L'Algérie de plus près

Une mercuriale à vous couper l’appétit

Par Hamid Dahmani

C’est dans ces moments pénibles et douloureux dus à la propagation mortelle de l’épidémie de coronavirus que débute, cette année, le mois du Ramadan dans le pays. Un mois sacré fait de contraintes, surtout sanitaires, pour faire face au Covid-19. Parmi les mesures prises par les autorités supérieures du pays pour se protéger du virus, nous avons le couvre-feu instauré de 17h à 7h du matin pour les wilayas peuplées comme Alger et Oran, entre autres, et entre 17h à 7h pour les autres, le confinement quasi-obligatoire, le port de bavette et de gants, l’usage de gel désinfectants et la distanciation sociale pour éviter la contamination.

Les commerçants ne semblent pas être apeurés par cette pandémie dévastatrice ni craindre le bon dieu durant ce mois qui est pourtant dédié à la charité et aux bonnes œuvres. Les boutiquiers malhonnêtes, il y en a beaucoup qui font fi de la loi et qui n’ont aucun sentiment ou marque de respect pour les jeûneurs. Ils jurent sur la tête de leurs enfants et sur le «mas’haf» (le Coran, ndlr), qu’ils n’y sont pour rien dans cette subite augmentation des prix des fruits et des légumes.

Les détaillants jettent l’entière responsabilité sur les grossistes et vice-versa pour se disculper de l’accusation portée contre eux même s’ils sont pris en flagrant délit de triche.

Il faut dire que, chez nous, les spéculateurs sont des gens puissants, ils ont de gros bras qu’ils se sont forgés dans ce jeu du chat et de la souris avec l’autorité de contrôle. Preuve en est, la subite envolée des prix des produits de consommations courante à la veille de chaque fête religieuse est devenue courante dans le pays depuis des décennies. Ce sont les dignes fils de Mercure, le dieu du commerce et des voleurs. Donc, comme à l’accoutumée, les mauvaises habitudes reviennent chaque fois avec le mois sacré, parce qu’elles font partie des pratiques usuelles consignés dans notre précieux terroir et très bien suivies pour être plus que jamais pérennes.

Les bouchers sont bouchés, les boulangers sont dans le pétrin et les marchands de carottes sont mobilisés kif-kif, redoublant d’effort dans leurs folies carnassières héritées du temps béni de la totale impunité. Ils se frottent déjà les mains pour nous saigner comme il se doit. Ces trompeurs sont trop polis pour être corrects avec le consommateur. Faut pas rigoler ni marchander avec ces gens malhonnêtes. Ce sont de véritables rapaces, des adeptes de la spéculation et du mensonge.

Ramadhan, ce sont trente jours déclarés portes ouvertes de liberté des prix par ces commerçants perfides pour se remplir les poches indélicatement. C’est aussi trente jours de traversée du désert pour les pauvres  jeûneurs victimes du vol commercial et du laxisme des contrôleurs des prix et de la qualité.

«Saha ramdhanek  aami El hadj… Qu’est-ce que je vous sers ? De la salade à 120 dinars ? Ou des tomates à 120 dinars ? Y a aussi de belles carottes à 100 dinars…? Ou bien, alors chouia kiwi pour rendre la joie à la table… sinon, il y a des fraises à 250 dinars !!?? Aami, ne faut pas être trop pingre, je vois que tu as une très mauvaise mine de bon matin.  Tu sais aâmi elhadj, les «Tobba» (médecins) nous recommandent de manger au moins 5 fruits et légumes par jour pour avoir la pêche!».

«Non, merci mon fils! wedjehek kheir  » (Ton visage vaut mieux que tout ça pour moi). Je préfère rester sur mon abstinence».

Le couffin du ramadhan est tristounet, c’est la flambée des prix qui en est la cause. Pour une poignée de légumes, nous devons tousser plusieurs fois avant de nous décider à sortir notre timide portefeuille. Les fruits et légumes n’ont plus le parfum d’antan. Ils sont maudits. Et la baraka du passé s’est envolée. Et les pauvres sont distancés par les riches. Et le dinar fatigué ne vaut pas un clou rouillé dans tous nos achats.

