L'Algérie de plus près

Nadjoua Bensalem, médecin vétérinaire, auteure et poète : « Ce ne sont pas les acteurs culturels qui manquent en Algérie »

Rencontrée lors de la Nuit de la Poésie en compagnie d’autres poètes, une soirée animée par la talentueuse Fouzia Laradi qui œuvre depuis toujours pour réunir les belles plumes et le partage de la culture, Nadjoua Bensalem y a participé en déclamant ses poèmes. Originaire d’El-Eulma, dans la wilaya de Sétif, elle exerce son métier de vétérinaire à Bouira. Elle est aussi fille et petite-fille d’écrivains. L’appel du sang la ramène à l’essentiel. Nadjoua Bensalem fait partie des artisans de l’ombre qui œuvrent pour la culture. Elle est sollicitée dans l’organisation de salons de livres et, bien souvent, elle modère des rencontres littéraires. Connue sur les réseaux sociaux pour sa poésie qu’elle déclame un peu partout, en attendant les publications de ses recueils de poésie et ses romans, elle a bien voulu contribuer dans la rubrique « Des Femmes et des Lettres » du journal en ligne Le Chélif.

La culture fait l’homme

Par Nadjoua Bensalem

L’humanité ne peut pas se réduire à une simple appartenance génétique ; si la nature fait l’homme dès la naissance, il apparait clairement que ça ne suffit pas, l’humanité ne peut être acquise que par la nature, d’où l’entrée en scène de la culture qui, finalement, ne semble avoir fait non pas l’homme, mais les hommes, c’est à se demander si la force même de l’humanité ne se trouve pas dans sa diversité culturelle.       

La culture en sociologie ou en éthologie est définie comme « ce qui est commun à un groupe d’individus. » et comme « ce qui le soude. » C’est-à-dire ce qui est appris, transmis, produit et inventé ; elle est ce qui est transmis par les générations précédentes, on peut dire donc que la culture est un patrimoine informationnel qui « englobe les arts, les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes des valeurs, les traditions, les croyances. »

En philosophie, la culture désigne les pratiques matérielles et spirituelles de la société dans laquelle nous naissons. Elle reflète les chapitres de l’histoire et les différentes influences.

Traversée par moult civilisations, l’Algérie un continent plutôt qu’un pays, la culture y est un éventail très éclectique qui surprend et qui émerveille ; elle est un voyage dans l’espace et le temps, dans les couleurs et les dimensions, dans les croyances et les traditions 

Miser sur la culture pourrait vraiment nous sauver, elle seule est capable de nous donner la maturité et l’éveil nécessaires pour défendre nos valeurs et notre identité.

Une autre facette tout aussi importante du patrimoine culturel est le patrimoine immatériel constitué de l’ensemble des traditions orales, us et coutumes ayant trait aux manifestations les plus importantes des communautés et individus dans la vie quotidienne ; d’ailleurs, nous sommes le premier pays à avoir ratifié la convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel adopté à Paris le 17 octobre 2003*.

En tout cas, quelque chose de grand est en train de se tramer spontanément, je crois ; les espaces culturels sont assiégés de manifestations, de foires et d’expositions, il y a comme une épidémie qui sévit et qui pousse les gens à s’intéresser de plus en plus à l’art, au cinéma, au théâtre, aux lettres, à la culture de l’oralité.

Un regain d’intérêt pour la culture a vu le jour juste avant la pandémie de la Covid-19 et vient de reprendre du service, j’espère que toutes les belles choses qui font partie de notre patrimoine culturel seront valorisées, exprimées, déterrées, consignées, archivées et publiées.

Des pratiques païennes très longtemps occultées sont de nos jours remises au goût du jour et font le bonheur des autochtones et des touristes. Il faut dire que les espaces culturels sont très nombreux et très souvent inexploités ; il est grand temps qu’ils battent la chamade aux rythmes de toutes les fêtes, célébrations ou salons, il est temps que la culture contribue activement à l’éducation de nos enfants.

Et ce ne sont pas les acteurs culturels qui manquent, ils sont les gardiens de ce patrimoine ; c’est grâce à eux que la chrysalide a eu lieu, ils ont le mérite d’avoir toujours cru en cette valeur et de l’avoir toujours défendu, ils doivent aussi veiller à ce que ce patrimoine soit préservé car les usurpateurs sont nombreux et sans scrupules et évidemment assurer la relève et passer le flambeau.

