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« Les murailles de l’interdit », du désenchantement à la victoire

Existe-t-il actuellement une écriture féminine plus marquée qu’auparavant à travers les derniers ouvrages parus abondamment en ce début d’année 2022? Quelles en sont les caractéristiques, les thèmes et sujets récurrents? Ces questions se posent et s’imposent au hasard de quelques romans récents, comme celui de Fayza Stambouli Acitani,  « Les Murailles de l’interdit ».

Pourquoi une poétesse, doublée d’une psychologue clinique, née durant la Révolution algérienne commet un roman de 300 pages d’une fluidité exemplaire sur les maux du quotidien éprouvés par une jeune femme, Nacera, représentante, parmi d’autres, d’une génération née durant la révolution? Ecriture témoignage de chair et de sang, de désillusion, d’abnégation, proche du témoignage romanesque à l’adresse d’une société complexe, en quête de sens? Cri de colère et d’humanisme mêlés à l’encontre d’interdits accumulés? Au lecteur, de se faire une opinion.

Le personnage de Nacéra s’impose très vite par la franchise et la densité de son discours. Ses bilans quotidiens sur sa vie de femme diplômée, mariée, mère de deux enfants, s’apparentent à un journal intime, factuel, qui exprime joies fugaces et peines fréquentes. Celle qui s’affirmait comme appartenant à « une jeunesse  modérée » dont la notion de liberté s’apparentait à celle essentiellement du Savoir, découvre par le biais de son mariage arrangé, un univers répressif en la personne de sa belle-famille.

D’abord respectueuse et docile, elle observe et analyse les circonstances de sa nouvelle existence contrainte, aux antipodes des promesses maritales. Elle dissèque les interdictions ou violences verbales subies à longueur de journée. Passé référentiel, heureux dans une famille respectueuse et bienveillante et présent contraignant s’opposent. Bilan d’une vie plutôt subie qu’agissante. Les chapitres brefs évoquent le contraste entre sa vie de jeune fille épanouie, soutenue par son père et ses frères et les brimades incessantes imposées par sa belle-famille pour des raisons futiles.

Nacera, peut-être jumelle spirituelle de l’auteure car si riche de détails subtils, ne laisse rien passer, au crible de son regard avisé et ses remarques pertinences. Elle subit, mais lucide, résiste à toutes les abus d’autorité à laquelle son beau-père inquisiteur la soumet, plus tard ses beaux-frères.  Chaque jour lui apporte une raison supplémentaire de fuir cette « souricière » dans laquelle son époux l’a placée, au mépris et déni des promesses des débuts du mariage. Le conservatisme outrancier de ce beau-père, figure tutélaire, même et plus que jamais après sa disparition, se niche aussi dans l’interdiction de l’ouverture de la porte d’entrée en son absence, même celle supposée du jeune fils rentrant de l‘école. L’arbitraire sans limite et non remis en cause par son propre époux dépasse l’entendement. Elle ne cesse de s’interroger sur son statut de « cloîtrée dans cette forteresse, entourée de hauts murs d’interdits », soumise à la « dictature du vieux ». Des tentatives de son époux, par une location salvatrice d’appartement réservé exclusivement au couple, pour sortir de cette emprise n’aboutiront pas sous le dirigisme du beau-père. Le roman alterne entre épisodes d’un temps heureux auprès des siens, durant lequel ses frères l’emmenaient à la plage, et celui d’épouse soumise au despotisme d’un vieil acariâtre.

La fracture entre les promesses d’avant mariage et l’humiliation du quotidien met en péril l’équilibre familial. L’auteure raconte par le menu ce qui a précédé ce choix, son renoncement à Hamid, son collègue de cours, aux sentiments réciproques. Une entrave majeure, l’exigence paternelle de choisir un homme d’origine kabyle. 

N’y a-t-il pas dans cette insistance, un procédé littéraire de mise en abyme d’autres désillusions ou distorsions plus rationnelles et profondes de toute une génération, à l’égard d’un pays aux institutions référentielles?

Plus tard, l’évocation de la vie de Nacera s’élargit à l’intrusion plus marquée de l’Histoire de l’Algérie avec des périodes antérieures à l’Indépendance, ses grandes fêtes de juillet 1962, puis viendront les souvenirs liés au tremblement de terre d’El Asnam de 1980, ceux d’« octobre 88 » et des « années noires ». Une sorte d’état des lieux et de mise en perspective.

Sans dévoiler la fin de ce roman dense, d’une écriture scrupuleuse et généreuse, documentée, telle une épopée familiale, où l’héroïne mène une lutte personnelle pour surmonter tous les défis qui s’imposent et entravent ses espoirs de réalisation d’elle-même, il est intéressant d’insister sur les qualités de ce portrait de femme reflet d’une succession d‘époques marquées par des identités plurielles. Comme disait un certain Flaubert, « un roman est un miroir que l’on promène le long d’une route… », cette route-ci court sur plusieurs décennies, avec des moments-clefs où le désarroi l’emporte sur l’espoir.

A chacun sa grille de lecture pour analyser à travers le personnage de Nacéra, les mises en relief des contradictions, les avatars, les attentes et les combats d’une société tourmentée par le vent de l’Histoire. La force de ce roman réside dans le panorama des scènes évoquées comme autant de focus sur l’image de la Femme à travers des périodes réelles.

L ‘épaisseur des « murailles de l’interdit » n’est que subjective, mais les empreintes des femmes contraintes demeurent permanentes.

Jacqueline Brenot

« Les murailles de l’interdit » de Fayzal Stambouli Acitani, Les Editions IMTIDAD  (mars 2022)

Fayzal Stambouli Acitani vit à Blida, sa ville natale. Licenciée en psychologie clinique. Auteur de plusieurs recueils de poésie.

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