L'Algérie de plus près

La chauve-souris, une légende qui s’impose comme une réalité

Par Abdelkader Guérine*   

La chauve-souris. En somme, la  souris qui vole. Répertoriée dans l’ordre des Chiroptères, douée d’un vol actif, la chauve-souris compte 1300 espèces regroupées en quelques 170 genres classés en 20 familles. L’histoire évolutive de cet animal n’est pas assez connue, mais les restes fossilisées retrouvées par les archéologues, en 2007 seulement, racontent que ce chiroptère a existé sur terre depuis environ 50 millions d’années. Nocturne, la chauve-souris a les sens de la vision et de l’ouïe très développés pour s’épanouir aisément dans des endroits obscurs. Insectivore, frugivore aussi, elle repère ses proies grâce à sa capacité d’écholocation. Elle émet des ultrasons imperceptibles par l’oreille humaine, lesquels réfléchissent des échos qu’elle capte afin de se frayer une bonne orientation, et pour détecter sa nourriture et pour éviter les obstacles dressés dans l’obscurité.

La légende et la mémoire populaire décrivent la chauve-souris comme un animal horrifiant malgré son air docile et son tempérament silencieux. Longtemps persécutée, elle est souvent assimilée à la nuit, ses fantômes et ses manifestations d’esprits extraordinaires. Elle s’associe également aux deuils, aux funérailles, à la peur et à la mort. Ces prétendus maléfices sont des préjugés liés à sa silhouette étrange et au monde lugubre dans lequel elle évolue. Cet aspect épouvantable a inspiré beaucoup d’œuvres artistiques dont certaines sont une partie intégrale de la culture universelle. Les personnages de Dracula dans la littérature ou de Batman dans le cinéma fantastique en sont des modèles mythiques.  

C’est un animal mystérieux, inconnu malgré sa proximité de l’homme. Le seul mammifère capable de voler sur des distances importantes. Son caractère noctambule en fait un animal secret et énigmatique. Sa couleur grisâtre et sa forme qu’elle tient du rat font que cette bête soit redoutée, malgré ses rapports paisibles avec l’homme et sa tenue à l’écart de ce dernier. Ses ailes, larges en comparaison avec sa petite physionomie, s’ouvrent comme le mat d’un voilier lorsqu’elle voltige dans les airs, se referment et se déploient autour d’elle, à la manière d’un parapluie, pour lui servir d’habitat qu’elle accroche aux murs de son espace de vie.  

Cet animal volant vit dans des communautés de plusieurs centaines, voir des milliers, de chauves-souris. Ses lieux de prédilection sont les cavernes, les souterrains, les greniers des maisons ou les endroits ombrés comme les arbres denses, le dessous des ponts, les tunnels d’égouts, les anciennes carrières et les caves creusées dans la nature. Ces gîtes constituent des lieux d’hibernation pour ces colonies de chauves-souris. Suspendus aux plafonds des cavités sombres,  males et femelles se mêlent pendant la saison fraîche de l’accouplement et de la reproduction. Certaines espèces de chauves-souris sont migratrices. Elles font de ces endroits des points d’escale avant de transiter de continent en continent.  

Néanmoins,  ces territoires éloignés du soleil sont humides, chauds et mal aérés. Ces caractéristiques climatiques et biologiques impures favorisent généreusement la prolifération d’agents pathogènes, comme les bactéries, les microbes, les champignons, les levures ou les virus, qui peuvent provoquer différentes maladies chez l’homme, l’animal et les plantes. On se demande alors comment les chauves-souris arrivent-elles à évoluer dans des conditions aussi infectes. Comment peuvent-elles supporter les agressions de ces éléments chimiques nocifs ?  C’est simplement grâce à leur système immunitaire unique dans son genre. Un organisme de défense qui leur permet de cohabiter avec ces corps étrangers sans qu’elles n’en soient infectées par les maladies qu’elles narguent. Aucune autre créature vivante ne dispose d’un arsenal de protection anatomique pareil à celui de la chauve-souris.

Un système immunitaire est un ensemble de mécanismes physiques et génétiques complexes qui servent à la reconnaissance et à la destruction des parasites intrus à la composition organique des êtres vivants. Le rempart défensif commence par la peau externe, puis par les tissus qui recouvrent les voies digestives et respiratoires, allant jusqu’à la barrière des cellules résidentes dont le rôle consiste à réguler le fonctionnement des appareils physico-chimiques en empêchant l’intrusion de superflus importuns susceptibles de les détruire. En gros, un système immunitaire est une armure de protection, un garde-corps, contre  le déséquilibre climatique, l’affaiblissement physique et les attaques bactériologiques et virales. La chauve-souris en possède le plus robuste, lequel lui offre la capacité de porter une multitude d’agents pathogènes, dont le COVID-19, sans souffrir le moindre du monde de leurs effets funestes.

Toutefois, la faculté d’adaptation parfaite de la chauve-souris aux différents poisons toxiques n’exclut pas qu’elle soit une grosse source de contagion pour les autres espèces de son entourage. Les phytovirus, par exemple, dénombrés par les virologues en 19 virus, sont des agents nuisibles qui s’attaquent aux végétations. Ils sont transmis aux plantes soit d’une manière verticale, d’une génération à une autre, soit d’une manière horizontale, c’est-à-dire de plante en plante, ou conduit par d’autres vecteurs tels que les insectes, les coléoptères ou les chiroptères comme la chauve-souris. Cette dernière est également à l’origine de plusieurs pathologies virales qui touchent aux animaux. Des zoonoses, comme la rage, sont transmis par un virus du genre des Lyssavirus qui infecte les carnivores et les animaux à sang chaud. Ce virus est porté par certains genres de chauves-souris. 

Par ailleurs, la contamination de l’homme par des virus véhiculés par la chauve-souris est une équivoque d’actualité qui met en cause l’avenir de toute l’humanité. Les hommes n’ont pas su apprivoiser cet animal devenu l’ennemi intime qui fait la Une de tous les médias. Mis dans le banc des accusés à cause de l’apparition du Covid-19, une pathologie contagieuse qui se répand en long et en large et risque de casser le cours de toute une histoire, la chauve-souris peut encourir à une sanction beaucoup plus lourde que son petit poids.  

Quand bien même soit-elle un acteur important dans l’équilibre de l’écosystème, en agriculture en particulier, avec sa position de prédateur direct de certains rongeurs et d’insectes nuisibles aux plantations, la chauve-souris demeure un animal indésirable, assujettie de torts monstrueux irrattrapables par aucun de ses services. Mais accuser un animal d’être la raison de la propagation d’une pandémie serait une appréciation subjective et superficielle. En réalité, c’est l’homme qui est responsable du désastre qui l’envahit.

C’est l’homme qui est allé déranger la faune sauvage dans son territoire. C’est lui qui a agressé les animaux dans leur monde en détruisant les lieux où ils évoluent et en empoisonnant les éléments qui alimentent leur existence. C’est lui qui a cherché le virus et l’a  ramené vivant pour être vendu dans ses marchés comme un banal aliment. C’est lui qui a fait de ce venin une partie du menu de sa restauration, alors que certaines de ces bêtes n’ont jamais été comestibles par l’homme. C’est finalement lui qui a contracté cette maladie et participé à sa propagation vertigineuse avec les moyens de ses allants civilisateurs.

Il faut aussi noter que l’empiètement de l’homme sur l’environnement fréquenté par les animaux a induit à la disparition de plusieurs espèces parmi les chiroptères. Adaptées à l’atmosphère nocturne calme et sombre, les chauves-souris sont latéralement exterminées par les incendies et la fragmentation des forêts, l’utilisation immodérée des pesticides, la pollution lumineuse, la gêne du bruitage des engins et d’autres raisons liées aux activités humaines. Le déclin en nombre et en genre de ces animaux a appelé les instances internationales à agir pour la préservation de ces espèces menacés d’extinction, à cause, notamment, du rôle notable qu’ils remplissent dans la normalisation du système écologique. Des programmes pour la protection des chauves-souris sont appliqués à l’échelle des gouvernements depuis la convention de Bonn et celle de Berne en 1979. Il s’agit de la conservation de zones spéciales désignées pour l’habitat et les gîtes de reproduction et d’hibernation de cet animal. La réglementation des mesures de sauvegarde touche à la gestion forestière, à la construction des autoroutes, à l’industrie des mines ou au tourisme de masse.     

Objectivement, l’homme ne fait pas un combat avec la chauve-souris, sa guerre actuelle est contre le virus qu’elle lui a transmis. Le savoir humain ne connaît pas encore le pouvoir destructif d’un agent infectieux comme le Covid-19 qui colonise les hommes depuis quelques mois. La médecine n’a pas non plus la solution curative pour contrer la propagation affolante de cette maladie.

En attendant que les recherches scientifiques, actives dans tous les laboratoires du monde, puissent inventer un vaccin pour  parer ce mal à l’humanité, des hommes continuent de mourir tous les jours, d’autres s’en sortent miraculeusement en gardant les traces de cette expérience malencontreuse et bien d’autres se cloisonnent chez eux pour éviter une éventuelle contamination dans la rue.

Jusque-là, les hommes devront s’inspirer du système défensif biologique des chauves-souris pour développer les capacités de leur propre système immunitaire. Le système immunitaire inné acquiert de nouvelles facultés avec le temps. Il se forge en se frottant à la nature, en subissant les incommodités du climat, en s’exposant à l’usure physique et en se relevant des pathologies qu’ils reçoit, auxquelles il finit par s’accoutumer. Un mécanisme anatomique pareil à celui de la chauve-souris permet à l’homme d’affronter toutes sortes de complications externes. Mais la grande résolution pour une existence sereine demeure, toutefois, le respect de la nature et le partage équitable des richesses de la terre par l’homme avec toutes les créatures vivantes.

Violenter l’autre et dépasser les lignes de sa liberté reflète des réactions négatives, l’histoire dramatique de l’homme et de la chauve-souris en est un parfait exemple.

A. G.

*Ecrivain.

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