N. B.

*Décret présidentiel numéro 04-27 du 07 février 2004, page 7.

Ci-dessous un texte de Nadjoua Bensalem écrit en 2018.

La femme nue

Par Nadjoua Bensalem 

J’ai mis du khôl sur mes yeux, une nuance de rouge à lèvres sur ma bouche et je suis sortie pour aller travailler comme à l’accoutumée.

J’ai emprunté mon chemin habituel, la démarche fière et les idées et pensées en ébullition.

J’arrive devant ces anciens entrepôts là où j’ai toujours froid dans le dos, ils étaient là ces abrutis, ils faisaient partie du décor, ces dégénérés.

Bonjour les mots crus, les mots qui tuent, les mots de travers.

Bonjour, l’averse d’injures, les gestes salaces que m’infligent ces vautours, ces rapaces.

Je deviens soudainement leur proie lâchée en pâture, je rapetisse pour devenir une miniature.

Ma race, mes attributs féminins, mon look, mes ancêtres, ma mère, tout passe.

Et les voilà maintenant à fantasmer sur moi, des fantasmes de viol, d’orgies en imaginant et décrivant des scènes obscènes où ils me transforment en une femme-objet, un sexe sans âme, une poupée catin, une marionnette érotique.

Je les regarde avec mépris, mais apparemment ils n’ont rien compris.

Pendant un bref laps de temps, j’arrive à m’extraire à ma réalité et je plonge dans des réflexions philosophiques, sociologiques et psychologiques sur le pourquoi d’une telle haine, au fond je leur pardonne quoiqu’il advienne.

Cette jeunesse est vomie par la nation, cette jeunesse est meurtrie, nul besoin d’une explication.

Sans travail, sans avenir, sans rêves, sans le sou il est presque normal qu’ils m’en veuillent pour tout.

Soudain, ils s’intéressent à ma nudité, je ne porte pas de voile, donc je suis toute nue, pour eux je suis un blasphème pour la religion, car soudain ils sont devenus les saints gardiens de l’islam, leur islam, des prophètes ou plus à mon grand dam.

Par les temps qui courent, ne pas porter le voile est un drame, ne pas se conformer à ces satanés lois ou commandements est impensable pour une femme de mon âge, le nouvel islam que prônent les nouveaux imams réduits la femme à une personne exclusivement chargée des tâches ménagères et de la reproduction, elle n’a aucun droit ou presque et doit vivre éternellement sous tutelle.

Être une femme dans une société arabo-musulmane c’est ne pas exister, c’est mener des combats quotidiens pour de petites libertés presque insignifiantes, être une femme est presque une damnation.     

Je poursuis mon chemin, essayant d’occulter le moment où je suis passée devant la meute en furie, mais je crois reconnaitre un des jeunes, oui, je le connais, alors un courage s’empare de moi, un courage qui m’est venu de je ne sais où, un courage qui m’a presque pris sous ses ailes, et qui m’ordonne de retourner vers cette horde, cette meute, ce que je fais sans réfléchir.

Je me pointe en face d’eux avec une grande assurance, j’ai alors perçu de la gêne et de l’interrogation, j’ai troublé leur enthousiasme et leur liesse.

Je regarde celui que j’ai reconnu, un grand malabar au regard terrifiant, et je lui dis : c’est toi qui as percuté un gros camion sur l’autoroute l’année passée, c’est bien toi le motard qui est revenu d’entre les morts, par contre ton ami n’a pas eu de chance et surtout il n’avait pas de casque, le pauvre est mort sur le coup, il avait quoi 15 ou 16 ans ?

Toi tu as eu beaucoup de chance, je t’ai sauvé ton œil et la vie ; j’ai dû t’opérer à maintes reprises, tu étais bien amoché, et en plus je t’ai bien recousu, on remarque à peine la cicatrice sur ton arcade sourcilière.

Souviens-toi, j’étais en tenue de bloc, pas à poil comme maintenant.

N. B.

(Texte rédigé au mois de novembre 2018)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *