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Animation économique et culturelle à Chlef : à défaut d’initiatives, le déclin social…

Quand bien même serait-elle dépositaire d’un patrimoine matériel et immatériel des plus importants à l’échelle nationale, la wilaya de Chlef manque terriblement d’initiatives pour le mettre en valeur. Il n’y a pas si longtemps, on y organisait la fête annuelle de l’orange, un produit du terroir, et un festival de la marionnette, deux activités disparues aujourd’hui qu’il serait vain de vouloir ressusciter tant la médiocrité est prégnante dans les milieux dits « culturels ».

Les Asnamis se souviendront longtemps des journées de liesse que suscitaient les deux grands événements socioéconomique et culturel, la fête de l’orange et le festival national de la marionnette. Des moments inoubliables qui donnaient à la population locale l’occasion d’étaler son savoir-faire et surtout sa joie de vivre. Ces deux faits marquants se tenaient souvent en concomitance avec d’autres rencontres culturelles et sportives lesquelles, d’ailleurs, s’étalaient tout au long de l’année. Malgré la modestie des structures culturelles et la dérision des moyens matériels, les animateurs locaux de la culture et des activités sportives et de jeunesse faisaient de leur mieux pour la programmation réussie des événements qu’ils organisaient, tantôt pour fêter une date historique, tantôt pour marquer la pleine saison de récolte des oranges, un fruit qui tend aujourd’hui à disparaitre de la vallée du Chélif ; on a en effet osé remplacer des vergers agrumicoles par des bâtiments qui auraient dû être érigés en toute logique sur les terres moins généreuses au sud de la ville.

Voici le témoignage de Slimane Abdoun Charef, qui nous parle de la ville de sa jeunesse : «Chlef, anciennement El Asnam, est une ville importante. C’est l’un des plus anciens départements d’Algérie. La ville occupe une position stratégique, c’est un important carrefour de communication nord sud et est ouest. Elle recèle un potentiel important de ressources humaines, économiques, culturelles et sportives. Elle a eu l’occasion de le démontrer avec les résultats obtenus dans ces différentes activités. Il est temps que les responsables locaux saisissent le taureau par les cornes et redonnent à la ville son lustre d’antan. Il faut l’organisation d’un événement important pour faire sortir la ville de sa léthargie. La fête de l’orange doit être réhabilitée avec un contenu riche couvrant tous les domaines cités précédemment. Il y a quatre décennies de cela, on a eu droit à un riche programme culturel et sportif. Les chanteurs français Nancy Holloway et Claude Nougaro se sont produits à El Asnam. L’équipe nationale de la police, en football, le cyclisme entre autres. Défilé de chars fleuris et vente promotionnelle des oranges. C’était une véritable kermesse».

Des événements « furtifs »

Mais depuis des lustres, que ce soit à Chlef ou dans toutes ses communes, à l’exception du mystérieux festival de musique andalouse de Ténès, qui ne donne lieu à aucune publicité ou promotion à travers les médias, ou du cross international Ahmed Klouch qui ne tient que par la grâce d’une poignée de fidèles, dont le propre frère du chahid, qui nous a quittés il y a deux ans, et Mohamed Hamouni, expert en sports, la population n’est conviée nulle part.

Certes, depuis quatre ans, elle est appelée à faire ses emplettes au salon national du miel et des produits de la ruche. La manifestation tient la route mais elle n’est malheureusement pas accompagnée de festivités en parallèle à même de dérider une population fortement introvertie…

Et depuis maintenant trois ans, à un salon national du livre dont la troisième édition s’est tenue du 1er au 4 mai dernier. Baptisé « Salon du livre Hassiba Benbouali », cet événement est l’unique du genre à se tenir dans tout l’ouest algérien, ce qui n’est pas peu. De toute l’Algérie et même de l’étranger, des écrivains et des auteurs de réputation internationale y ont pris part. Les nombreuses maisons d’édition, les jeunes auteurs, les néophytes en littérature et les étudiants de l’université de Chlef ont animé ce salon durant 4 jours pleins, riches en rencontres et en échanges fructueux.

Malgré le « boycott » des correspondants de la presse locale, à l’exception des journalistes d’El Watan et du Quotidien d’Oran, des opérateurs locaux et des « bouarifs » qui emplissent les cafés du centre-ville, le salon s’est tenu en dépit des blocages manifestes de certains responsables censés soutenir la culture et les arts… et de la campagne de dénigrement initiée par des opportunistes bouffant à tous les râteliers.

Promouvoir les produits du terroir et les territoires

Cet état des lieux fait le jeu des élus désintéressés, incultes ou voraces, c’est selon, qui président aux destinées des 35 collectivités locales, ou aux animateurs des courants obscurantistes qui rêvent d’une Algérie désertique, sans repères culturels ni histoire passée ou future. Même de prétendus « opérateurs » économiques s’opposent à ce genre d’initiatives, considérant qu’elles ouvriraient les yeux à de potentiels et dangereux concurrents. Comme quoi, « le gâteau se partage entre les membres de la famille ».

