L'Algérie de plus près

Les gens de mon douar

Par Hamid Dahmani

Mon douar est un minuscule village perdu dans les méandres de l’isolement et de l’injuste oubli. Ma bourgade poussiéreuse est méprisée, parce qu’elle n’a pas de véritables tuteurs qui la défendent. Elle étouffe depuis des lustres du déficit de projets concrets et des inégalités sociales. L’injuste déséquilibre imposée par le système l’a écartée des grands projets de modernité urbaine. Pour faire taire les voix, on a construit hâtivement des cages dortoirs tout autour de mon douar, qui ont détruit tout le beau paysage d’antan, et puis, ils les ont distribuées avec le tintamarre populaire habituel. Ces extensions immobilières ont, au contraire, saturé la fluidité de la circulation et causé beaucoup d’autres contraintes au bien-être urbain.

Cela fait des décennies entières que les portes du progrès ont été fermées à mon douar, qui demeure comme un rescapé figé d’un autre temps. Mon douar n’a pas l’allure d’une cité moderne comme celles qui ont changé le monde. Ses routes et ses murs sont délabrés et repoussants. Le creusement de la chaussée n’a pas cessé depuis le jour du cessez-le-feu pour l’indépendance.

Dans mon douar, on suffoque sous le poids de la médiocrité politique des gestionnaires municipaux véreux, qui ont peu d’estime pour l’aisance du citoyen. Les morts-vivants qui y habitent, et qui n’ont pas la langue très remuante, sont insensibles à la quiétude et à la qualité de la vie qui leur est imposée. Ils sont sournois, et pas très audacieux dans leurs actions de changement de mentalités toujours stériles.

Les gens de mon douar sont un peu morts moralement et physiquement depuis très longtemps. Seul le corps inerte rode du matin au soir dans les espaces vides abandonnés au vent chargé de poussière. Les cafés sont remplis de gens qui flânent, du matin au soir, à la recherche de la vivacité qui a quitté ces lieux dégoutants, pour de meilleurs endroits.

Les gens de mon douar ressemblent à des zombies d’un autre temps. Ils marchent sans raison précise dans les coins et les recoins du douar, d’où la vie heureuse s’est échappée. Ils sont absents et perdu dans leur propre douar, qui ressemble à une zone en quarantaine permanente. Les gens de mon douar ne causent pas dans un langage sensé et poli quand ils conversent. Ils ne sourient pas entre eux quand ils parlent de choses riantes. Ils fument beaucoup pour noyer leur tristesse morbide. Ils chiquent et crachent impoliment en face de leurs semblables qui se désintéressent de toute civilité. Ils ne lisent pas de livres, ni de journaux, et ils ne vont pas dans des salles de spectacles pour se défouler. Même quand ils sont en face de leur poste de télévision, ils ne lisent même pas les sous-titrages affichés au bas de l’image d’un film pour essayer de le comprendre. Les « douariste » sont fatigués de cette vie qui ne veut pas changer du bon côté.

Dans mon douar, il y aussi beaucoup de voyous qui font la loi, ils se comportent étrangement quand ils se battent entre eux, en gesticulant et en vociférant des insultes en public. Les gens honnêtes de mon douar ont appri les leçons du passé, ils se taisent parce qu’ils ont peur des représailles. Ils font le dos rond et s’occupent de leurs affaires personnelles.

Ici dans le douar, on ne cause pas beaucoup de choses taboues qui peuvent engendrer des ennuis. Ils savent tenir leurs langues quand il le faut. Ils n’aiment pas montrer leur franchise politique, de crainte de rendre des comptes devant ceux à qui cela ne plait pas. Ceux qui n’ont pas accordé leurs violons avec ceux qui ont les violons déjà accordés ne se reniflent pas à cause des fausses notes répétitives dans ce grand orchestre qui tambourine pour les sourds et qui danse pour les malvoyants. La vie burlesque dans mon douar a toujours été faite ainsi, dans ce grand contenant de gens incompris par les « souloutate » d’un autre temps.

Ce douar est le mien et c’est ma terre natale, j’y habite, depuis ma naissance et je ressens les mêmes sentiments d’injustice que les acteurs de ce texte…

H. D.

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