L'Algérie de plus près

Passe, passe le temps !

Par Abdelkader Ham.

« Tous les blancs ont une montre, mais personne n’a le temps »

Proverbe africain

Où sont passés les temps bénis où, chaque jour que dieu fait, l’on avait pour devise et règle de conduite immuable de s’inquiéter l’un pour l’autre, d’être à l’affut des nouvelles de ses proches et amis, de demander avec insistance et régularité ce que deviennent les Autres ? Un de mes amis m’a raconté qu’un jour, il n’a pu se rendre au marché hebdomadaire à cause d’un imprévu de dernière minute. L’après-midi, de retour du marché, son voisin qui habite à environ trois kilomètres de sa maison lui a envoyé son fils aîné pour s’enquérir des véritables circonstances qui l’ont empêché d’aller au marché comme d’habitude. Ça aurait pu être à cause d’une contrainte financière, avait pensé le voisin en se disant logiquement que s’il n’avait pas vu son voisin ce jour-là (le jour de marché), c’est qu’il a quelques problèmes financiers. Et il était donc de son devoir de l’assister, même si leurs conditions sociales étaient quasiment les mêmes. Le geste exprime on ne peut mieux une des vertus que nous essayons de combler aujourd’hui avec notre argent : la solidarité et le sens du partage mais aussi et surtout le souci de ne laisser quiconque céder au désespoir en lui faisant savoir qu’il est entouré de frères et non de simples gens.

En ces temps-là, on se conviait mutuellement aux repas et soirées de fête, tout simplement pour consolider les liens d’entraide, de fraternité et de solidarité. Autrefois, lorsque les moyens de communication faisaient défaut, comment faisait-on pour annoncer un décès survenu à une heure tardive de la nuit alors que les proches et la famille habitent assez loin ? Fallait-il attendre le lever du soleil pour le faire ? Non, c’était à dos de mulet que le long déplacement s’effectuait. Il en était autrement pour annoncer une fête de mariage ou une circoncision car, pour le faire, on attendait le jour de la tenue du marché hebdomadaire pour rencontrer les proches et les alliés, et c’était là où toutes les informations se transmettent. De nos jours, en dépit de la disponibilité de tous les moyens modernes d’information et de communication, on a droit au ratage de certaines occasions, tristes ou heureuses, non pas faute d’absence de moyens de communication, mais faute de temps ! Tout le monde se plaint du manque de temps, cette notion devenue onéreuse, mais que l’on dilapide allègrement dans les cafés. Pour souhaiter une bonne fête de l’Aïd à ses parents établis à une trentaine de kilomètres, on ne se donne plus la peine de se déplacer. Un appel Djezzy, Mobilis ou Ooredoo est largement suffisante pour leur dire : « Bonne fête » dans le meilleur des cas. Sinon, et c’est systématique pour les autres, un SMS identique calqué sur des modèles saoudiens, suffit amplement pour se débarrasser d’une obligation religieuse et sociale devenue par les temps qui courent une véritable corvée. Si vous êtes invité chez untel, vous êtes souvent pris par telle ou telle contrainte ou obligation qui vous empêche de répondre à son invitation. D’où, finalement, la dislocation des relations familiales et amicales.

De grâce, évitez de dresser les tables entourées de chaises lors d’un repas collectif. Les uns mangent, les autres « attendent sur leurs têtes », et tout le monde est pressé d’en finir pour rentrer se cloitre chez lui, qui devant la télé, qui devant un ordinateur, un smartphone ou une console de jeux.

On regrette amèrement les temps qui passent, conclut mon ami. Autrefois, me rappelle-t-il, on s’asseyait sur des tapis faits avec des feuilles de palmiers-nains, ce n’était pas très confortable certes, mais on savourait quand même l’ambiance inégalée de la « djemaa ».

A. M.

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