Et pourtant, les opportunités ne manquent d’organiser dans chaque commune un événement culturel ou économique annuel mettant en exergue son potentiel économique et naturel ou son patrimoine, son savoir-faire et ses traditions. Outre de permettre aux populations des villes et villages de rompre avec leur routine, ces événements sont à même de provoquer un déclic salutaire afin que ces collectivités se prennent réellement en charge sur tous les plans car, pour pouvoir vivre autrement, elles ne doivent plus compter sur le budget de l’État. Chaque commune pourrait créer son propre événement qui fera la part belle à un produit de son terroir, à un savoir-faire ancestral, à un événement historique d’importance majeure s’étant déroulé sur son territoire… Les idées ne manquent pas en ce sens où le potentiel des communes reste encore à découvrir.

Les idées de foires, salons et expositions ne manquent pas. C’est la volonté qui fait défaut.

Nous avons soumis l’idée, qui n’a pas plu, d’un salon du raisin du Dahra qui pourrait être pris en charge par la commune de Sidi Abderrahmane, sinon celle d’El Marsa, deux régions où les terroirs donne d’excellents fruits. Autrefois, quelques petits colons exploitaient les minces bandes agricoles du littoral pour produire des vins très appréciés en Europe. Aujourd’hui, si la production viti-vinicole n’intéresse plus les gens, bigoterie oblige, il est du domaine du possible de développer la production du raisin de table (on a donné à une belle plage de la région le nom d’une variété de raisin cultivée sur ses hauteurs) sur toute l’étendue allant de Maïnis (Ténès) à l’extrémité de Dechria, soit sur près de 60 km de long. Le même produit pourrait regarnir à nouveau les coteaux érodés de Tadjena, Dahra et Taougrit, voire Aïn Merane jusqu’à Mazouna, dans la wilaya de Relizane.

Idem pour les régions de Zebboudja, Béni Haoua et Breira où la culture du figuier se pratique sur de très vastes étendues. Le figuier est présent également dans l’ensemble des communes de la wilaya. Une commune pourrait, à ce titre, prétendre à l’organisation sinon d’un salon national de la figue ou a tout le moins un festival régional sous l’égide du wali de la wilaya. Pour rappel, dans la région de Mostaganem, deux régions se partagent la réputation d’être les plus grandes productrices de ce fruit rustique, à savoir Achaâcha et Oued El Khir.

Dans le même ordre d’idées, que penser d’un salon de la figue de Barbarie à Benaïria ou Bouzghaia ? Le fruit y existe en quantités phénoménales et il serait judicieux d’exploiter cette véritable richesse à des fins alimentaires et industrielles. Plusieurs communes d’Algérie ont fait ce choix, à l’exemple de Sahel, un village de la commune de Bouzguène, dans la wilaya de Tizi Ouzou. Dans ce douar, on en est à la douzième édition de la fête annuelle consacrée à ce fruit. L’objectif principal de cet évènement, lancé en 2011 et qui ne cesse de grandir au fil des années, est d’encourager la culture de la figue de barbarie et de la relancer en vue d’en faire une activité économique qui contribuera au développement de la région.

Rencontres scientifiques, colloques historiques, foires locales… « et waada »

Fantasia à la « waada » de Sidi Khelifa Charef », sur les hauteurs de Sobha, région du Dahra. Le tourisme cultuel est une source appréciable de revenus pour les riverains des zaouïas, mausolées et cénotaphes.

Qu’est ce qui empêcherait par ailleurs d’organiser une rencontre annuelle sur la résistance algérienne à l’occupation française à Sobha, notamment, où les généraux et colonels français ont fait usage d’horribles pratiques contre la population civile ?

La commune de Sobha qui s’est enrichi grâce à ses sableries, illégales pour la plupart, pourrait bien contribuer à la préservation de la mémoire collective en organisant, deux ou trois jours par an, un colloque sur la résistance populaire aux invasions étrangères.

A sa décharge, une famille organise depuis des années la traditionnelle « waada » de Sidi Khelifa Charef qui sauve les apparences.

Enfin, à Chlef-ville, le choix des sujets de rencontre est si vaste que l’on s’y perd. Mais pour ne pas trop faire travailler les méninges de nos décideurs en chef, pensons d’abord à pérenniser une rencontre sur les séismes et catastrophes naturelles qui pourrait avoir lieu chaque 10 octobre, en souvenir du séisme meurtrier de 1980.

Les éditions « Les Presses du Chélif » ont pris l’initiative, au mois d’octobre dernier, de mettre sur un pied une exposition photo couplée à la vente d’un ouvrage qu’elles ont édité intitulé « Zenzla, souvenirs du 10 octobre 1980 ». Avec leurs propres moyens et sans l’aide des autorités -et évidemment le boycott de la presse dite locale- elles ont réussi à attirer l’attention des visiteurs, très nombreux, sur la nécessité de gérer les risques naturels, notamment le risque sismique.

Question : Qui pourrait apporter sa contribution et son soutien aux éditions Les Presses du Chélif à rééditer le même événement le 10 octobre prochain ?

Ali Laïb

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