Par Me Mohammed Koulal*
Une condamnation injustifiée n’anéantit pas seulement la personne innocente et ses proches ; elle diminue l’intégrité du système judiciaire et nuit au bien public. La police est éloignée du véritable agresseur, la sécurité publique est mise en péril et la justice n’est pas rendue. Après, les erreurs judiciaires, il y a les aveux mentionnés sur les procès-verbaux de la police judiciaire dont les inculpés renient devant le juge. Malheureusement, leur signature et empreinte digitale démontrent la véracité de ces aveux.
La formule «J’ai signé sous la contrainte !» ne peut être démontrée, faute de moyens pour le magistrat et pour la défense. Ce cas de figure précis m’a motivé pour des recherches approfondies, particulièrement par rapport aux juridictions étrangères où des études sont entamées sur la question depuis plusieurs décennies.
Dès que l’aveu est mentionné dans le procès verbal de la police judiciaire, pour le magistrat vous êtes coupables. Pourtant, le droit de se taire ou de faire des déclarations fait partie inhérente des droits de la défense. Toute personne placée en garde à vue bénéficie de ce droit. Pour les magistrats, l’aveu est essentiel pour prononcer la sentence. Néanmoins, l’aveu ne peut être considéré comme preuve laquelle signifie : mettre à l’épreuve, établir la vérité au nom de la justice et de l’équité. La preuve recherchée par les juges parait inductive par la nature des faits lesquels ne peuvent être susceptibles d’une seule interprétation. Des chercheurs pensent que le contexte s’annonce primordial pour la réception et la validation d’un argument en sa qualité de preuve d’un acte considéré comme répréhensible. Ces mêmes chercheurs concluent à la nécessité de la confrontation des dépositions des témoins et des accusés de la part des juges qui reconstruisent le récit en vue d’établir un équilibre réparateur des méfaits commis.
Les paroles de l’accusé constituent souvent la contrepartie orale de l’instruction écrite qui ne peut être cernée hors la machine judiciaire ; celle-ci ne doit pas se limiter à l’interrogatoire ou à la torture mais poursuivre la finalité de la démarche suscitée par le juge reposant sur la vérité qui doit être ensuite connue et rendue publique. La repentance, la contrition, les invocations du prévenu convaincu d’avoir commis le délit reconnu lors des interrogatoires s’intègrent dans le processus de la justice pénale. Le juge ne doit pas se limiter à rendre une sentence au seul aveu mais aller au-delà de cet aveu dans le but d’aboutir à une vérité, c’est-à-dire à une preuve intangible. Il est cité que cette preuve fait ressortir plusieurs éléments lui permettant d’assumer son rôle afin de cerner la nuance entre l’aveu et la preuve ; enfin, quelle importance attribuée aux déclarations formulées. A cet effet, le juge doit évaluer toutes les déclarations où il est intégré tous les types de preuve (confessions, témoignages, présomptions). Il ne doit rien inventer mais se limiter à rassembler des solutions déjà trouvées ; la confession du coupable est tenue pour une preuve censée donner des résultats décisifs même dans le cadre de la procédure, voire se présenter comme un moyen exercé par le juge afin d’influencer psychologiquement le coupable et, des fois, malheureusement, par l’exercice de la torture ; le tout pour certifier la culpabilité du prévenu.
La confession pénale (ou l’aveu) est considérée comme un pacte entre le prévenu et son accusateur (ou le juge) sur la vérité des faits et qu’une fois la preuve obtenue, il n’est plus utile de prouver la culpabilité par d’autres voies. L’opinion ne croit à aucune méthode que celle de l’aveu, peu importe la manière dont il est obtenu : il est la pleine vérité.
Palo Marchetti de l’université de Teramo écrit : « La torture constitue une phase du procès dont l’activation n’est pas remise à l’arbitre du juge… Ce procédé est en réalité admis lorsque l’accuse se refuse de répondre aux questions ou lorsqu’il l’a réalisé en clamant sa propre innocence. Malgré l’aveu extorqué ou librement formulé, la condamnation de l’accusé constitue sans doute une «double défaite» car il est non seulement battu en sa qualité d’inculpé mais il est aussi contraint à accepter sa faute, en collaborant avec la justice qui l’a poursuivi».
