L'Algérie de plus près

Antar, le lion de Bissa

«Cette wilaya IV qui a enfanté des héros, passés sous l’éteignoir, cette wilaya IV qui a enregistré des batailles mémorables passées sous silence. Cette wilaya VI qui s’est débrouillée pour s’armer et s’équiper au détriment de l’ennemi, on veut la faire taire. Heureusement que le colonel Hassan fait un travail de mémoire titanesque. Heureusement que, localement, nous avons Le Chélif pour défricher l’histoire».

Cette tirade a été prononcée par Hadj Abdelkader Klouch après une visite du domicile du défunt Antar. Tirade dite avec un énervement et un agacement jamais observé chez cet homme de loi et de calme comme lui. Je la reproduis à son insu.

Mardi 16 juin 2020, c’est ce jour-là que le bon dieu a choisi pour rappeler à lui Antar, le lion de Bissa, de son vrai nom Abdelkader Embarek, né le 22 février 1936 à Heranfa, dans la wilaya de Chlef. Comme beaucoup de ses compagnons d’armes, il a gardé son nom de guerre, Antar.

A l’image d’un autre grand de la révolution que j’ai reçu dans ses mêmes colonnes quelques jours seulement avant son décès. Je veux parler du regretté Djabsaoulal, que dieu ait son âme. Antar était également de la trempe de ses moudjahidine qui ne faisaient pas de calcul devant l’ennemi. Il fonce ! Cela fait un bout de temps que je voulais l’interviewer pour faire connaitre au grand public ce que lui et ses compagnons ont fait endurer à l’armée coloniale. Hélas, le confinement imposé par le Covid- 19 en a décidé autrement. Embarek Abdelkader dit Antar ou le lion de Bissa ne rugit plus.

Comment Abdelkader Embarek est-il arrivé à embrasser la révolution ? Abdelkader Embarek est parti travailler en France très jeune. Il a suivi les gens de sa «dechra» et quelques copains. C’est justement en métropole qu’Abdelkader a trouvé le prolongement de son initiation à la révolution. La situation de sa famille, de sa dechra, de ses ancêtres, la région devrait titiller les oreilles des connaisseurs de l’histoire de la région, rappelez-vous les «enfumades» du Dahra. On y est en plein. En 1957, ça commençait à sentir le roussi pour Abdelkader en France. Il fallait qu’il déguerpisse pour ne pas être emprisonné, torturé et peut-être donner ses camarades. Il écrit à son père qu’il veut rentrer en Algérie. C’est exactement le moment où son père lui fait passer un message par le biais du téléphone arabe. Voici l’essentiel du texte : «Reste où tu es. Ne reviens pas. Ici, c’est la convocation pour le service militaire qui t’attends. Tu ne vas pas venir pour aller avec les français tuer tes frères. Je n’aurais plus le courage de me montrer devant les gens de ma dechra.»

La réponse envoyée par le biais du même canal disait exactement ceci : «Qui vous a dit que je reviendrai pour faire le service militaire des français et renier les miens ? Je reviendrai et j’irai de l’autre côté avec mes frères pour combattre les «gaouri», les «kouffar». C’était le dernier courrier par téléphone arabe d’Abdelkader à sa famille. Je ne sais par quel autre canal Abdelkader Embarek a prévenu ses parents mais toujours est-il qu’une fois descendu à Heranfa, il fut marié immédiatement à une de ses cousine, Embarek Kheira, qui avait à peine 16 ans. La lune de miel ? Connait pas ! Quelques jours seulement et Abdelkader Embarek est embarqué avec la révolution. Il deviendra vite l’un des grands baroudeurs de la zone quatre de la wilaya IV. Entendre le secteur de Ténès pour ceux qui ne connaissent pas le découpage militaire de la révolution. Ce secteur travaillera avec un autre secteur de la wilaya cinq (côté de Mostaganem). A propos de ce secteur de la wilaya cinq et le secteur quatre de la wilaya IV où fut affecté Abdelkader Embarek, rappelons une des mémorables  batailles, celle d’Oued Erromane, près de Talassa et Mossadek. L’armée coloniale française en a tellement bavé qu’elle a fait appel à la marine pour bombarder les hauteurs d’Oued Erromane.

