L'Algérie de plus près

L’ascension fulgurante d’un jeune Asnami

Par Youcef El Meddah

Nous sommes donc en 1974. Boumediene est au pouvoir depuis 5 ans avec ses trois révolutions : industrielle, agraire et culturelle. La société est fortement encadrée par le Parti unique de l’époque. Les libertés individuelles sont sous contrôle et le dinar se tenait debout face au franc français. Le prix du livre était soutenu par l’Etat et nous n’avions qu’une seule marque d’huile, de sucre, de semoule et de concentré de tomate.

Mehdi avait 20 ans… On venait de passer le baccalauréat en série «Sciences». Les résultats ont été publiés sur le journal El Moudjahid et diffusés par Radio Alger Chaine 3 en soirée.

A l’entrée en sixième, la mère de Mehdi, atteinte d’une leucémie foudroyante, lui légua cette lourde responsabilité la veille de sa mort : «Tu es un grand garçon maintenant, tu vas entrer au collège, tu vas réussir. Je sais que tu vas réussir parce que tu vas le faire pour moi, et en même temps tu n’as pas le choix car tu es l’ainé des quatre. Tu vas t’occuper de tes frères et sœurs. Je te fais confiance». Mehdi faisait partie des « enfants battus ». Il a vécu, comme beaucoup, dans un climat de violence et de déchirements familiaux depuis sa tendre enfance. Il a fallu attendre 1973, en classe de Terminale, pour qu’il décide enfin de se rebeller contre son père qui voulait le battre et Mehdi s’y est opposé fermement.

Le bac en poche, Mehdi débarqua à Alger en septembre 1974 dans la nouvelle cité universitaire de Bab-Ezzouar et s’inscrivit, comme moi, en tronc commun «Sciences exactes» à l’université du même village car Bab Ezzouar était un village à cette époque. Comme tout jeune de cette époque, il aspirait à réaliser son rêve : devenir ingénieur, se marier, avoir des enfants, une maison et s’occuper de ses frères et sœurs. Bab Ezzouar était à quelques kilomètres de l’aéroport d’Alger – Dar El

Beida. Et on voyait souvent passer les avions juste au-dessus de nos têtes et on s’amusait à reconnaitre les compagnies aériennes.

Puis un jour, son ami Ali lui montra une annonce parue dans un journal. Une société mixte britanno-algérienne organisait un concours de recrutement d’étudiants pour suivre une formation à l’étranger et où la maitrise de l’anglais était exigée des candidats potentiels. Mehdi pensait qu’il avait toutes ses chances puisqu’il estimait que les cours d’anglais de Mme Dessolier étaient suffisants. Et il n’a pas eu tort puisqu’il faisait partie de la dizaine de candidats retenus, dont son ami Ali, sur la cinquantaine qui y ont participé.

Victime des magouilles

Les études en Angleterre devaient commencer par six mois d’anglais dès septembre 1974 avant la rentrée à l’université prévue en janvier 1975. Entre temps, par une magouille qu’il ne comprenait pas, le nom de Mehdi a été supprimé de la liste des reçus au concours au profit du fils d’un ponte de cette époque. Cela ne le découragea nullement et il s’est débrouillé pour partir en Angleterre, sans bourse, avec un aller simple Alger-Londres et 350 Francs en poche !

Mehdi rejoignit son ami Ali à Brighton où il logeait chez une famille d’accueil. La solidarité a joué. Il commença par les petits boulots tout en perfectionnant son anglais par trois heures de cours par jour payants ! La vie n’était pas simple. Il écrivait à son ancien prof de physique du lycée Es-salem d’El-Asnam une carte postale dans laquelle il lui faisait part de ses difficultés financières. En retour, son professeur lui envoie un mandat de 500 francs qui lui seront remboursés des années plus tard dans un restaurant chic de Poitiers.

Une fois le «Cambridge English Certificate» en poche, Mehdi se résolut à s’inscrire à l’université toujours sans bourse. Il va alors voir l’attaché culturel de l’ambassade algérienne à Londres pour lui expliquer l’injustice qu’il a subie en Algérie après sa réussite au concours. L’attaché culturel, sensible à son récit, lui remit une lettre cachetée et lui demanda d’aller la remettre à un responsable du ministère algérien de l’industrie. Ce que fit Mehdi qui se retrouva alors boursier du gouvernement algérien mais le montant de cette bourse ne lui permettait pas de vivre décemment. Il compléta sa bourse en continuant ses petits boulots de barman dans des pubs, discothèque, en donnant çà et là des cours de français, placeur dans des cinémas… Quatre années d’études pour la préparation du Bachelor of Sciences in Electronic (BSC) l’attendaient ! Il n’avait qu’un seul objectif : finir ses études et retourner au pays pour deux raisons au moins : la vie de cadre dont il rêvait et le soutien à son frère et ses deux sœurs ! Mais le contexte de cette époque l’en dissuada. Il redoutait la corruption, le laisser-aller et la dégradation du climat social de fin des années 1970 et début des années 1980…

Fort de ce qu’il a appris en matière de conscience professionnelle, de la rigueur dans le travail et conscient de son potentiel intellectuel, il décida de rester en Angleterre !

A la fin de ses études, son tuteur de la polytechnique de Portsmouth lui conseilla de s’inscrire dans une agence d’intérim. Suivant ce conseil, Mehdi se retrouva alors avec plusieurs missions qui lui étaient confiées chez Marconi, Plessy, IBM les trois plus gros employeurs de Portsmouth.

En 1981, il entama une mission d’intérim chez IBM en même temps qu’il fait la connaissance de son ami Nick qui le dissuada de rester dans cette société même si elle lui a permis de forger ses compétences.

Un jour, il tomba sur une autre annonce d’une société américaine qui cherchait un ingénieur d’application à l’international. C’était son premier vrai boulot sous la houlette de son premier patron Peter qui l’envoyait en mission un peu partout dans le monde mais qui était agacé par son passeport algérien qui ne lui permettait pas de se déplacer librement sans visa. Peter est intervenu auprès du Home Office anglais pour leur demander d’octroyer la nationalité britannique à Mehdi compte tenu du fait qu’il a un boulot stable, est performant, paye ses impôts et a comme projet de se stabiliser dans ce pays. Six mois après cette demande, Mehdi obtient sa seconde nationalité britannique et continua à s’investir dans le marché de la haute technologie avec un credo «privilégier le risque au lieu de la sécurité de l’emploi».

Une compétence ignorée

Et c’est ainsi que chez Telex Memorex, concurrent d’IBM, il est passé d’ingénieur d’application à délégué commercial en charge de l’Europe du Sud incluant la France, l’Italie, le Portugal et la Grèce Sa fulgurante ascension se poursuivait. L’enfant battu d’El-Asnam passa de délégué commercial au poste de directeur commercial de toute l’Europe puis vice-président de son consortium. Belle revanche contre le sort. Son nom commençait à circuler dans le milieu des affaires. Beaucoup réclamaient ses compétences : américains, allemands français… Il s’est investi dans le «stockage informatique» et négocia des augmentations de salaires que ses patrons ne pouvaient refuser. Lorsqu’il atteignait ses objectifs, l’entreprise lui payait une semaine de vacances dans les plus beaux hôtels du monde qu’il rejoignait par avion en première classe.

Malgré ses contraintes professionnelles, Mehdi n’a jamais oublié son frère et ses deux sœurs auxquels il a toujours répondu présent quand ils étaient dans le besoin.

Mehdi l’Asnami, l’ancien directeur des ventes et du développement en Europe, Moyen Orient et Afrique, met à présent son expertise dans le soutien aux jeunes entreprises (start ups) où il partage son savoir-faire dans les différents domaines du développement de l’entreprise.

Fort de ses nombreux succès chez de nombreuses «starts» européennes, africaines et américaines telles que «Cyberflowanalytics» (récemment racheté par Webroot, importante société américaine de cyber sécurité basée à Denver aux États-Unis), il continue sans relâche sa carrière professionnelle.

Il est à présent président d’un groupe de «Business Angels» dans le sud de la France et membre de la gouvernance de la fédération Européenne des Business Angels qui identifie, accompagne et finance des start-ups locales, nationales ou internationales à fort potentiel de croissance.

Et comme tout algérien expatrié, il a voulu participer au développement de son propre pays où il n’a pas été reçu avec les égards dus à son rang. Ce qui n’a pas été le cas au Maroc, Tunisie, Turquie, Finlande, Belarusse, Emirats arabes…

Lorsque le Président Tebboune a nommé un secrétaire d’Etat chargé de la Communauté et des Compétences à l’étranger et deux ministres délégués l’un chargé des startups, l’autre des incubateurs, j’ai voulu signalé au nouveau ministre quelques compétences algériennes qui ont fait leurs preuves à l’étranger. En vain…

«J’ai demandé si peu à la vie – et ce peu lui-même, la vie ma l’a refusé», disait Pessoa.

J’ai si peu demandé à des proches : avoir les coordonnées de ce ministre pour lui faire part de certains projets purement professionnels. Et ce peu m’a été refusé.

Aujourd’hui, avec la malédiction du coronavirus et la chute drastique des prix du pétrole, l’Algérie n’a pas d’autre choix que d’investir dans l’humain, sa seule porte de salut.

Y. E.

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