Le plus marquant, ce sont les «faux aveux» obtenus sous la pression. Dans ce cadre, l’affaire Huwe Burton 16 ans qui venait de découvrir le cadavre de sa mère lorsque la police de New York commença à l’interroger. Sous la pression, il avoua mais sachant que son aveu pourrait l’amener à «l’injection létale», il se rétracta. Il est reconnu coupable et condamné à perpétuité. Après 20 ans, il est libéré. Questionné, le District Attorney (le procureur) a répondu : «Les aveux de Burton l’emportaient sur tous les autres éléments de preuve pour lui qui reconnaîtrait un crime qu’il n’a pas commis». Traumatisé par ces années de détention, Burton fut soutenu par ses avocats qui font appel au célèbre psychologue américain Saul Kasin qui, d’après le journaliste scientifique Douglas Starr, a expliqué que les faux aveux n’étaient pas rares et que les techniques classiques d’interrogatoire combinent des pressions psychologiques et des échappatoires poussant un innocent à l’aveu.
Ainsi, Gudjon, un jeune islandais est accusé de meurtre sur la base de faux aveux. L’affaire remonte à 1976 quand il fut interpellé par la police à la suite de la disparition de son ami lors du retour d’un bal. Il fut soumis à un interrogatoire de 7h à 13h30 au terme de 412 jours, soit 75 interrogatoires tout en étant maintenu à l’isolement. Devenu presque mnésique (en l’absence de souvenir), il avoua le meurtre. En 2011, le ministre de l’intérieur islandais met sur pied un groupe de travail chargé d’étudier la fiabilité des confessions des personnes condamnées. En 2013, il conclut que les aveux n’étaient «absolument pas fiables».
L’information scientifique de l’association française rapporte l’étude des chercheurs Julia Shaw (University of Bedforshire) et Stephen Porter (University of British Colombia) : «Est-il possible d’amener quelqu’un à construire un faux souvenir d’un délit qu’il n’a pas commis et à l’avouer, en utilisant les techniques suggestives des enquêteurs dans des contextes juridiques et des thérapeutes ? Leur étude à démontrer de manière expérimentale la facilité avec laquelle des techniques suggestives d’interrogatoire peuvent provoquer chez une personne la formation de faux souvenirs, d’actes criminels et induire leur aveu».
Il est donc clair qu’un aveu ne peut égaler la preuve surtout dans le système américain où l’aveu «forcé» a été la cause de condamnations lourdes. Les chercheurs comme Kasin mentionnent qu’à l’heure actuelle, il n’existe aucune méthode validée pour évaluer la véracité des aveux et différencier les aveux vrais des faux.
En conclusion, il me semble utile de rapporter l’intervention de François Koch qui a écrit «L’aveu, abominable preuve, à l’épreuve des ratés judiciaires» où il évoque le livre de Julie Brafman qui narre les faux aveux dans les affaires criminelles et où elle attaque un des monuments judiciaires : l’aveu, surnommé maladroitement «la reine des preuves».
Lorsqu’un suspect lâche : «Oui, j’ai tué», cette parole verbale provoque souvent des cris de soulagement, des hourras de victoire, alors que l’enquête policière ou de la gendarmerie est bien loin d’être bouclée. Le mis en cause avoue en général au bord de l’épuisement, après des heures d’interrogatoire. Est-il le vrai coupable ou a-t-il avoué, à bout de souffle, pour avoir enfin la paix ? Dit-il la vérité ou s’accuse-t-il afin de protéger le véritable auteur du crime ? Sans citer de nom, un avocat général (procureur général) disait à Julie Brafman (sur les aveux) : «Ils ont une puissance si ravageuse qu’ils entraînent la conviction comme un torrent en crue sur son passage, ils submergent, l’émotion s’empare de la raison comme d’un ennemi».
En tant qu’avocat de la défense, notre rôle n’est pas de prouver l’innocence de notre client mais de démonter les arguments de l’adversaire, nous devons utiliser tous les moyens sinon les créer par notre ténacité, notre intelligence et notre expérience dans un seul but de prouver les lacunes judiciaires et «abolir» le mépris envers les inculpés.
Maître Mohammed KOULAL
*Avocat à la Cour de Relizane