Après cela, Abdelkader Embarek ou si vous préférez Antar, le lion de Bissa continue de rugir dans toute la zone. Il avait pour responsable Si Abdelhamid et Si Mustapha. Il sera chargé de l’information pour ensuite devenir commissaire politique de la zone quatre sous la direction de Haj Brahim et Hamid Nouredine. Cela n’empêche pas Antar le lion de Bissa de continuer de rugir, surtout à Tazaanount, la partie ouest des monts Bissa où l’armée coloniale a pris une grande raclée. C’est là où mourut en chahid Pierre Guenassia, un juif de Ténès, qui avait rejoint la révolution armée. D’accrochages en escarmouches, Antar, le lion de Bissa continue de rugir jusqu’à l’indépendance.  Quand ses compagnons d’armes courraient vers les biens à acquérir, lui ne voulait que le repos du guerrier. Il rejoint les siens et reprend sa femme. Sa formation de «mounadhal» (militant) qui a pris racine à partir de la Métropole et continué durant la révolution ne s’est pas émoussée durant les années postindépendance, bien au contraire. Il se met au service des prolétaires et des démunis à travers l’organisation syndicale. Il défendra les droits des travailleurs à travers la centrale syndicale UGTA jusqu’à sa retraite. Il prendra une deuxième femme. Les deux femmes cohabitent sans aucun problème avec Antar. Ses enfants que j’ai rencontrés au domicile du défunt vivent en parfaite harmonie. Abdelkader Embarek vivait au quartier du Radar à Chlef, juste à côté de la mosquée de la zone 2. Il a enfanté après l’indépendance neuf enfants. Enfants ? Façon de parler, ce sont des hommes et des femmes. Jugez-en vous-mêmes. L’ainée, Djamila, est née en 1964. Redhouane lui est né en 1965 suivi de Maghnia en 1966 et de Médjahed en 1967. En 1968, c’est l’arrivée d’Abdelkrim et Malika en 1970. Suivi d’un ralentissement de la cadence du vieux lion de Bissa. Il faut attendre huit ans pour voir arriver Mohamed et Guendouz en 1978. Il se rattrape le vieux briscard.  Djamel clôturera la fratrie en  1980.

Je n’étais pas seul ce jour-là, dimanche 21 juin 2020 au domicile d’Antar le lion de Bissa. Je suis allé les voir avec El Hadj Abdelkader Klouch. Celui qui veille sur le peu de moudjahidine qui reste. L’un des voisins a également tenu à nous accompagner, Djilali Zourgane en l’occurrence. La famille me proposa de voir El hadja Kheira Embarek, la veuve d’Antar. Avec ses enfants à mes côtés, elle m’a raconté comment Antar, le lion de Bissa, si dur avec l’ennemi, était simple et doux dans son foyer. Ecoutez-la, c’est mieux : «Il disait toujours qu’il voulait mourir debout. A 84 ans, je lui disais toujours prends garde à toi, tu n’as plus vingt ans. Tu n’es plus au djebel. Tu es complètement ramolli. Il répondait toujours. T’en fait pas, je mourrai debout, je ne pleurnicherai jamais dans mon lit. Comme il ne voulait pas déranger ses enfants ou être dérangé, il dormait dans une petite chambre retirée et vivait dans la simplicité la plus absolu. Il se réveillait ces derniers temps la nuit pour venir me demander : pardon, excuse-moi de t’avoir fait souffrir avec moi. Sentant son heure venue, il demanda pardon à tous ses enfants. Il me demanda de prendre soins de tous ses enfants. Il a réclamé hadj Abdelkader Klouch qu’il appelait affectueusement mon petit frère. Dommage. Maitre Klouch était à Alger pour des soins et ne put revenir à temps. Ce jour-là, on me montra le message de sympathie du directeur des moudjahidines et ayant-droits de Chlef que la famille tient à remercier. La famille remercie également le wali, M. Djari qui a envoyé une lettre de condoléances.    

Khaled ALI ELOUAHED

PS : Certaines informations sur le parcours d’Antar ont été tirées du message du directeur des moudjahidine envoyé à la famille. 

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