L'Algérie de plus près

Nadji, mon professeur de sport

Par Rabah Saadoun

Longiligne, élancé et droit comme un «i» ! Je me souviendrais tout le temps de mon professeur d’éducation physique et sportive. Issu d’une famille révolutionnaire, il avait une aura indéfinissable et un charisme naturel qu’il garde jusqu’à maintenant. Il s’agit d’El Hadj Abdelkader Nadji.

Abdelkader Nadji se démarquait énormément des autres professeurs, non seulement, par sa taille de véritable sportif mais surtout par sa façon de s’habiller. Je ne l’ai jamais vu, le temps de ma vie d’élève au collège Mouloud Feraoun de Tissemsilt, en tenue de ville, ni sans sifflet accroché sur son cou et son chronomètre à la main. Qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il neige ou qu’il fasse beau, il était tout le temps habillé avec des survêtements, des baskets haut de gamme et une tenue résistant à l’eau quand il lui arrivait de travailler dehors sous la pluie. Des tenues qui nous faisaient rêver nous adolescents à cette époque-là. D’Adidas à Puma en passant par le fameux survêtement de Sonitex de notre glorieuse équipe nationale de 1982 qu’il avait porté un bon bout de temps en guise d’honneur et de fierté de leur fameuse victoire. La nôtre. Eh oui ! Pour son premier match en coupe du monde en Espagne, l’Algérie de Belloumi, Assad, Madjer, avait battu au premier tour l’Allemagne de Rummenige, Schumacher et consorts. Des défilés un peu partout en Algérie au même titre que ceux de l’indépendance.

C’était un professeur qui s’adressait davantage à notre corps mais sans omettre de valoriser le côté intellect de ses apprenants ; il nous transmettait des notions pratiques plus que des notions abstraites. Je ne vous cache pas que j’enviais beaucoup son métier qui combinait la passion pour le sport et la richesse de l’enseignement. C’était avec lui qu’on avait eu la chance de découvrir et d’aimer de multiples activités sportives, qu’elles soient collectives ou individuelles, allant du football au volley en passant par l’athlétisme. Il entretenait avec nous des relations souvent plus fortes que ses collègues. Notre fameux moniteur ne nous faisait pas faire du sport, il nous l’enseignait. Les journées hivernales, il nous guidait vers une classe bien au chaud et on assistait avec lui à une véritable séance théorique au même titre que les autres matières. Un cahier de 96 pages avec son protège de même couleur pour tout le monde et on était obligé de prendre notes de ce qu’il expliquait où portait au tableau. Du texte et du dessin. A chaque fois, c’était des notions sur tel ou tel sport : les dimensions du terrain, le règlement et les règles, le poids et le volume du ballon, le nombre de joueurs et les possibilités de leurs changements, les techniques du saut en hauteur et en longueur, la meilleure façon de passer le témoin du 4 fois 100 mètres etc. Ses notes n’étaient jamais données au pif, bien au contraire. On avait un examen théorique en classe et un autre pratique. Je garde bien au chaud quelques bulletins où ses notes sont mentionnées noir sur blanc avec son écriture et son émargement. Je reconnais que je n’avais pas d’excellentes notes avec lui. Le collégien chétif et fragile que j’étais arrivait mal à suivre la cadence des copains de classe en majorité très costauds. Je compensais souvent grâce à mes connaissances théoriques. Il me donnait juste la moyenne pour ne pas me décourager et j’étais très satisfait car je savais pertinemment que c’étaient des notes justes venant d’un pédagogue juste, sérieux, correct et très honnête. 

Mission du métier

Au début de chaque année scolaire, il savait au préalable qu’il devait initier ses élèves à plusieurs disciplines, en particulier pour ceux qui entamaient leur première année au collège, qu’elles soient individuelles ou collectives, en salle ou en plein air. Si Abdelkader respectait à la lettre le programme de base proposé par l’éducation nationale et, pour cela, il organisait ses cours en amont pour s’assurer d’avoir tout le matériel nécessaire pour pouvoir travailler dans de bonnes conditions et que le cours se déroule dans le strict respect de toutes les règles de sécurité. Gérer correctement les incidents corporels quand ils survenaient. Souvent, il jouait le rôle de l’infirmier en apportant les premiers soins aux élèves blessés au cours de sa séance. Sa boite de pharmacie n’étant jamais loin de lui.

Par ailleurs, il nous transmettait le sens du respect des règles et de l’esprit d’équipe. Enfin, il restait tout le temps vigilant pour que le cours se déroule bien et faisait preuve d’autorité et de dynamisme.

Il était  polyvalent. Il connaissait plusieurs disciplines sportives sous leurs différents aspects : règlement, organisation matérielle, prestation physique, pédagogie, règles de sécurité. Il disposait d’un large éventail d’activités (gymnastique, athlétisme, sports collectifs, expression corporelle) et les enseignait en fonction des équipements (salle de cours, stade, ballons…) du programme scolaire et du projet d’établissement.

Résistant et dynamique, notre professeur était aussi observateur et capable de nouer le dialogue. Il exploitait au mieux ses compétences techniques en proposant des exercices adaptés à ses élèves, de difficulté progressive, et intervenait au plus juste (consignes, corrections, etc.). Ses connaissances en biologie lui permettaient aussi de transmettre des notions d’anatomie. En véritable psychologue, il a aidé pas mal d’élèves à surmonter leurs appréhensions ou leurs peurs, à s’intégrer en classe, à exploiter au mieux leurs possibilités. Souvent, quand le compte n’était pas bon pour former deux équipes, il jouait avec nous et on appréciait beaucoup ce moment de partage. Il se transformait d’un seul coup en copain de classe. Il se moquait des joueurs, attaquait, défendait, trébuchait et tombait et surtout s’énervait quand il ne marquait pas, ou quand un adversaire le bousculait ou tout simplement quand il sifflait la fin de la partie et qu’il était perdant. Eh oui ! Il devenait le joueur, l’arbitre, l’entraineur et le supporter en même temps. Je ne l’ai jamais vu gronder un élève qui n’avait pas ramené sa tenue de sport, volontairement ou pas. Et surtout s’il savait qu’il était pauvre et se retrouvant dans l’impossibilité de s’en acheter une. Empathique et généreux, il exprimait beaucoup de sympathie envers cette catégorie de personnes. Il n’était pas question pour lui de ramener ses parents ni d’aller à la surveillance. Bien au contraire, s’il ne lui offrait pas une tenue, il ne le dispensait pas de la séance et lui demandait de la suivre indirectement en l’impliquant à placer du matériel, à arbitrer ou à prendre notes des chronomètres réalisés par ses copains quand il s’agissait de course.

De la compétence à en revendre

Il faisait appel à toutes ses notions de base de la psychologie, la sociologie, la biologie et même la langue. Eh oui ! Même bilingue, on avait beaucoup enrichi notre vocabulaire linguistique en français avec lui : à vos marques, prêts, partez, flexion, extension, marchez, soufflez, talons aux fesses, genoux à la poitrine, pas chassés,…et j’en passe ! Il s’adressait avec nous souvent dans la langue de Molière qu’il maitrisait parfaitement. Et gare à celui ou celle qui commettait une faute de langue. Il nous corrigeait au même titre que nos professeurs de langue.

Idem pour les connaissances en biologie surtout, on avait appris beaucoup de choses avec lui. A la fin de chaque trimestre et une fois les résultats scolaires connus, il n’hésitait pas à nous faire des remarques. Et là ! On avait vu défiler, de sa part, pas mal de félicitations, d’encouragement et souvent des reproches pour ceux qui obtenaient des avertissements et des blâmes. Il nous parlait à ce moment-là comme un véritable parent qui s’inquiétait pour l’avenir de sa progéniture.

Toutes ces notions, il les utilisait pour gérer ses élèves, les aider à trouver la force physique grâce à la stimulation de leur mental. Ses connaissances en sciences lui servaient à animer ses séances de sport autour d’enjeux de santé (maîtriser son souffle, prendre son pouls avant et après l’effort, comprendre que l’activité physique est bonne pour l’organisme…). C’était un professionnel vigilant qui anticipait les risques, tout en étant suffisamment autoritaire pour se faire respecter.

Si Abdelkader déployait des trésors en matière de pédagogie, outre ses très bonnes connaissances des différentes disciplines : règlements, règles de sécurité, organisation matérielle, capacités physiques… il n’enseignait jamais le sport de la même façon pour les différents niveaux qu’il encadrait. Et même au sein des classes, il gérait parfaitement les différences en créant des groupes de niveaux. Pour lui, tous les élèves ne pesaient pas le même poids, ne mesuraient pas la même taille, n’avaient pas la même musculature et des fois n’avaient pas le même âge. Il était capable de communiquer clairement ses idées, non seulement aux élèves et à leurs parents mais aussi à ses collègues. Il était plein d’atouts de patience, de culture, de condition physique pour pouvoir faire des démonstrations correctes aux apprenants.

Actuellement, retraité, il coule des jours heureux avec ses enfants et ses petits-enfants. Ses problèmes de santé n’ont jamais fait dissiper son sourire au visage… ni l’empêcher d’assister aux différents hommages qu’il avait reçus jusqu’à maintenant. Des hommages à tous les niveaux, que ce soit par sa famille éducative, ses amis, ses proches et par ses anciens élèves dont je fais partie.

El Hadj Nadji Abdelkader restera à jamais gravé dans la mémoire des générations d’élèves du collège Mouloud Feraoun de Tissemsilt qui l’ont eu comme enseignant, éducateur et père au sens profond du terme. Et j’espère de tout cœur que ce modeste hommage lui apportera ne serait-ce qu’un tout petit plaisir. Chapeau bas maitre Nadji ! On vous doit respect et dévouement et nous prions l’Eternel pour qu’il vous protège et vous prête longue vie.

R. S.

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