L'Algérie de plus près

1er novembre 1954-1er novembre 2022 : la nécessaire refondation 

Par Mohammed GUÉTARNI*

Nul ne résiste à la vérité (historique). Il faut combattre le démon du mensonge (politique) avec la lumière de la raison. (Ibn Khaldoun)

«Les grands ne sont grands que parce que nous sommes à genoux. Alors levons-nous !» (Pierre Vergniaud)                                                                  

Ce 1er novembre 2022, l’Algérie fêtera le 68ème anniversaire du déclenchement de sa grande « Grande Révolution. » Mieux vaut vivre un jour fier et brave comme un coq (de combat) plutôt que de souffrir l’éternité en poule (mouillée). C’est en adoptant une pareille philosophie que nos aînés ont pris les armes, certes, rudimentaires mais vaillamment bardés de leur foi en leur « Algérie-chérie. » Ils se sont rendu compte qu’ils étaient tombés trop bas dans l’échelle humaine. Il fallait qu’ils remontassent la pente abrupte et escarpée de l’Indépendance s’ils veulent redevenir des hommes avec toute la noblesse que peut contenir l’acception du concept ‘’Radjla.’’  

La Guerre d’Algérie n’était pas une escarmouche provoquée par des bandits, coupeurs de routes, de demeurés, de fellagas …. Loin s’en faut. C’était un ‘’Djihad’’ avec toute sa valeur sémantique saine et sainte que pouvait exprimer ce terme pour le recouvrement de la souveraineté nationale. D’où, l’évocation de la formule ‘’Allahou Akbar’’ (Dieu est plus Grand) avant d’avoir tiré le premier coup de baroud d’honneur. Le glas de l’Algérie française commençait à sonner, à se faire sentir, à se faire entendre. Pour ne pas ébranler la psychologie ni affecter le moral des colons, le pouvoir colonial, toute honte bue, n’a pas lésiné à affubler nos résistants de première heure de toutes les appellations péjoratives. Il refusait sciemment de les nommer par le vocable qui leur sied au mieux : ‘’Moudjahidine.’’ Oui, c’était des Résistants parce que la patrie était en danger. Est-ce pour autant que « l’Algérie-chérie » était perdue à jamais ? Oh que non ! Un groupe de jeunes héros nationalistes au nombre de 22, animés par un grand amour qu’ils vouaient à leur Algérie-chérie dont ils se sentaient les fils chauds, ont planifié, avec les moyens de LEUR bord, une guerre contre l’occupant pour le libérer du joug colonial séculaire.  

La Révolution de 1954 n’avait pas de ZAÏM. La ‘’Zaâma’’ était collégiale. Ce qui voulait dire, en clair, que le seul héros et l’unique zaïm étaient le même : le peuple algérien et seulement le peuple. Cette guerre, qui a eu lieu sur le sol algérien, n’avait pas manqué d’éclabousser la France métropolitaine par de sérieuses crises : la chute de la IVè République et la naissance de la Vè. Pourtant, le pouvoir colonial avait mobilisé tous les moyens disponibles pour écraser l’insurrection dans l’œuf. En vain. Perdre l’Algérie ? Beaucoup de colons refusaient d’y croire. C’était, pour eux, une réalité trop virtuelle. Nonobstant, il fallait se rendre à l’évidence parce que la guerre pour l’Indépendance était bien réelle. La signature des accords d’Évian, le 18 mars 1962, avait abouti à la reconnaissance de l’autodétermination en tant que seule solution envisageable, puis la Libération de l’Algérie et, enfin, la proclamation de la première République algérienne un 3 juillet 1962. Le 5 juillet, est née, au forceps, la République Algérienne Démocratique et Populaire après une longue nuit coloniale cauchemardesque de 132 ans. Le massacre perpétré par l’OAS (Organisation de l’Armée Secrète), après ces Accords, fut le dernier soubresaut colonial. Un soubresaut spasmodique, on l’aurait compris, avant que le colonialisme ne rende définitivement l’âme. Commençait, alors, un exode massif de la population européenne et des harkis vers la Métropole.

