L'Algérie de plus près

Agressions des personnels de santé dans les hôpitaux publics : Des médecins du travail en parlent

Face à la multiplication des agressions physiques et verbales contre les personnels de santé publique sur les lieux d’exercice de leur profession, les autorités ont eu la main lourde. Les auteurs des actes de violence ont appréhendés, placés sous mandat de dépôt et certains condamnés à de lourdes peines de prison. Mais est-ce suffisant pour mettre un terme à un phénomène qui ne cesse de prendre de l’ampleur ?

Le président de la république en personne s’est révolté contre cet état de fait et a promis un texte de loi pour protéger les professionnels de la santé où qu’ils exercent et ce, afin de préserver et leur intégrité physique et morale, et leur dignité. Un texte de loi que les médecins, infirmiers, techniciens et même les agents des hôpitaux, polycliniques et centres de santé attentent avec impatience.

Sur l’origine de cette violence, nous avons questionné des spécialistes en médecine du travail qui ont eu l’amabilité de nous répondre. La première question était de savoir ce qu’ils pensent de la condamnation des auteurs d’agressions et actes de violence contre les médecins, infirmiers et autres personnels de santé publique ; la seconde a été de comprendre pourquoi ces agressions répétées contre les médecins et infirmiers dans l’exercice de leur fonction dans les structures de santé publique. La troisième question a été posée ainsi : «Pourquoi tout le monde se tient «à carreau» dans les structures de santé privée ?».

Pour la professeure Zoubida Khoudour, spécialiste en médecine du travail et enseignante à la faculté de médecine d’Alger, «il s’agit d’une question épineuse et fondamentale». Selon elle, «les violences verbales, voire physiques, les agressions verbales, les incivilités en tout genre deviennent le lot quotidien des médecins et des personnels hospitaliers». De prime abord, dit-elle, tout acte de violence doit être condamné. «Mais peut-on condamner quelqu’un qui est venu demander à être soulagé et guéri ?», s’interroge-t-elle. 

Son verdict est sans appel : «Il faudrait plutôt  condamner les employeurs pour ne pas avoir mis  le soignant dans des conditions de travail sécuritaires».

Pour un observatoire national des violences en milieu hospitalier

La professeure considère que pour traiter de la question, il est indiqué d’identifier les causes réelles du problème et d’y répondre de manière adéquate en mettant en place un programme de prévention des actes de violences qui, de son point de vue, relèvent d’une situation de stress   dont les déterminants sont nombreux. Et de les énumérer : «L’accueil est inhumain dans beaucoup de structures de santé publique, le plateau technique est inexistant, lorsqu’un patient se présente, on peut tout au plus lui faire un prélèvement sanguin et un téléthorax… Pour le reste, il est orienté vers les structures privées qui sont mieux loties en moyens matériels».

La professeure Khoudour reconnait que la gratuité totale des soins à l’échelle de l’ensemble des établissements sanitaires publics est un acquis pour les algériens qui l’interprètent comme le droit de bénéficier d’une prise en charge rapide et efficace en considérant que le médecin –et le reste du personnel hospitalier- est à leur disposition.

Poursuivant son constat, elle pointe du doigt plusieurs lacunes dont la raréfaction de la ressource humaine qui, selon ses dires, est un facteur aggravant de ces situations conflictuelles : «Les médecins fonctionnent en flux tendu, en saturation, et peuvent difficilement absorber l’afflux de malades». Ce qui n’est pas le cas dans le secteur privé où, estime-t-elle, «l’accueil est meilleur, les structures propres, l’organisation bonne et, surtout, les gens savent d’emblée que ce n’est pas le «beylik», le public, qui veut dire pour l’algérien que tout est à sa disposition».

La professeure Khoudour donne son point de vue en sa qualité de médecin du travail pour souligner que «les professionnels de la santé doivent pouvoir exercer leur art en toute sérénité et pour cela des textes sur la prévention de la  violence contre les médecins, infirmiers et autres personnel de santé publique doivent être  promulgués». Et de conclure que «la mise en place d’un observatoire national des violences en milieu hospitalier revêt une importance capitale et urgente ».

Victimes d’un système à réformer

Pour le Dr Malika Fernane, maitre-assistante de médecine du travail à la faculté de médecine d’Alger, le dispositif de lutte et de prévention des actes de violence à l’encontre des médecins aurait dû être mis en place «il y a bien des années». Pour elle, la protection des personnels contre les agressions physiques revêt un caractère urgent, «notamment durant cette période très difficile pour les citoyens et, plus encore, pour le corps médical appelé à faire face seul à cette guerre contre la Covid-19». Et de marteler : «Je dis bien seul car les autres dispositions de prévention et de limitation de la propagation de la pandémie n’ont pas suivi ; cette condamnation est plus que nécessaire afin de combattre ce genre de comportement».  

Notre interlocutrice indique par ailleurs, à propos des actes de violence dont est victime le personnel hospitalier, que rien ne peut expliquer ni justifier à ses yeux ce genre de comportement. «Cependant, explique-t-elle, les insuffisances du système de santé dans notre pays font que la qualité de la prestation de soins est souvent moyenne et parfois médiocre malgré tous les efforts que déploie le personnel soignant. Ce personnel est la première victime de ce système et parfois le seul connaisseur des vrais problèmes du terrain qui sont ignorés et /ou négligés par les gestionnaires à commencer par les responsables directs (chefs de services, directeurs des établissements de santé, les directions de la Santé etc.).

Dans la conjoncture actuelle, poursuit-elle, «d’un côté nous avons des soignants épuisés par le système de santé et ses gestionnaires et, de l’autre côté, des citoyens qui accusent ce personnel et le tiennent responsable de toutes les insuffisances. Cette situation déshumanise certains soignants qui deviennent indifférents pour protéger leur intégrité mentale et physique. Cette indifférence, ou plutôt ce mécanisme de défense irrite les malades et surtout leurs accompagnateurs. Ajouter à cela la perte de confiance, le manque de sensibilisation des citoyens et surtout l’absence de sécurisation des structures de santé».

Mme Nadia Kaced, professeure de médecine du travail au CHU de Béni Messous (Alger) déplore tous les actes de violence commis à l’endroit des hospitaliers et estime qu’ils sont condamnables à plus d’un titre. Toutefois, juge-t-elle, «avant de condamner, il faut connaitre les raisons des actes de la violence. Nous traversons une situation particulière et du jamais vu».

Et d’expliquer : «Les soignants, après tout, ont dû manquer de tact dans les premiers mois de la pandémie, par peur d’être contaminés et parce qu’ils faisaient face à un ennemi inconnu. Ils ont aussi manqué de tact ces derniers mois à cause de l’épuisement physique et moral».

La spécialise considère par ailleurs que la population a de tout temps fait montre d’une insolence envers le corps médical et les personnels de la santé dans les structures publiques, et se croyait tout permis. «Cela est constaté depuis des années et tout particulièrement quelques mois avant la pandémie», dit-elle, non sans ajouter qu’elle comprend parfaitement certaines réactions dues, certainement, aux effets et conséquences du confinement. Pour elle, l’effet psychique et les réactions devant la maladie (culpabilité devant le non-respect des mesures barrières pour sa famille quand il s’agit des parents âgés…), font que les gens perdent quelque peu le sens des réalités et deviennent très agressifs.

A propos du comportement presque exemplaire des malades et des accompagnateurs dans les structures de santé privées, la professeure Kaced l’explique ainsi : «Les populations qui fréquentent l’une ou l’autre des structures sont différentes sur le plan socioculturel (et non socioéconomique). Je pense que le privé n’hésitera pas à renvoyer la personne violente sans état d’âme, et ça, les patients et leur famille le savent très bien».

Pour Mme Kaced, «ce n’est pas la législation qui va régler le problème de la violence dans les hôpitaux, surtout en cette période très particulières. «Il serait plutôt indiqué de revoir l’organisation du travail, c’est là que se trouve la solution», conclut-elle.

Propos recueillis par A. Laïb

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *