L'Algérie de plus près

Société, anarchie ou «folie collective»

Par Mohammed KOULAL*

Une société qui ne discerne pas les valeurs et les actions qui lui servent de motif pour évoluer est une société qui stagne. En violant les règles morales, elle se décompose. En restant passive devant les événements, elle ne pourra prévoir un avenir devant lequel elle se sentira impuissante et pessimiste du fait qu’elle subit la vie et donc incapable de la dominer. Cette société « râle » et n’agit pas. Par contre, une société responsable, animée par une réelle démarche citoyenne où l’intellectuel est entendu pour un monde meilleur et juste, est de ce fait dynamique, engagée et enthousiaste. C’est sur les instigateurs d’un monde meilleur que la société doit compter et qui sont les seuls capables de porter le poids des problèmes et résoudre les difficultés enracinés dans la société que les autres ont causé. Tel doit être le fonctionnement d’une société qui adhère à l’épanouissement, l’expression libre, la reconnaissance et à d’autres valeurs humanistes animant chaque individu qui la constitue.

Où se situe notre société par rapport à cette philosophie de la vie ?

De nombreux inventeurs et génies existent dans notre pays auxquels notre société refuse de donner les moyens pour les rendre utiles. Espérons le changement et adoptons une attitude positive pour la compréhension des valeurs qui ont échappé aux dirigeants et qui sont devenues l’apanage d’une minorité dont la voix atteint rarement les oreilles des décideurs qui ont opté pour une politique soi-disant libérale dans le but d’une domination de la finance sur la chose politique. De ce fait, ces hommes politiques se retrouvent démunis des moyens par lesquels leur influence se manifeste. Ne détenant pas la « manne financière », le groupe politique devient soit indispensable, soit complice des décisions prises par les dirigeants.

A l’aube des années 2000, un nouveau système renouant avec le libéralisme sauvage a engendré un accroissement des richesses (mal acquises bien entendu) de quelques-uns au détriment de la grande majorité de la population qui a subi des crises à répétition ; celle la touchant actuellement est l’aberration la plus aboutie car tout était prémédité. En effet, avec la fermeture des entreprises publiques, les craintes se sont concrétisées et le secteur privé a pris le glaive en faveur de la spéculation, la thésaurisation et l’informel. D’un secteur public respectant les lois ayant davantage tendance à veiller au bien-être de la population, voilà arriver le secteur privé ne recherchant que le profit que certains patrons n’hésitent pas à générer par les moyens les plus douteux comme la spéculation irrationnelle, le blanchiment d’argent et ne connaissent ni patrie, ni frontières. C’est pourquoi, une telle situation ne peut marquer une ère de bien-être de la population et d’une quelconque prospérité sociale.

Un système qui s’obstine dans ses errances ne peut objectivement assurer l’essor socio-économique de la société. La ploutocratie succédant à la démocratie ne peut réellement changer une société que lorsque celle-ci refuse d’admettre l’état actuel des choses et est apte à revoir son comportement et ses contradictions qui l’ont amenée à être le chantre inconditionnel du système et donc au gouffre dont elle ne peut sortir. Longtemps, cette société a renié ses valeurs tant acclamées par les notables et les intellectuels, elle a préféré ovationner aveuglement le système dans ses faits et gestes sous prétexte qu’on est né en son sein et qu’on ne connaît aucun autre ordre plus meilleur. Durant deux décennies, le système a réussi à rendre la société aussi ensorcelée qu’endoctrinée et fataliste pour ne pas pouvoir défendre ses valeurs, d’être objective, de s’autocritiquer et de s’opposer à toute domination néfaste à son épanouissement.

Les valeurs d’une société ne sont peut-être que des idées mais des idées constructives et qui sont l’une des causes de la montée en puissance de pays comme la Chine, elles sont basées sur la création d’un consensus intellectuel inspiré sur un ensemble des valeurs fondatrices puis leur diffusion dans la société. Pour ce qui nous concerne, les valeurs sociales léguées par nos ancêtres (lire et apprendre, ne pas voler, être bon et utile etc.) ont été omises et sans ces valeurs fondatrices, notre société a fini par se désagréger. A titre d’exemple, tous les pays ont vu l’instauration de la loterie sauf la Chine qui considère que celle-ci encourage l’oisiveté et le gain de l’argent facile, cette valeur sociale est devenue une valeur fondatrice puisque aucune administration chinoise ne tolère les jeux de hasard.

Dans notre société, malheureusement, les normes et valeurs deviennent de jour en jour plus confuses et ne facilitent pas l’harmonie sociale. Ainsi, le code des comportements est vite oublié, les valeurs sociales deviennent instables, l’insolite fait jour, nos compatriotes « brouillent » le sexe, nos enseignants se considèrent comme des machines à faire des sous, os politiciens raisonnent comme des hommes d’affaire pour s’enrichir personnellement… En conséquence, la société ne connaîtra pas de progrès mais s’enfoncera dans les abîmes de la décadence.

Autre motif de cette décadence, le conflit de générations. En effet, en subissant une mutation rapide, les structures sociales ont connu un écart générationnel et un fossé entre les différentes classes d’âge. L’ancienne génération est incapable de suivre la vague des transformations sociales et persiste à inculquer des idées conservatrices aux générations plus jeunes. Cela engendrera sans aucun doute  des antagonismes difficiles à contenir. De la même manière, si les jeunes ne comprennent pas la nécessité de respecter les valeurs traditionnelles et cherchent à ridiculiser de manière futile les valeurs créées par leurs ancêtres (savants et guerriers de Jugurtha à l’Emir et ceux de Novembre 1954), ils s’attireront la foudre de leurs aînés. En conséquence, le respect mutuel, la compréhension et la tolérance entre les générations doivent être un principe fondamental pour assurer de manière non conflictuelle la transformation des valeurs sociales.

A la différence des autres sociétés, la notre a basé ses relations sur des sous-valeurs qui n’ont rien de fondatrices et qui sont porteuses d’instabilité. A contrario, les relations sociales fondamentales et les valeurs sociales qui les fondent doivent être stables. Quand la détérioration de ces relations entre individus se produit, c’est qu’il y a une perte du sens de la moralité. On croit plus au charlatan qu’au médecin, à l’escroc qu’à son banquier, à l’écrivain public qu’à son avocat, au bonimenteur des Souks qu’à l’intellectuel, au fou de l’asile qu’au professeur d’université etc. Dès lors que les individus perdent confiance entre eux et dans le savoir scientifique, la société devient un concept dépourvu de toute signification et les valeurs morales qui régulent les relations sociales se réduisent à de simples abstractions. A partir de là,  on a les bras croisés et les yeux fixés sur des gens dans la détresse, sans défense, incapables de se reconnaître et sans la moindre compréhension de ce qui se passe autour d’eux. Ce ne sont pas des aliénés mais bien au contraire des personnes lucides, intelligentes : des hommes normaux vivant dans une société à fondement anormal.

Afin d’épurer le marécage dans lequel se trouve la société, il y a lieu de reconsidérer les relations sociales tout en se conformant à celles fondamentales. On ne peut affirmer appartenir à une société que lorsque celle-ci est apte à accepter les règles du jeu fondées sur l’acceptation de l’avis d’autrui, de la recherche du progrès non en tant que consommateur mais producteur. A ce stade de la réflexion, il est impératif de faire la distinction entre utilisateur de la technologie et l’inventeur de cette même technologie. Utiliser n’est pas inventer surtout que cet outil (Internet par exemple) se fait l’instrument et la preuve de la décadence sociale, et on en voit quotidiennement à travers les réseaux sociaux : outrage, diffusion malsaine, fanfaronnade etc.

Vivons-nous dans une société saine ? Pour y répondre, je me réfère à la théorie de Durkheim relative à la cohésion sociale. Pour qu’une société soit saine, il est indispensable d’avoir un consensus social fixant le comportement individuel dans la société, ce qu’on doit faire et ne pas faire. Une société malade ou anomique voit son consensus social se dissoudre et ainsi les individus qui y vivent perçoivent mal les normes sociales dominantes, ils ne peuvent se définir eux-mêmes ni fixer des objectifs précis pour leur avenir. Une telle société râle plus qu’elle n’agit dans le bon sens.

Aucune des analyses ne m’a tant captivé que celle ayant trait à l’islam. L’islam est précis quant à l’organisation de la société. Celle-ci obéit à des normes s’inspirant de la spiritualité, de la culture et de la philosophie selon certains penseurs. Les relations humaines, trois principes fondamentaux en découlent :

– Nécessité fait loi.

– Faciliter et ne jamais compliquer les situations.

-Tout mettre en place pour améliorer les conditions humaines (mettre en valeur toutes les  sciences sociales).

Le tout dans le but de permettre à l’individu de s’épanouir et de s’assumer. Les penseurs musulmans concluent ainsi : s’il y a contradiction entre l’idéal enseigné et le réel vécu, cela vient d’une défaillance de la connaissance et de l’éducation. Ainsi, espérez le « Bien » et vous le trouverez. Suivons le concept de l’Islam et nous améliorons les relations humaines et ensemble nous progresserons.

En conclusion : comment peut-on juger une société où les moindres normes sont « piétinées », une société où l’anarchie, le non-respect des lois sont considérés comme repère ? La conduite dans les routes sans analyse sociologique demeure le miroir de notre société

M. K.

*Avocat à la Cour de Relizane

Agréé près la Cour Suprême et le Conseil d’Etat

One thought on “Société, anarchie ou «folie collective»”
  1. Un réquisitoire féroce,une analyse exhaustive de toutes les causes qui ont permis à la médiocrité de régner sur une société où ‘arrivisme,le gain facile et le mariage contre nature du pouvoir,du sexe et de l’argent qui a fini par codifier le comportement social autour de ces non valeurs au détriment de l’intelligence,le savoir,l’art,la culture.
    Durkheim et la nécessaire cohérence d e la société,les prêches du vendredi et les titulaires des chaires à l université ont et échoueront face à un pouvoir politique aveugle.

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