Du jour au lendemain, et comme par un coup de baguette magique, les rues de la ville de Tissemsilt sont redevenues presque vides. Et pour cause, tous les commerces ré-autorisés à exercer leurs activités, en ce début du mois de ramadhan, ont baissé rideau.
La majorité des commerçants approchés regrettent amèrement la décision des autorités de fermer à nouveau leurs locaux à peine dix jours après avoir été autorisés à reprendre du service pour non-respect des gestes barrières et des consignes de distanciation sociale à l’intérieur et à l’extérieur de ces commerces. Ils se disent être victimes de l’indiscipline des citoyens.
«Elles ont raison d’avoir peur de la propagation du coronavirus et même nous on ne veut pas être contaminés mais on a été pris au dépourvu. Nous ne sommes pas responsables du comportement des clients. On a respecté au maximum les mesures de prévention à l’entrée et à l’intérieur du local. Outre le marquage au sol, on ne laissait passer que deux clients à la fois. Les deux employés que j’embauche portent des bavettes et désinfectent au fur et à mesure les articles et le moindre coin et recoin du local», s’indigne Dahmane, propriétaire d’un commerce d’habillement. Et d’ajouter : «Même si on a enregistré des pertes sèches depuis le début du confinement, on n’a pas d’autres choix que de nous soumettre à la décision des autorités. Espérons seulement qu’on nous indemnise correctement car les 10 000DA dont on parle ne peuvent couvrir que les achats alimentaires de quelques jours de ce mois de ramadhan. On a trop de charges à payer».
Da Amar quant à lui ne comprend pas pourquoi les commerces d’électroménagers ont été interdits d’exercer. «Les clients ne se bousculent pas chez nous, nous dit-il ; on ne reçoit que quelques personnes par jour à la recherche d’un téléviseur, d’une machine à laver, d’un climatiseur ou d’un fer à repasser. Avez-vous vu des clients faire la chaine ou se bousculer pour acheter un réfrigérateur ou une télé plasma qui coûte pas moins de 4 millions de centimes ? On s’étonne donc que les autorités nous mettent à la même enseigne que les commerces d’ustensiles de cuisine ou ceux des vêtements et des chaussures. On aimerait bien qu’elles revoient cette décision».
Une politique de deux poids deux mesures ?
Pour lui, «les quincailleries, par exemple, reçoivent plus de clients que nous. Les bureaux de tabac, idem. Il y a du deux poids deux mesures dans tout cela ! Nous espérons que les autorités réétudient notre cas dans la mesure où nos commerces ne posent pas du tout problème pour ce qui est de la contamination».
«Je ne suis que locataire et je vends aussi par facilité de paiements. Je reçois pratiquement chaque deux ou trois jours un client qui vient honorer son échéancier. Comment voulez-vous que je récupère mon argent si je reste fermé tout le temps et par quoi vais-je payer toutes mes charges ?», nous dit-il en lançant un grand soupir qui en dit long sur son ressenti.
D’autres commerçants, particulièrement les pâtissiers, ont subi de grosses pertes par rapport à l’investissement financier, matériel et recrutement du personnel qu’ils ont fait. Djelloul, à titre d’exemple, qui s’est montré très désappointé, nous crie presque à la figure : «J’ai jeté, le jour d’après la décision de nous interdire d’exercer, presque un quintal de pâte de semoule que j’ai travaillé, bonifié et laisser fermenter toute une nuit pour la préparation de la «z’labia» et du «qalb ellouz». «H’ram» ! Pourquoi elles (les autorités) se comportent ainsi avec nous ? On n’est pas responsable du tohu-bohu qui s’est formé devant nos commerces. On a fait de notre mieux pour organiser la vente de nos produits. Il fallait voir au niveau des citoyens qui étaient indisciplinés. Les services de sécurité pouvaient faire quelque chose dans ce sens. Je n’attends que ce mois de l’année pour faire un peu plus de bénef pour pouvoir subvenir aux besoins de ma famille, payer mes employés, payer le loyer et amortir plus ou moins toutes les charges (électricité, eau, gaz, sécurité sociale, impôts…). En outre, je me suis endetté jusqu’au coup pour pouvoir acheter plein de matières premières pour mon commerce : de la semoule, de l’huile, du sucre, de nouveaux ustensiles etc. Certes, la santé passe avant tout mais je suis vraiment abattu ».
Chauffeurs de taxi, la panne sèche
Les coiffeurs de leur côté souffrent énormément de la fermeture de leurs salons et se disent très affectés par cette décision qui a touché directement leurs poches. «On a été très heureux de rouvrir nos salons et on a respecté toutes les mesures de prévention demandées. Au moment où on a commencé à respirer un peu, cette décision d’interdiction nous est tombée sur la tête comme un couperet», témoigne Abdelkader, coiffeur au centre-ville de Tissemsilt.
Quant à Bentamra, chauffeur de taxi en ville, c’est la panne sèche : «Depuis l’interdiction de circuler pour tous les transports, je me suis retrouvé au chômage», se plaint-il. «Heureusement, ajoute-t-il, que j’ai mis quelques économies de côté qui me permettent de subvenir aux besoins de ma petite famille. Autrement, je n’aurais trouvé d’autre solution que de frauder au risque de me faire retirer mon permis de conduire qui reste mon seul gagne-pain. Et je ne vous le cache pas que je le fais à chaque fois que l’occasion se présente. Mais ce qui m’inquiète le plus, c’est la durée de ce confinement. Je suis vraiment stressé à l’idée que la situation s’éternise car je vois chaque jour mes maigres économies se réduire comme une peau de chagrin. Certains commerces ont bien été autorisés à exercer et pourquoi pas nous ? On est prêts à respecter toutes les conditions et les mesures de prévention exigées, quitte à ne prendre qu’un seul client à la fois sur la banquette arrière, donc il y a une certaine distanciation, à mettre la bavette et utiliser le gel hydro-alcoolique. Et l’indemnisation de 10 000 DA dont on parle, où est ce que vous voulez que je la mette ? Acheter des denrées alimentaires pour quelques jours de ce mois de ramadhan ? Payer la licence de taxi que je loue au prix fort ? Mettre de l’essence avec ? Réparer les multiples pannes de ma vieille Atos ?». «Rabi jib el khir w yarfaa alina hada el wabaa» (Espérons le bien et que Dieu nous protège de cette pandémie) finit-il par nous dire.
En tous cas, la décision prise par les pouvoirs publics concernant la fermeture de plusieurs commerces à travers le territoire de la wilaya de Tissemsilt pour non-respect des mesures de prévention concernant le coronavirus a été accueillie différemment par les commerçants et les citoyens Tissemsiltis. Si ces deniers ont salué la décision en la jugeant logique vu l’augmentation du nombre de cas confirmés de coronavirus depuis le début du mois sacré, il n’en demeure pas moins que les commerçants se disent préoccupés par les répercussions négatives que va engendrer cette décision sur le plan financier. Surtout pour ceux qui ne sont que locataires et ils sont nombreux.
R. S.