Le lendemain, deuxième jour de carême, la langue pâteuse, le gosier sec et les yeux bouffis, j’avais la grande dalle, je suis allé au marché de la ville pour faire mes emplettes et je suis tombé dans une embuscade préparé par les esprits du mal qui m’attendaient au tournant du marché découvert. Un guet-apens dressé finement avec fourberie au nom des hors la loi, avec une arme fatale brandie à la main, une mercuriale du jour bien aiguisée à vous couper l’appétit.

«Ch’hal le poulet, khouya ?   450 dinars l’unité ! Et la viande  hachek ?» 

«1350 DA le kilo pour les petits amis ! Prenez votre temps, mon cher, chouf et admire la qualité ! Il y a de l’agneau, du bœuf, de l’escalope… Ici, on ne vend que de la viande fraîche!»

Devant moi, il y avait une vitrine ou étaient présentées des morceaux de viandes posés t pêle-mêle avec des prix plantés dessus qui donnaient le tourniquet. Une dame à côté de moi attendait et regardait, sans dire un mot, les prix assommants.  Elle tenait par la main une petite fille qui n’arrêtait pas de gigoter et de chanter «Mama djebete bébé!»

«Et la petite tranche de «kebda» (foie), c’est combien, s’il te plait ?». «Ah ça ! C’est sur prescription médicale, il faudrait voir avec ton médecin conseil et ta carte «chiffa».  Ah!ah! Ah!…».

«Tu n’aurais pas par hasard du polonium ?

C’est quoi ça, aamou ?»

«C’est du tabac à priser, c’est bon à snifer et c’est bon pour les temps de disettes… Ah, quelle belle journée !»

Le f’tour du ramadhan n’est plus copieux comme il l’était autrefois et ses veillées nocturnes ont perdu leur superbe d’antan. Le loup est dans la bergerie ! Et quand on crie au loup ! On nous répond : Deymen par Allah ghaleb!  C’est l’offre, la demande et le schmilblick qui sont responsables de la forte inflation.

«Saha siamkoum et saha ftourek!» Est une marque « brevetée SGDG » du pays en mal de gouvernance ? 

Une douce mélodie accompagne chaque jour notre chorba du jour.

«Rana mazal waqfine !» (Nous sommes toujours debout. Wallah, c’est prodigieux ! Quelle prouesse pour les défenseurs de «regda w’tmangi » en HD. Moi, je n’ai rien compris à cette chansonnette aux allures de «Bourda» pleine de fausses notes, de couleurs déboutées et de rimes contraire à la réalité. Qui sont ces vivants?

C’est vrai que la pauvreté demeure toujours debout en surface et que les misérables sont dans la mélasse dans cette impasse et qu’ils ne sont pas admis au panthéon de la vie. La misère est toujours visible et «wagfa –dima», dans les chaînes immenses qui se constituent du matin au soir devant les bureaux de l’administration provoquée par la bureaucratie et l’inertie qui nous colle au corps comme une peste. Il faut aller voir du côté de la mairie, de la poste, de la daïra, des hôpitaux… et des trottoirs pour le croire.

Se nourrir modestement durant le mois sacré du ramadhan est une grande épreuve pour les fidèles jeûneurs. La société est polluée par les microbes qui souillent nos moments de quiétudes et de piété. Dans ce bled «les petits voleurs» ne se contentent pas de voler un œuf mais tout le poulailler et même le bœuf en plus… quand ils y sont.

L’argent, c’est le nerf de la spéculation, de l’inflation et de la corruption dans cette désastreuse économie de l’informel. Le peuple est affaibli par ces défis. Il est seul au monde. En fin de compte, «que peut faire un mort entre les mains de son laveur» ?

H. D.

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