Les raisons qui ont poussé nos aînés à décider leur Guerre de Libération étaient nombreuses, entre autres l’expropriation, l’exploitation, la paupérisation, l’analphabétisme de la population pour mieux l’assujettir, la stratification de la population selon le statut « sénatus-consulte » du 14 juillet 1865 tels que les 1er et 2ème Collèges. La population européenne, dite ‘’Pieds Noirs’’ installés en Algérie depuis plusieurs générations au nombre d’un million, avait tous les droits civiques. Alors que neuf millions d’autochtones, appelés ‘’indigènes’’ et réduits à l’esclavage des temps modernes, n’en avaient aucun. Aux élections, par exemple, neuf voix indigènes équivalaient à celle d’UN citoyen français parce qu’ils étaient des sujets et non des citoyens français. Un colon valait, donc, neuf Algériens et… sur leur propre sol, de surcroît. Ce fut un déni d’existence caractérisé de tout un peuple, le paroxysme de la négation de toute une nation. C’est pourquoi Benbadis et Ferhat Abbas refusèrent, tous deux, le statut de l’indigénat. Pour calmer les esprits, dès son arrivée au pouvoir en 1958, le Général De Gaule avait uniformisé les statuts des deux communautés pour faire un collège unique sur ordonnance du 15 novembre de la même année. Les indigènes, n’étant plus des sujets, sont devenus des citoyens français. Ils pouvaient, alors, circuler librement entre la France et l’Algérie et les portes de l’école et de l’emploi commencèrent à s’ouvrir.

Pendant que les Alliés fêtaient, dans la liesse, la victoire sur les forces de l’axe, en Europe le 8 mai 1945, des Algériens avaient manifesté pacifiquement pour rappeler la France d’honorer sa promesse faite aux Algériens d’accorder l’indépendance à l’Algérie après avoir participé à la libération de la Métropole durant la Seconde Guerre. Ils ont eu pour récompense une répression sanglante où les forces d’occupation avaient fait preuve d’une rare férocité. C’était un crime contre l’humanité perpétré contre la population civile autochtone désarmée à Sétif, Guelma, Kharrata et d’autres localités. Ce massacre chiffré à 45 000 morts algériens (contre 103 victimes européennes) était les prémices d’une guerre en gestation. Toutes les forces militaires avaient pris part à cette hécatombe. Les trois corps armés, en l’occurrence la marine, l’aviation et les troupes au sol ont participé conjointement à cette action criminelle sous le fallacieux prétexte de « rétablir l’ordre. » Les Algériens avaient fini par bien retenir la leçon : « Il n’y avait plus d’autres solutions que les mitrailles. » Vint, enfin, le 1er Novembre 1954. Ce fut le détonateur millimétré d’une guerre sainte et sans merci qui aura duré plus de sept ans et s’est soldée par un véritable génocide qui ne disait pas son nom : un million et demi de Chahids dont le seul tort (si c’en est un) est d’avoir décidé à libérer leur pays du colonialisme. Nos aînés avaient pris, de manière irrévocable, la ferme décision de leur ‘’jusqu’auboutisme’’ : la victoire ou … la mort sur l’autel de l’Indépendance de leur « Algérie-chérie. » 

De 1945 à 1954

À la suite de la mort (pour d’aucuns suspecte) de Benbadis en 1940, à l’emprisonnement de Messali Hadj et à l’interdiction du Parti du Peuple Algérien (PPA), le Parti du Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques (MTLD) revendiquait le statut de l’égalité entre les deux communautés en présence et l’indépendance de l’Algérie dès 1948. L’Association des Oulémas Musulmans Algériens était, alors, interdite de toute activité. L’O.S. s’est assigné pour mission de rassembler des armes pour se préparer au combat. Pour ‘’gagner’’ sa paix, il faut préparer sa guerre. Mohamed Belouizdad fut le premier chef de l’organisation clandestine. Hocine Aït Ahmed prend ensuite la tête de l’Organisation et continue ses démarches pour l’achat des armes. La poste d’Oran est attaquée par les membres de l’OS pour financer l’achat des armes.

Le CRUA (Comité Révolutionnaire d’Unité et d’Action), fondé en mars 1954, organisera, alors, la lutte armée. Le parti du Mouvement National Algérien (MNA) est fondé en juillet 1954 par les messalistes. Par la suite, le Front de Libération Nationale (FLN) est fondé en octobre 1954 par la branche du CRUA.

Les deux partis le FLN et le MNA ont connu des rivalités internes non seulement pour prendre le contrôle de la Révolution mais surtout pour la représentation du futur État auquel cas faut-il, aussi, ajouter certains enjeux particuliers : privilèges personnels, culte de la personnalité…. Libéré de prison en 1958, Messali Hadj sera assigné à résidence surveillée en France.

