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31 octobre 1968 : L’incendie meurtrier de Miliana

Miliana, octobre 1968. Au creux de cet automne, Miliana se réveille sous un triste ciel balayé par d’impétueux nuages, déchiquetés çà et là par une brise parfumée aux senteurs de néroli, de chèvrefeuille et de galant de nuit. Quelques taciturnes rayons de soleil pourfendent de temps à autre cet amas vaporeux et viennent réchauffés quelques lève-tôt qui vaquent à leurs occupations. Nous sommes à Miliana, la veille d’un rendez-vous anniversaire du 1er Novembre 54 que nous rappellent des chants patriotiques diffusés par des enceintes accrochées aux quatre coins de la ville millénaire. C’était à la veille d’une journée commémorative mais aussi festive dont le comité des fêtes, riche en expérience, avait concocté un programme culturel et sportif. Pour une fois les «What’s» et ses mémorables et talentueux musiciens ne seront pas de la partie car tout se joue autour du cinéma Variétés où est prévue une représentation scénique de Mahfoud Touahria, figure de proue de l’animation culturelle. Il est 20 h au tintement de la vaillante horloge lorsque la porte s’ouvre sur une foule qui joue poliment du coude, car il s’agit avant tout d’une manifestation culturelle qui est vernaculaire à la ville des cerises. Pendant que Mahfoud, le héros de la pièce, déclame la bravoure des Moudjahidine, personne ne soupçonne qu’une tragique pièce se déroule sur les flancs du Zaccar. 

Le démon de minuit 

La représentation tire à sa fin. A une dernière réplique scénique, Mahfoudh, jouant admirablement son rôle de moudjahid, tomba sous les balles assassines de l’ennemi. Une dure prémonition. A quelques minutes de minuit, un branle-bas de combat secoua la ville. Une terrible nouvelle secoua la ville des cerises. Un incendie s’était déclaré au Zaccar qui inquiéta les autorités qui ont vite été dépassées par l’évènement. La peur s’empara de la cité. Alors, dans la précipitation, des camions firent le tour de la ville pour embarquer les jeunes et moins jeunes vers une destination sans retour. Les uns animés par un esprit de solidarité à l’appel du devoir, les autres poussés par cet élan invulnérable mais d’autres vigoureusement forcés pour être déverser sur un sentier qui mène vers le brasier. 

Ceux qui se sont aventurés au-devant des premières flammes se sont vus cerner par le feu, d’autres victimes suffoquées par une épaisse fumée, ont été asphyxiés. Le feu eut raison de plusieurs hectares de pinèdes qui, sous l’effet de la chaleur, leurs cônes explosent pour enflammer l’autre versant. Vingt-trois jeunes en été jetés en plein brasier, démunis de tout moyen pour lutter contre le feu mais qui livrèrent corps et âme bataille pour venir à bout de ce féroce ennemi poste indépendance. Et comme un malheur ne vient pas en solo, les flammes ont été attisées par le souffle d’un léger vent.

Des cadavres humains calcinés éparpillés… un groupe de trois jeunes enlacés entièrement calcinés par le feu…deux cadavres, l’un à côté de l’autre… à quelques mètres, un autre cadavre à genoux les mains à terre comme s’il prié avant la venue de la camarde (dixit Omar Boumaza). Il n’y a pas un autre mot pour décrire encore plus cette épouvantable nuit de l’horreur. 

L’apocalypse  

Le matin de ce terrible drame, Miliana, ville martyre, meurtrie, endeuillée, la face noire de suie en signe de deuil, comme le furent nos jeunes mères durant la période coloniale. Miliana s’ouvrit sur un terrible paysage apocalyptique. Le légendaire silence de la cité est déchiré maintenant par les cris des femmes sans «haik», pieds nus, se meurtrissant les cuisses et se griffant les joues puis, l’air hagard, leurs pieds ne les supportant pas, s’assirent à même le bitume, prisent d’un sanglot caractérisé par une saccades de rire qui glace le sang. Puis reprennent leur course effrénée. Elles se lèvent, perdent l’équilibre, retombent puis courant éperdument à travers les ruelles… Le gémissement des pères retenant difficilement leurs larmes, la gorge nouée… les cris des enfants terrorisés. 

Sur le trottoir de l’hôpital Farès, les corps carbonisés, tel un tableau de chasse, ont été entreposés pour identification. C’était la psychose dans la cité qui a connu un délitement sur une véhémente révolte d’une population blessée dans sa chair. 

Toute la région fut douloureusement consternée à l’annonce de la tragédie. 

Miliana n’oubliera jamais ses Martyrs poste indépendance de ce que fut le terrible incendie du Zaccar. 

Et nourrir la mémoire 

Aujourd’hui, qui est l’élève du passé, doit se dire que la parole et l’écrit de cette tragédie sont moins solides qu’une invulnérable stèle qui rassemble en communion de pensées ce que furent et ce qu’ont enduré ces jeunes moudjahidine, Martyrs du devoir. Nous souhaiterions que le souvenir de ces valeureux qui ont donné leur vie pour leur Zaccar soit pérenne sur la base d’une stèle commémorative que les Milianaises et les Milianais espèrent en faire un lieu de recueillement. 

Pour que le souvenir de cette tragédie ne s’estompe au fil du temps, la société civile, dont les membres sont regroupés au sein de plusieurs associations et notamment l’A.A.M. (Association des amis de Miliana) ont, pour la deuxième fois consécutive, commémoré cette tragique et terrifiante journée dantesque pour la pérennisation de son souvenir qui restera gravé dans la mémoire collective des Milianaises et des Milianais.  

Je  paraphrase Sonia Lahsaini dans sa maxime : «Le temps passe, les souvenirs s’estompent, les sentiments changent, les gens nous quittent, mais le cœur n’oublie jamais.» 

Mohamed-Rachid Yahiaoui 

Un Milianais de coeur 

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