Sur les terres surplombant la commune de Sobha, le blé n’a pas poussé comme avant. Les épis sont rabougris et les grains minuscules. Les tiges, aussi, n’ont pas grandi malgré les fortes pluies enregistrées au mois d’avril dernier. Il faut dire que la longue période de sécheresse qu’a connue la région y est pour beaucoup dans cette catastrophe agricole.
Boualem Bouhrira, petit propriétaire terrien, affirme qu’il n’a même pas récolté 5 quintaux à l’hectare. Toute la paille, dit-il, tiendra dans un camion de petit tonnage. L’agriculteur est sûr que son blé ne sera pas retenu comme semence. Il sera livré aux minoteries.
Tous les paysans du Dahra qui ont semé le blé vivent une situation identique, imputant les mauvaises récoltes aux aléas climatiques. Mais que peuvent-ils faire d’autres que de labourer, avec un acharnement méthodique, de maigres parcelles épuisées par l’érosion, la chaleur torride des étés chélifiens et le manque chronique de précipitations ?
Djelloul Ghezal, jeune universitaire qui s’est concerti il y a une vingtaine d’années à l’apiculteur, pensait avoir la solution : replanter son bout de terrain en oliviers, figuiers et autres arbres fruitiers rustiques pour venir à bout de l’érosion. Avec ses propres moyens et ses modestes revenus, il a planté plus de 1 300 oliviers. Chaque olivier lui a coûté la modique somme de 400 à 600 DA. Quand il a sollicité l’aide des services agricoles, des forêts et de la chambre d’agriculture, les préposés l’ont pris pour un illuminé. Certains pour un escroc qui aimerait bien profiter des aides de l’Etat.
«Quand le responsable de la chambre d’agriculture m’a reçu, je lui ai appris que je possédais plus de 500 ruches. Il a sursauté et m’a dit que quelqu’un qui porte de pareils habits ne peut être un agriculteur. Il ne pouvait croire que j’étais effectivement agriculteur et éleveur d’abeilles», raconte Djelloul. «Faut-il se présenter en guenilles chez les cols blancs pour qu’ils vous prennent pour un paysan ?», s’est-il interrogé. Il a fallu que le même responsable dépêche une commission d’enquête sur les terres de Djelloul, à Sidi Khelifa Charef, où se trouvent les ruches, pour qu’il se rende compte de sa méprise.
A la seule force des bras
Mais cela n’a pas fait plus d’effets. Djelloul attend toujours que les promesses se tiennent de la part des services agricoles comme ceux des forêts et de l’office national des terres agricoles.
Pourtant, en dépit de l’infertilité des sols de la région, où prédominent la marne et le schiste, le jeune cultivateur a réussi un pari que nul autre n’aurait pu tenir. Ses ruches produisent un excellent miel et ses arbustes ont poussé jusqu’à dépasser la taille d’un homme. Cette performance n’a été possible que grâce à sa ténacité et son amour pour le travail de la terre, lui qui se destinait à une carrière universitaire en sciences et technologie. Au départ, les moyens financiers lui manquaient terriblement et il lui fallait arroser presque quotidiennement son immense verger. Sans l’aide de personne. «Je me fais livrer chaque jour deux à trois citernes d’eau, à raison de 1000 DA par citerne, comme la plupart des agriculteurs de la région», explique Djelloul.
La région, vidée de ses habitants à cause de l’insécurité qui y a régnée des années durant, est dépourvue de tout : il n’y a ni électricité, ni eau potable, ni aucune commodité qui permette aux gens d’exploiter leurs terres de manière soutenue. Des conditions qui n’ont pas découragé notre jeune agriculteur. Il a investi dans un groupe électrogène et des lampes fonctionnant à l’énergie solaire. Il s’est débrouillé pour acquérir plusieurs citernes où il stocke l’eau et pour nourrir les abeilles et pour abreuver ses oliviers. C’est lui-même qui assure la sécurité de ses biens.
La récolte de miel aura lieu dans quelques jours. Djelloul a préparé les tenues et les bottes pour d’improbables travailleurs. Il a même aménagé deux chambres où pourront dormir les travailleurs qui viennent de loin.
Malgré toutes les dépenses et les épreuves qu’il vit au quotidien, Djelloul garde le sourire, preuve de sa forte personnalité. Ce gaillard du Dahra, fier descendant de Sidi Khelifa Charef, le saint homme de la région, ne quitterait pour rien au monde ce bout de terre où ont vécu ses ancêtres.
A. L.