L'Algérie de plus près

«Je n’ai jamais accepté le changement de nom de ma ville»

Youcef El Meddah, plus connu sous le pseudonyme «Youcef Lasnami», est ingénieur agronome, diplômé de l’Institut national d’agronomie d’El Harrach, à Alger. Installé depuis les années 1990 en France, il revient régulièrement à El Asnam, sa ville, dont il n’a jamais accepté le nouveau nom. Dans cet entretien, il nous parle de sa passion pour sa ville et bien d’autres choses. Ecoutons-le.

Le Chélif : Youcef Lasnami, comme vous aimez à vous nommer, si vous voulez bien vous dévoiler à nos lecteurs.

Youcef Elmeddah : Je tiens d’abord à vous remercier de me donner l’occasion de me présenter aux Asnamis. Je suis un ingénieur agronome issu de l’IINA d’El Harrach. Après avoir débuté ma carrière professionnelle comme enseignant à l’université de Tizi Ouzou, j’ai quitté l’Algérie en pleine décennie noire pour des raisons liées au climat sécuritaire de cette triste époque où j’habitais à El Harrach. Il m’a fallu trois longues années avant de me stabiliser professionnellement en France où j’exerce au ministère de l’Agriculture des missions liées principalement à la formation professionnelle des jeunes, au marché de l’emploi dans le domaine agricole et agroalimentaire ainsi qu’aux dispositifs des certificats dit capacitaires permettant aux professionnels du secteur agricole d’exercer un certain nombre d’activités liées à la protection de l’environnement ou à celles du bien-être animal.

Racontez-nous ce que vous savez sur Chlef, nom que, j’imagine, ne fait pas l’unanimité chez tous les chélifiens.

Je suis un pur Asnami. Je n’ai jamais accepté le changement de nom de ma ville qui n’avait aucun fondement rationnel. J’avais protesté à cette époque, comme bon nombre d’Asnamis, en écrivant à titre personnel au journal El Moudjahid ce d’autant qu’au début l’orthographe du nouveau nom d’El Asnam n’était pas stabilisé puisqu’on retrouvait  les noms de Chéliff, Ech-Chellif, Chlef… Ce n’est que six mois plus tard que le nom de CHLEF s’est imposé. Et c’est par amour pour cette ville dans laquelle j’ai grandi que j’ai adopté le pseudo d’Asnami.
J’ai eu la chance de connaitre El Asnam avant le séisme de 1980 qui l’a déstructurée socialement, économiquement, géographiquement et culturellement. C’était une belle ville propre avec de très beaux quartiers, de magnifiques rues et infrastructures scolaires, religieuses et culturelles très animées. D’ailleurs, sur les réseaux sociaux, il y a de magnifiques témoignages et récits sur la ville. Le plus emblématique site internet qui présente le mieux l’histoire de la ville et de ses personnalités marquantes reste incontestablement le blog «L’Asnamia» de votre collaborateur et ami Hamid Dahmani à qui je rends un vibrant hommage pour son travail et son professionnalisme.

D’où vous vient cet engouement pour la photo ? J’ai remarqué que vous postiez énormément sur votre compte Facebook. Quelles sont les plus anciennes ?

Je suis un grand voyageur. J’ai visité de très nombreux pays dont le nôtre bien sûr et j’essaye de saisir par mes photos ce qui m’émeut, me révolte ou me fait plaisir. Je ne sais pas qui a dit : «Lorsque vous vous servez d’un appareil photo, non pas comme d’une machine, mais comme le prolongement de votre cœur, vous ne faites plus qu’un avec votre sujet». C’est exactement mon ressenti quand je voyage et raconte en photos ce que je vois, entends, sens ou découvre. Je suis, comme beaucoup, amateur des vieilles photos concernant nos paysages, nos villes et villages, nos us et coutumes. Certaines photos dégagent une telle émotion quand elles nous retrempent dans le passé qu’il soit douloureux ou joyeux. Elles sont les témoins d’une époque. Et un de mes passe-temps favori consiste à faire des montages vidéo de ces photos accompagnées par une musique appropriée qui leur donne plus de sens et d’émotions.

M. Elmeddah, comment avez-vous vécu le confinement en France ?

J’habite à Clermont-Ferrand au centre de la France, zone classée verte et donc très peu touchée par la pandémie. Cela dit, ce confinement forcé a déboussolé plus d’un. Le quotidien a été bouleversé par ces contraintes liées aux déplacements des personnes, à la fermeture de quasiment tous les lieux publics y compris de l’administration, le report de tous les rendez-vous notamment médicaux et surtout le télétravail. Lorsque la logistique est au point – ordinateurs performants et sécurisés, bon débit d’internet, il n y a aucun soucis particulier de travailler chez soi. Bien au contraire ! A part les missions qui nécessitent une sortie sur le terrain, on peut aisément continuer nos missions confinés chez-nous. Le principal problème du confinement, au-delà des contraintes citées plus haut, réside dans ses conséquences économiques notamment en matière de chômage toutes catégories sociales confondues. Mais ce problème n’est pas spécifique à la France. Il concerne aussi notre pays.

Rendez-vous visite à Chlef et à votre famille de temps à autre ?

Avant le confinement, je venais en Algérie presque tous les trois mois avec des séjours d’en moyenne une semaine au maximum profitant du moindre jour férié. A chaque fois, j’essaye de découvrir ou revisiter des lieux magiques de notre pays. Ma famille est éparpillée entre El Asnam et Alger. Et le lien avec elle n’a jamais été rompu. La famille reste un refuge et un repère pour moi. Et chaque fois que je viens à El Asnam et que je découvre des choses positives, cela me fait énormément plaisir. Mais je n’ai jamais pu retrouver l’ambiance d’avant le séisme car la plupart des amis et des membres de ma famille sont éparpillés sur des sites en dehors du centre-ville, ce qui ne facilite pas le contact.

Quel a été votre sentiment lors de votre dernière visite. Autrement dit, comment avez-vous trouvé Chlef, votre El Asnam ?

El Asnam a beaucoup changé. Il y a du bon et du mauvais dans son développement. Une ville de paradoxes où le laid côtoie le beau. Comme partout.  Je n’ai pas apprécié les constructions anarchiques et le plan de circulation. Pour ma dernière visite, c’est la dégradation du jardin public, face à la mosquée, m’a terriblement fait mal. En revanche, certaines constructions restent magnifiques comme le musée, la grande mosquée, certains hôtels… La ville a l’air de grandir dans une certaine anarchie mais reste attirante malgré tout. J’en ai profité pour aller me recueillir sur la tombe du chanteur Azzedine accompagné par son fils. Un grand moment d’émotion pour cet interprète caractérisé par sa modestie, sa voix et son incroyable popularité méritée.

C’est vous qui avez fait la relation entre l’ancien prof de physique-chimie, M. Moreau et Le Chélif. Gardez-vous des relations avec d’autres profs du lycée As-Salem ?

Non, hélas, j’aurai bien voulu le faire. Je n’ai retrouvé les traces de Daniel Moreau que par un pur hasard en tombant sur un article de presse locale qui parlait d’un de ses élèves. J’ai été impressionné par les archives qu’il a gardées de ses élèves et du Lycée Es-Salam et de la ville d’El Asnam. Moi-même, j’ai des archives concernant toute ma scolarité dans la ville, primaire, collège et lycée. Beaucoup de mes profs ne sont plus de ce monde. Qui ne se souvient pas de tous ces coopérants qui ont marqué le parcours de ma génération : Nosseir l’Egyptien prof d’arabe, Clary prof de philo, Rivoir prof de maths, Jobert le curé, M. et Mme Boureau, Gérolami l’instituteur, Achit prof d’histoire et bien d’autres…

Un dernier mot pour conclure et merci pour votre disponibilité.

Je suis un lecteur assidu de votre journal qui fait honneur à la ville. Ses articles, ses rubriques, ses photos et son format sont d’une excellente qualité. Le lire est un plaisir. J’espère que tous les numéros son archivés en format papier pour les générations futures. Il serait bon d’envoyer toutes les semaines un numéro à l’Institut du monde arabe à Paris, seule structure qui a archivé Algérie Actualités, journal qui aura marqué ma génération. Je souhaite aux Asnamis et à ma ville tout le bonheur auxquels ils aspirent. Et une très longue vie à votre journal.

Entretien réalisé avec Rachid Ezziane

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