent apporter un soutien financier, ce qui permet aux gens de se nourrir ou d’acheter des médicaments comme nous l’avons fait d’ailleurs. Par exemple, il y a cette femme qui souffre de plusieurs formes de cancer, dont un cancer de la thyroïde. Elle a été opérée, mais devait être évacuée vers un autre pays, car elle doit avoir un traitement à l’iode radioactif. Or, ce traitement n’est pas disponible en Egypte, et elle ne sait toujours pas si elle pourra être évacuée dans un pays qui dispose de cette technologie. Elle est sans aucune ressource, a laissé ses enfants et son mari à Gaza. Sa maison a été détruite, elle ne peut pas demander d’aide, elle paye un loyer de 250 dollars par mois qu’elle partage avec une autre femme palestinienne, elle a besoin de médicaments mais elle n’a pas d’argent pour les payer. L’aide que nous avons apportée lui permettra de payer son loyer pendant deux ou trois mois. Nous ne disposons pas de chiffres officiels des malades et blessés évacués. Il y aurait 150 à 400 personnes selon des sources palestiniennes non officielles.
Comment les Palestiniens que vous avez rencontrés vivent la situation ?
Les Palestiniens sont reconnaissants et surpris de voir qu’il y a encore des gens qui pensent à eux quelque part. Ils n’attendent pas grand-chose. Ils sont très déçus et se sentent abandonnés de tous. Ils en veulent beaucoup à l’Autorité palestinienne qui ne fait rien. Ils attendent que Rafah soit ouvert pour retourner à Gaza. Parfois, ils regrettent d’avoir quitté Gaza. Tant qu’à faire, s’il faut mourir autant le faire au milieu des siens, être enterré avec les siens. Ils veulent mourir chez eux en terre de Palestine.
Quelle est la réaction du milieu médical français face à cette situation ?
Il faut dire qu’il y a peu, une mission à Amman avec validation et coordination avec le COGAT, organisme qui gère les transferts, a été interdite au dernier moment. Les médecins qui se trouvaient dans cette délégation sont en train de rentrer en France. La réaction du monde médical en France est à l’image du reste de la France, c’est-à-dire quasi inexistante. C’est d’ailleurs très effrayant pour une profession en charge du soin et du vivant. Il n’y a pas de grand mouvement des médecins en France. Cette passivité ne se différencie pas du reste de la société française. Le milieu médical français est silencieux alors que le système médical à Gaza a été détruit et que les hôpitaux ont été ciblés par l’armée israélienne. Il n’y a plus de soins à Gaza, plus de médicaments. Les opérations se font à vif. Pire que cela, certains médecins français sont attaqués et accusés de faire l’apologie du terrorisme lorsqu’ils publient des éléments sur leur page personnelle pour parler de Gaza. L’Ordre des Médecins est régulièrement saisi par ce genre de plaintes qui visent à faire taire d’éventuelles voix dénonçant le génocide. Le mouvement des médecins grévistes de la faim en cours actuellement est bien isolé. Ce silence est très inquiétant. C’est d’autant plus incompréhensible que c’est une profession qui est censée prendre soin du vivant. Quand on pense au docteur Oussama Abu Safya qui a été enlevé, gardé au secret et considéré comme combattant illégal par les autorités israéliennes, battu, torturé et mis à l’isolement et encore aujourd’hui maintenu en détention sans qu’on puisse avoir de nouvelles, c’est effrayant. On se demande comment il est possible que le monde médical reste silencieux, sachant que plus de 200 soignants ont été tués par l’armée israélienne. Le silence qui entoure le génocide à Gaza est le même que le silence de nos parents et grands-parents au moment du génocide des Juifs et des Tsiganes dans les années 40. Même silence de la France pour le génocide au Rwanda en 1994. Ce silence et cette complicité sont les mêmes. C’est un terrible constat des dérives de nos sociétés. Comme les Palestiniens sont très croyants, ils n’attendent de l’aide que de Dieu. Ils souhaitent rentrer à Gaza, ils souhaitent mourir avec leurs familles. Peut-être que leur situation est pire que celle des Gazaouis restés sur place. Mourir avec leurs proches est aujourd’hui la seule attente.
Propos recueillis par Keltoum Staali
One thought on “Annie Fiore, journaliste française, à propos des blessés Palestiniens évacués en Egypte : « Ils veulent mourir chez eux en terre de Palestine »”
C est un désastre pour ls palestiniens, c est un désastre qu notre communauté française soit aussi indifférente .