La lutte pour l’égalité des droits est engagée depuis fort longtemps par des intellectuels algériens, particulièrement le mouvement des Oulémas. Le recours au combat est initié par le FLN en tant qu’organisation nationaliste basée en Algérie et à l’extérieur. Ce parti lança son action militaire un lundi 1er novembre 1954, soit deux ans avant que ne soient proclamé l’indépendance de la Tunisie et du Maroc par la négociation. Ces deux pays n’étaient pas des colonies mais des protectorats. Quelques hommes politiques français de gauche, appelés les « porteurs de valises », n’ont pas hésité à soutenir le mouvement nationaliste et ont même envoyé armes et argent à la Résistance.

Dès le début des hostilités en 1954, la population civile autochtone était victime d’exactions inqualifiables menées par l’Armée française. Rappelons aussi que, selon l’historien Omar Carlier, les luttes intestines entre 1955 et 1958, ont fait des milliers de morts parmi les Algériens dans les affrontements rivaux qui ont opposé le FLN au Mouvement National Algérien (MNA) et au Parti Communiste Algérien (PCA).

Lors de la réunion des 22, le vote s’est prononcé en faveur de la lutte armée. Le CRUA va se transformer en Front de Libération Nationale (FLN). Le déclenchement de la Révolution a été décidé à Alger lors de la réunion des six chefs du Comité révolutionnaire d’unité et d’action, en l’occurrence Rabah Bitat, Mostefa Benboulaïd, Didouche Mourad, Mohamed Boudiaf, Krim Belkacem et Larbi Ben M’Hidi. La Déclaration du 1er novembre 1954 était radiodiffusée depuis Tunis. Durant la nuit du 1er novembre, la caserne de la ville de Batna était attaquée par les moudjahidines. Cette nuit sera baptisée, par les historiens français, « Toussaint rouge ».

L’appel au peuple algérien

Le Secrétariat général du FLN explique au peuple algérien sa feuille de route ainsi que les raisons qui ont poussé les dirigeants politiques algériens à opter pour le choix difficile de la guerre comme ultime moyen de pression sur l’ennemi. Le but était, à n’en pas douter, l’indépendance nationale. L’action militaire était dirigée uniquement contre le colonialisme qui s’est toujours refusé d’accorder les droits les plus inaliénables à notre peuple tels que sa liberté et son refus de négocier pacifiquement autour d’une table. L’une des exigences du FLN est que les autorités coloniales devaient reconnaître, au peuple algérien, le droit de disposer de lui-même. Faute de quoi, la lutte sera poursuivie avec tous les moyens dont il dispose jusqu’à la victoire finale et la réalisation d’un État algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques. Le FLN appelle l’ensemble des communautés d’Algérie, quelles que soient la race, le sexe ou la confession, à rejoindre sa cause.

Les soutiens étrangers au FLN

La lutte armée menée par le FLN a connu rapidement des soutiens étrangers, sans condition, tant par les pays tel que le Maroc, la Tunisie, la Libye en tant que pays frontaliers avec l’Algérie. Ces pays, à la fois frères et voisins, ont joué un rôle déterminant servant de bases arrière à notre Révolution. Pour couper vivres et armes à la Révolution, le gouvernement colonial a mis en place les lignes Morrice et Challe qui consistaient à l’isoler du reste du peuple. Il a, aussi, arraisonné l’avion qui menait Ben Bella et cinq membres de son équipe qui devaient se rendre en Égypte pour assister à une réunion. De même qu’il a procédé au bombardement, en 1958, de Sakiet Sidi Youcef en Tunisie alors que ce pays était déjà indépendant sous prétexte de « Droit de poursuite » des maquisards algériens qui trouvaient refuge dans cette région de la Tunisie. Crime supplémentaire contre l’humanité.

La Libye n’était pas en reste. Elle envoyait d’énormes cargaisons d’armes et de munitions à nos combattants. Le soutien venait aussi d’autres pays amis comme l’URSS, la Yougoslavie, la Tchécoslovaquie, la Hongrie…. Enfin, peut-on dire, nombre de pays de la Ligue arabe, du bloc afro-asiatique ainsi que ceux de l’Europe de l’Est ont énergiquement soutenu l’Algérie en lutte pour son destin. Nos combattants ne se sentaient plus seuls sur la scène internationale. La cause algérienne était soutenue moralement, politiquement et surtout matériellement si bien que la question algérienne était à l’ordre du jour au niveau de la commission politique des Nations Unies. C’était l’objectif recherché par nos combattants novembristes.

