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Ouahid Boukhlifa, électicien-auto sans-abri !

Après avoir passé deux ans sous les drapeaux dans le cadre du service national, Ouahid Boukhlifa décidé de s’établir en France. Pas pour longtemps car les conditions de travail et de séjour dans ce pays n’étaient pas faites pour lui plaire. Croyant en sa bonne étoile, il retourne dans sa ville natale, El Asnam, où il va gérer pour un certain temps un garage familial au quartier de la CIA. L’affaire tournait assez bien mais un concours de circonstances l’obligea à quitter l’endroit et à chercher à travailler ailleurs. Nous sommes en 1981, soit une année après le terrible séisme qui a mis à terre la ville d’El Asnam et sa région.

Sûr de ses capacités et de son excellente maîtrise du métier de mécanicien et d’électricien-auto, Ouahid Boukhlifa, la vingtaine passée, se fit immédiatement recruter chez Mostéfa Tahri, l’un des plus grands entrepreneurs de la région du centre-ouest à l’époque. Ouahid était chargé de la maintenance de l’important parc d’engins et de camions ; son travail donnait entière satisfaction à son employeur. À tel point que ce dernier le poussera à s’établir à son compte en l’aidant à obtenir un registre de commerce. «À l’époque, M. Boudjethia Djazouli, alors maire d’El Asnam, m’a amplement facilité la tâche», témoigne Ouahid non sans remercier vivement l’ancien édile municipal qui l’autorisa à construire un garage au quartier Zebboudj.

«Pour les gens qui s’en rappellent, c’était une baraque parmi les centaines d’autres qui servaient de magasins et d’ateliers. La ville était complètement détruite et pour relancer les activités commerciales et de service, les autorités locales autorisaient les commerçants, anciens et nouveaux, à se réinstaller dans des locaux de fortune», explique Ouahid.

Pendant deux années de suite, l’artisan va se faire une importante clientèle. Son garage était vanté dans toute la ville, et l’on venait aussi de loin pour «ausculter» son véhicule. En véritable praticien, Ouahid détectait toutes les anomalies électriques, et cela grâce à son sens aigu de l’observation mais aussi et surtout à sa curiosité sans limites : il ne se passe pas un jour sans qu’il ne dévore une fiche technique, un fascicule ou un document sur le fonctionnement des installations électriques des nouveaux modèles de véhicules.

De Zebboudj à Carmella

L’intermède Zebboudj va s’arrêter subitement lorsque l’APC pria Ouahid de démonter sa baraque car, à l’endroit où il s’est installé, les autorités ont prévu la construction d’une mosquée. Nous sommes déjà en 1985. «Je ne pouvais m’opposer à cette injonction, nous dit-il, il s’agit d’une mosquée, qu’aurait-on dit si j’avais refusé ? C’est quelque chose de sacré !»

L’électricien-auto demande alors à s’établir à Carmella, chose que les autorités lui concèdent. Aussitôt dit aussitôt fait, il se fait construire un atelier en zinc, à proximité de la station d’essence Zemmouri, en contrebas de la RN 4, pratiquement en face des dépôts de l’ex-OFLA. L’endroit est idéal pour son activité. Il sera suivi par d’autres mécaniciens, électriciens et garagistes qui exercent toujours à cet endroit. Mais Ouahid tout comme ses infortunés compagnons, n’a aucune possibilité de développer son activité. Son garage est minuscule, il ne peut se permettre de l’outillage de précision et donc de valeur car les lieux n’offrent aucune sécurité. Il suffit de pousser avec force la porte d’entrée pour qu’elle cède. C’est l’angoisse assurée chaque nuit pour lui et les autres occupants de Carmella. Aussi, a-t-il entrepris de se faire délivrer un permis de construire pour édifier un garage en dur. Une tentative qui ne trouvera aucun écho auprès des autorités tant les avis et recommandations divergent. «On m’a expliqué qu’il faut introduire un dossier de régularisation dans le cadre de la loi 15/08 relative à la régularisation des constructions édifiées avant 2008. D’autres m’ont signifié qu’il est impossible de le faire parce qu’il faut au moins avoir le tiers de la construction en dur… Franchement, je ne sais quoi faire !», avoue-t-il.

Ouahid se fait actuellement aider par son propre fils, âgé de 31 ans. «Je ne peux prendre en charge d’autres apprentis, l’endroit n’est pas approprié », explique-t-il. De fait, ni lui ni ses voisins immédiats, des mécaniciens-auto, ne disposent d’espace pour ce genre de mission.

Suivre en permanence l’évolution des technologies

Et pourtant, Ouahid se dit prêt à former en théorie et en pratique un grand nombre d’élèves si les conditions s’y prêteraient. Reconnu pour son savoir-faire et sa compétence, ses services sont de tout temps sollicités par les administrations publiques, les institutions officielles… et tous les passagers de la RN 4 victimes de problèmes mécaniques ou électriques urgents. «J’ai dépanné de hauts responsables politiques, des cadres de l’État dans de nombreuses institutions qui devaient obligatoirement rejoindre la capitale et qui passaient par Chlef. Je le fais non pas pour le prestige mais parce que c’est mon devoir de le faire», asssure-t-il.

Parfois, sans contrepartie aucune car ses interventions se limitent parfois à régler quelques connexions défectueuses. Avec le temps qui passe, Ouahid, aujourd’hui la soixantaine passée et deux fois grand-père, souhaite léguer quelque chose à ses enfants. Et dans son cas, un atelier d’électricité auto dans les normes, équipé des derniers instruments de contrôle.

Dans la baraque en tôles ondulées qui lui sert de lieu de travail, Ouahid ne veut rien risquer, sauf les outils ordinaires, quelques appareils et un vieux microordinateur raccordé à l’Internet. Car malgré les apparences, Ouahid n’a jamais cédé à la facilité. Pour être toujours au top, il s’est fait un honneur se suivre l’évolution des technologies, surtout en matière d’innovations dans l’industrie automobile. Et aussi dans l’informatique : pour rechercher les caractéristiques de chaque moteur et de ses composants électriques, Ouahid s’est fait installer un logiciel de reconnaissance vocale qui lui permet d’accéder directement à sa requête. «Je ne peux tapoter sur le clavier car mes mains sont toujours enduites d’huiles et de graisse», conclut-il, en coup d’œil aux autorités de la ville auxquelles il a rendu énormément de services.

A. L.

*Cet article a été déjà publié dans le numéro 215 du journal Le Chélif (édition du 17 23 janvier 2018, page 9). Nous le publions à nouveau en hommage au concerné qui nous a quittés dernièrement.

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