L'Algérie de plus près

Le gentil âne et le paysan avare

Par Hamid Dahmani

Dans le journal colonial le « Moniteur de l’Algérie » du 18 juillet 1875, dans la colonne des faits divers, on rapporte que, dans le faubourg de Bab El Oued, un mozabite, conducteur d’un bourriquot, frappait son animal avec un bâton se terminant en pointe de lance. Le sang jaillissait des blessures nombreuses qu’il faisait à la pauvre bête en lui enfonçant cet instrument aigu dans la chair. La matraque était toute couverte de sang et les spectateurs de cette scène sauvage étaient indignés. Un agent de police qui était sur les lieux a voulu intervenir pour mettre un terme à cette brutalité. Mais le mozabite refusa d’obtempérer prétendant que le bourriquot était sa propriété et qu’il était libre de le maltraiter comme bon lui semblait. L’agent intima l’ânier d’arrêter de frapper le pauvre âne et de le suivre au poste de police, parce qu’il y a une loi dite de Grammont qui protège tous les animaux de la maltraitance.

Il était une fois dans la plaine du Chéliff un fellah misérable qui avait grand besoin d’aide dans sa besogne quotidienne. Il  décida un jour  de s’acheter un âne pour l’accompagner dans ses tâches journalières. Après s’être décidé, il se rend de bon matin au souk de bétail hebdomadaire pour s’acheter un âne robuste. Le fellah revint le soir chez lui, tout content d’avoir conclu une très bonne affaire en s’achetant un âne si doux qui faisait déjà sa joie. Avant de se séparer de son animal, le vendeur lui avait soufflé quelques recommandations très utiles et insisté sur l’entretien journalier de l’âne pour qu’il  demeure toujours valide et en bonne forme physique. Pour ce faire, il fallait lui assurer de manière régulière une bonne ration de nourriture journalière de paille, de son et d’orge. Plusieurs mois passèrent et le fellah était très content du rendement de son âne et des services qu’il lui rendait. Mais le coût de l’entretien était une charge que ressentait le fellah, cela le dérangeait et lui donnait quelques soucis.

Alors, il eut l’idée «géniale» de lui soustraire une ration d’orge chaque jour le premier mois. Comme ça, s’est il dit, ce sera une dépense en moins pour l’âne, il ne dira rien et n’en souffrira pas. Quelques mois passèrent, l’âne était toujours au travail. Le soir, dès que le soleil se couche, il recevait une ration de nourriture diminuée et commençait ainsi à donner des signes de fatigue. Cela lui passera, s’est dit le fellah. C’est l’habitude qui commence à faire son effet.

Un an passe et le pauvre animal, le soir venu, ne recevait qu’une maigre ration de paille pour une journée de dur labeur. Le son et l’orge ne faisaient plus partie du menu. Le fellah était très content des résultats positifs de ses finances. Son activité prospérait de jour en jour et sa vie s’était beaucoup améliorée beaucoup. Mais l’avarice et l’ingratitude aveuglaient le paysan. Il était devenu sourd au gémissement de cette pauvre  bête qui symbolisait le travail. Il ne ressentait aucune pitié pour l’animal.

Et puisque tout baigne dans l’huile grâce à mon imagination et mon savoir-faire et que le travail se fait à moindre coût, s’est dit le paysan, pourquoi hésiter et ne pas passer à la dernière phase de ma trouvaille et lui arrêter complètement la nourriture ? Comme ça, il n’y aura plus de faux frais et je serai le seul bénéficiaire dans l’affaire.

Le soir, fatigué et à bout de souffle, le triste animal prenait sa place dans le coin de la grange et attendait sagement que son maître le récompense pour la pénible journée de labeur. Mais en vain. Deux jours après avoir travaillé durement, le pauvre âne s’endormit affamé. Le fellah, plus cupide que jamais, dit : «On dit qui dort dîne, c’est assez suffisant pour lui.»

Le lendemain matin à l’aube, le fellah se rend dans la grange comme tous les jours pour faire sortir l’âne pour une nouvelle journée de travail. Mais, hélas, ce dernier ne bougeait plus. Il était mort, affamé par la cupidité de son maître.

Dommage, s’est écrié le fellah, juste au moment où il a appris à ne plus se nourrir, il meurt au moment où j’ai grand besoin de lui. Quel gâchis. «De toutes les façons, nul n’est indispensable. Et puis, un de perdu, dix de retrouvés au souk ! Et les animaux, c’est fait pour travailler ou clampser, n’est-ce pas ? Un âne s’en va et l’autre le remplace.»

H. D.

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