La colonisation a-t-elle changé son fusil d’épaule ?

Le 5 juillet 1962, fut proclamée l’Indépendance de l’Algérie au prix d’une guerre meurtrière de plus de sept années menée grâce au courage de ses enfants intègres (hommes et femmes). Ils avaient opté pour la devise : «Résister, c’est Exister » parce qu’ils croyaient dur comme fer en leur Algérie-chérie. Le 1er Novembre 1954 a fait couler beaucoup de sang. Le 1er novembre 1962 a fait couler beaucoup d’encre de déception. Les Algériens enragent de voir leur pays entrer, au XXIè siècle, en marche arrière en dépit de tous les sacrifices consentis et ses potentialités humaines et matérielles existantes. Plus d’un demi-siècle après l’Indépendance ‘’chairement’’ acquise, il y a encore et toujours un déficit abyssal en matière d’égalité entre les citoyens, de libertés, d’État de droits, de Pouvoir et Contre-pouvoir, de Justice indépendante, de la corruption qui a atteint tous les étages du pouvoir, refus délibéré de répartir les centres de décisions entre hommes politiques et scientifiques, la marginalisation, le mépris, la déception, le rejet, voire l’excommunication de l’intelligentsia nationale, refus catégorique de constituer une classe scientifique à l’instar de la classe politique à même de participer à la gestion du pays selon des règles scientifiques, l’Homme qu’il faut à la Place qu’il faut… (et la liste n’est pas fermée) à cause d’hommes mafieux qui se sont hissés indûment jusque dans les hautes sphères du pouvoir.

Il est, parmi les croyants, des hommes qui ont été sincères dans leur engagement envers Allah. Certains ont atteint leur fin et d’autres attendent encore. Et ils n’ont changé aucunement (dans leur engagement).

Au lendemain de l’Indépendance, certains dirigeants se sont instamment écartés des directives coraniques qui constituaient, pourtant, l’ossature de la plateforme du 1er Novembre 1954. Ils se sont fourvoyés dans la délinquance politique et la déliquescence morale. Ils ont, ainsi, assassiné la Révolution, trahi le peuple et rompu le serment des Chouhada. Grisés par LEUR pouvoir, nombre d’entre eux se sont séparés des préceptes fondamentaux de la Révolution. Ils ont perdu toute forme de crédibilité parce n’ayant aucun scrupule (el haya’) qui est la cheville ouvrière de l’Islam et du Musulman. Ce qui explique les détournements astronomiques des fonds publics qui se chiffre, selon la presse nationale, en milliards de dollars, la hogra érigée en système, les dénis de libertés… L’époque où le Savoir était la deuxième religion de l’État après l’Islam est, à jamais, révolue.

Selon Hassan Bettahar, les dirigeants algériens ne devraient en aucun cas dire qu’ils n’ont eu ni le temps ni l’argent nécessaires pour faire développer le pays et en faire une puissance régionale. Après quatre mandats successifs et près de 1000 milliards dépensés, le régime Bouteflika a été incapable de se projeter dans le futur.

Notre pays vit, actuellement, un véritable ‘’État d’urgence moral et économique.’’ L’Occident est sorti de son âge de pierre depuis des siècles pour, justement, se projeter dans l’ère du futur. Nos gouvernants, eux, refusent de lui emboîter le pas. Ils sont coupables d’être incapables de mener le pays à bon port. Seul le Pouvoir les intéresse. « Le FLN gouvernera cent ans encore », déclare solennellement Djamel Ould Abbès alors qu’il sait très bien qu’il est hors service.

Les dirigeants arabes, en général, exercent le pouvoir en tant que carrière à vie et non comme une mission limitée par un mandat ou deux, au maximum.

La joie du dirigeant est de rendre son peuple heureux. Ceci est une règle immuable en morale politique car ne penser qu’à soi et au présent, selon La Bruyère, est une faute grave en politique. 

Trop fatigué, notre peuple n’a plus la force requise de supporter, encore longtemps, ce pouvoir moribond où dès qu’un homme est grippé, c’est tout le peuple qui éternue. Ce dernier demande simplement de vivre heureux chez lui pour construire son pays et d’en faire une Corée du Sud. Pour réaliser ce rêve, faut-il un autre… 1er novembre ?

M. G.

*Docteur ès Lettres      

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *