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Limogeage de la directrice de la Culture et du directeur de la maison de la culture : Les artistes de Chlef désapprouvent


La suspension de la directrice de la Culture de Chlef qui a eu lieu en même temps que celle du directeur de la maison de la culture de la même ville est restée en travers de la gorge des artistes et hommes de culture de la région. Ces derniers s’offusquent de la manière peu galante dont ont été éjectés les deux fonctionnaires par leur ministre de tutelle. 

La nouvelle de mettre fin aux fonctions de la directrice de la Culture de la wilaya de Chlef, Mme Fatima Bekkara, et du directeur de la maison de la culture de Chlef, M. Djilali Dahmani, par la ministre de la Culture, a fait le tour de la wilaya. Cette nouvelle inattendue a fait beaucoup de bruit et n’a pas laissé indifférents les inconditionnels de l’art en général et les artistes en particuliers. Chacun y va de son explication sur les raisons de ce limogeage très discret ou de son commentaire sur les réseaux sociaux en ce temps de confinement pour poser la question récurrente : pourquoi cette décision hâtive et expéditive de la ministre de la Culture ?

Il faut dire qu’à la suite de leur limogeage brusque et jusque-là non expliqué, un mouvement de sympathie sans pareil a été manifesté aux deux fonctionnaires. De l’avis de nombreux citoyens, jamais ici à Chlef un responsable exécutif de la Culture n’a reçu un tel élan de solidarité. La dame, affirme-t-on, de même que le directeur du palais de la culture, maitrisent parfaitement leur sujet et il est incompréhensible qu’ils soient remerciés de la sorte pour une sombre histoire de coronavirus qui n’est nullement justifiée d’après la plupart des citoyens.

Nous avons voulu en savoir un plus sur cette affaire, sur ses tenants et ses aboutissants. Puisque rien n’a filtré de la tutelle, nous nous sommes rapprochés de personnes qui gravitent autour de la direction de la culture.
D’après nos sources, les faits remontent au 14 mars passé, jour où la direction de la Culture de Chlef a organisé, à l’instar de toutes les wilayas du pays, la journée nationale des handicapés et personnes aux besoins spécifiques, en collaboration avec une association caritative, à la maison de la Culture de Chlef. Cette activité a vu la distribution de cadeaux à cette frange de la société faisant suite aux festivités qui étaient programmées du 12 au 14 mars par la wilaya et la direction de l’Action Sociale dans le même lieu. Par la suite nous, nous a-t-on affirmé, Mme Bekkara, a reçu de la part de la ministre de la Culture un courrier lui signifiant de suspendre instamment toutes les activités culturelles suite à la propagation de l’épidémie de coronavirus.

D’après nos interlocuteurs, d’aucuns ont pensé que la directrice a entravé la décision ministérielle pour avoir organisé une activité culturelle. De plus, nous a-t-on dit, une rumeur a circulé sur la présence d’un cas suspect de coronavirus parmi les personnes invitées à la cérémonie du 14 mars 2020. La ministre de la Culture se serait basée sur une information publiée sur un journal qui a repris un post publié sur Facebook dénonçant la présence d’une personne affectée par le coronavirus qui aurait été parmi les présents à cette journée. Le post ajoute que la directrice de la culture de Chlef n’a pas respecté la consigne d’arrêter les activités culturelles.

Notre interlocuteur précise pour que, pour la date du 14 mars dernier, il n’y avait pas de fête, mais une cérémonie en l’honneur de quelques familles démunies, auxquelles ont été remis des cadeaux et des distinctions de la part de l’association‏ «Sonaa el amel» (les faiseurs d’espoir) à l’occasion de la journée nationale des handicapés. Cette activité été programmée de longue date.

On nous précise que la journée du 14 mars a été célébrée à travers toutes toutes les wilayas du pays par les autorités locales. Il n’y avait à ce moment ni instruction de confinement total, ni aucune instruction ministérielle d’arrêt des activités culturelles.

On nous précise encore une fois que, pendant la cérémonie organisée le 14 mars écoulé à la maison de la culture, il n’a été relevé aucun incident ou information concernant la présence de personnes atteintes de coronavirus. D’ailleurs, a-t-on ajouté, il y avait peu de monde, c’était une cérémonie en hommage aux gens du théâtre et aux handicapés. Sauf que quelqu’un de malintentionné a balancé une fausse information sur les réseaux sociaux indiquant qu’une personne suspectée d’être atteinte du coronavirus était présente ce jour-là parmi les invités à la maison de la culture. Sans donner des précisions et autres détails ou apporter une preuve formelle sur cette information qu’il a partagée sur Facebook. Un journaliste d’Alger a repris cette information qui a circulé sur les réseaux pour en faire un article qu’il a publié sur son journal. La ministre de la Culture a découvert l’information sur le journal. Elle prend aussitôt la décision de mettre fin de de fonction aux deux responsables à Chlef sans qu’il n’y ait au préalable une vérification des faits rapportés par le média écrit. La moindre des choses, nous dit-on, elle aurait dû envoyer une commission d’enquête sur les lieux pour vérifier la véracité de l’information.

D’après notre source, la ministre de la Culture n’a pas pris en considération le rapport envoyé par la directrice de de la Culture de la wilaya de Chlef où sont expliqués en détail tous les faits en rapport avec l’affaire. Elle a maintenu sa décision de mettre fin aux fonctions des deux cadres de la culture de la wilaya de Chlef le 19 avril 2020, ne tenant compte d’aucun recours envoyé par cette dernière.

La question que tout le monde se pose ici à Chlef est la suivante : «Est-ce que cette directrice de la Culture fait l’exception quand on sait que les journées du 14 et 19 mars ont été fêtées sur tout le territoire algérien, dans les maisons de la culture.

Par ailleurs, le premier cas de coronavirus suspect a été déclaré par le ministère de la Santé le 21 mars 2020, ce qui veut dire que l’information divulguée par le «Facebooker» de Chlef est fausse. Concernant le cas suspect présumé, c’est au niveau du CREPS qu’il a été découvert quelques jours après la date du 14 mars. Cette information peut être vérifiée au niveau de la direction de la santé et de la population de la wilaya de Chlef.

Autre question que se pose les personnes au fait de cette affaire : ourquoi la ministre de la Culture, qui dispose des compétences de nombreux fonctionnaires n’a pas voulu diligenter une commission ministérielle pour faire une enquête ? Il aurait été facile d’effectuer des vérifications auprès des services de sécurité, de la direction de la Santé ou, tout simplement, en appeler directement au premier responsable de la wilaya, le wali en l’occurrence, qui doit certainement savoir ce qui s’est vraiment passé en cette période à Chlef.

Notre interlocuteur, comme tant d’autres personnes proches des milieux de la culture, désapprouve totalement cette décision unilatérale, qui ne respecte nullement les modalités disciplinaires. Comment peut-on mettre fin aux fonctions de directeur pendant cette période critique et de confinement à cause du coronavirus, de surcroît en plein mois de ramadhan ?

Pour beaucoup de cadres qui ont préféré garder l’anonymat, la directrice de la Culture n’a fait qu’appliquer un programme tracé auparavant par la wilaya. C’est cette dernière qui, normalement, devrait dire son dernier mot sur cette affaire ; c’est à elle de confirmer ou d’infirmer cette information de cas suspect de coronavirus.

Il n’y a pas de raison valable de mettre fin aux fonctions de ces cadres de façon aussi expéditive sans apporter une preuve tangible à une faute imaginaire, qui plus est basée sur une fausse information. La wilaya de Chlef a besoin de tous les cadres qui ont démontré leur compétence et leur sérieux à la tâche en boostant le secteur de la Culture et ce, malgré la crise financière qui l’étrangle.

En tout cas, ici, à Chlef, les citoyens ont souhaité que la décision de limogeage soit prise après enquête et ce, d’autant que la ministre est nouvelle dans ses fonctions et ne connaît donc pas personnellement tous les cadres de son secteur. Quelques cadres désapprouvent cette manière d’agir, estimant que nul n’est à l’abri d’une sanction arbitraire.

Des membres d’associations, des artistes et des hommes de culture espèrent, de leur côté que toute la lumière doit soit faite sur cette affaire qui a surpris plus d’un, la regrettant cette décision inattendue. Certains demandent d’ailleurs la réhabilitation des deux fonctionnaires et leur réintégration rapide à leurs postes initiaux pour l’intérêt général de la culture à Chlef.

Hocine Boughari

Ils ont dit :


Abdelkader Hor, comédien :

«Je déplore la situation incompréhensible que vit actuellement la direction de la Culture à Chlef suite à la mise à l’écart de cette dame qui respire la culture nationale dans toute sa dimension. En tant qu’artiste et comédien, avec ma troupe théâtrale, les portes de la direction de la Culture ont été tout le temps ouvertes depuis l’arrivée de cette directrice à Chlef. Comme c’était le cas où elle était à la tête de la direction de la Culture à Ain Defla. Je suis très peiné de cette décision que nous trouvons irréfléchie de la part des autorités centrales, il serait plus judicieux de revoir son cas et procéder à sa réintégration pour l’intérêt général de la culture à Chlef qui commence à battre de l’aile après un sursaut significatif cette année où elle a apporté un nouveau souffle par son dynamisme et son savoir-faire dans le domaine artistique».

Bensaada Nasreddine Amari, amateur de chaabi:

«Je vous avoue une chose et sans parti-pris, cette dame mérite d’être honorée pour le travail qu’elle a accompli à la tête de la direction de la Culture à Chlef, elle nous a fait oublier son prédécesseur Rachid Nemili, ce qui n’était pas chose facile. Je témoigne qu’elle a pris en charge de toutes les associations culturelles auxquelles elle a facilité la tâche en donnant à chacune des chances pour rebondir et progresser dans leurs domaines artistiques, sans distinction aucune, cela malgré les restrictions budgétaires, elle se démenait avec les moyens du bord pour apporter son aide et organiser les activités. Je trouve inadmissible et incompréhensible cette mise à l’écart qui ne dit pas son nom. Une publication d’un Facebookiste, sans qu’elle soit vérifiée, fait vivre à une fonctionnaire compétente une déconvenue pareille et les responsables locaux ne bougent pas le petit doigt pour infirmer ou confirmer cette information qui ne tient pas la route ? Ce genre d’attitude ne travaille en aucun cas les intérêts de la culture qui, déjà, avant sa venue, accusait beaucoup de retards».

Mohamed Bachouchi, association «académie de la mémoire» :

«Pour moi, cette dame est la meilleure directrice de la Culture qu’ait connue la wilaya de Chlef de par ses grandes connaissances, sa grande expérience, sa présence continue et son engagement sans faille au service de la culture à Chlef. En tant que président de l’association «Académie de la Mémoire Algérienne» de la wilaya de Chlef, elle nous a toujours accompagnée professionnellement dans nos activités en apportant l’aide nécessaire et sa grande contribution pour la réussite des événements programmés. Rien que la dernière fois, elle a honoré à Chlef un moudjahid de Sétif qui habite toujours dans cette wilaya pour s’être enrôlé et avoir combattu dans la katiba El Karimia. Cette dame respectable et respectueuse mérite plus d’égard auprès des autorités locales et nationales pour ses engagements nationalistes et patriotiques. Nous souhaitons vivement son retour parmi la famille révolutionnaire pour son écoute et sa disponibilité à toute épreuve au service de l’intérêt général. Nous restons solidaires avec et contre cette décision inexpliquée de la ministre de la Culture jusqu’à preuve du contraire».

Amari Bendenia, chanteur de «bedoui» :

«Nous sommes consternés par la triste nouvelle de fin de fonction de la directrice de la Culture, je ne l’ai su que dernièrement, d’après ce qu’on m’a raconté, sa mise à l’écart par la ministre de la Culture aurait été motivé par la présence d’une personne suspectée d’être infectée par le nouveau coronavirus parmi les invités à la cérémonie du 14 mars dernier. Je vous l’affirme : j’étais présent en tant qu’invité à cette journée du 14 mars, l’activité s’est déroulée normalement, je n’ai rien remarqué, et le virus à cette époque ne s’était pas propagé chez nous, il n’y avait par ailleurs ni recommandations ni instructions concernant cette épidémie. Cette affaire ne tient pas la route. Je dirais une chose sur cette directrice avec laquelle j’ai beaucoup travaillé, elle était tout le temps à l’écoute et disponible à nos demandes d’organisation de fêtes de chant «bedoui», elle maîtrisait parfaitement cet art et avait beaucoup de connaissances sur les musiques traditionnelles et la culture en général, elle a relancée beaucoup d’activités culturelles, elle était appréciée pour sa simplicité et sa disponibilité pour tous les artistes confondus. Je souhaite son retour parmi nous pour éviter une autre cassure de la relance culturelle».

Djamel Megharia, chanteur de chaabi :

«Comme tout le monde, j’ai appris la nouvelle qui m’a choquée, surtout la cause : une information qui reste toujours à vérifier, véhiculée par un «Facebookiste» et publiée sur un journal sans qu’elle soit vérifiée… C’est à ne rien comprendre ! Je pense qu’il aurait été plus judicieux que les services concernés diligentent une enquête pour en savoir plus et prendre les décisions qui s’imposent. Je connais cette dame depuis qu’elle était directrice de la Culture à Ain Defla, elle maitrise parfaitement son domaine, elle a fait du bon travail dans cette wilaya, je l’ai encore revue à Chlef, nous avons réalisé ensemble quelques activités culturelles, elle était très réceptive malgré la conjoncture nationale qui ne s’apprêtait pas, elle a relancée le secteur, elle était en train de faire du bon travail, comme son prédécesseurRachid Nemili, je trouve désolant qu’elle soit stoppée dans son élan de manière aussi brutale. Je souhaite que la ministre revienne sur sa décision trop hâtive et la réintègre à son poste pour finaliser son programme sur la relance culturelle à Chlef».

Mourad Kerdjadja, chanteur de chaabi :

«Je suis choqué par cette mauvaise nouvelle. Pour une fois, la wilaya de Chlef a eu la chance d’avoir une directrice de la Culture à la hauteur des attentes de la population chélifienne, elle a initié  un programme de «sursaut» culturel en ouvrant toutes les portes des institutions de la culture aux artistes, jeunes et moins jeunes, ainsi qu’aux associations. Elle vient d’être mise à l’écart, ce qui a stoppé net son travail, comme son prédécesseurRachid Nemili. Pourquoi bon dieu à Chlef les meilleurs n’ont aucune chance de terminer leur travail dans cette wilaya ? La question reste posée encore une fois pour cette dame qui a aidé tous les artistes sans exception à progresser en un temps très court, elle était tout le temps à l’écoute, surtout, nous les jeunes et les associations culturelles qui présentent un programme. C’est une grande perte pour nous les artistes, toutes tendances confondues, et pour la population de Chlef. Je souhaite sa réintégration à son poste sans délai pour l’intérêt général de la culture à Chlef et en reconnaissance de tout le travail qu’elle a accompli depuis qu’elle est là».
Propos recueillis par Hocine Boughari

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