L'Algérie de plus près

Il était une fois «boita ou kilou»

C’est une époque mémorable que celle vécue durant les années 1950, en pleine occupation coloniale, par la population de la plaine du Chéliff. Les gens étaient logés à la même enseigne, et tous, kif-kif, vivait à crédit à longueur d’année «Aaychine bel crédit.»

Je me rappelle de cette période de mon enfance heureuse d’écolier où l’argent faisait beaucoup défaut et ce manque se faisait sentir chez les plus démunis. Leurs maigres ressources ne les mettaient pas à l’abri du besoin en ces temps difficiles. Ils vivaient au jour le jour de crédit, sollicitant l’aide d’autrui pour pouvoir survivre au milieu de la pauvreté qui touchait la population algérienne indigène. De vagues souvenirs reviennent parfois réveiller en moi ces moments durs de disette, ils me rappellent les épiciers de vieux quartier où j’habitais et chez lesquels je me rendais assez souvent dans leur «hanout» pour acheter «boita ou kilou» (diminutif d’une boite de café et d’un kilo de sucre) et que je ne payais pas sur place, faute d’argent. «Marki fel carni !» (Marquez-les sur le carnet !), je disais à l’oreille de notre épicier attitré, qui s’exécutait en sortant un petit carnet à ressort pour reporter le nouveau montant à payer. Un paquet de café, Nizière ou Gégé bien conditionné et bien empaqueté dans un bel emballage et qui sentait le véritable arome de la Qahwa. Un kilo de sucre semoule bien enveloppé dans du papier commercial que je prenais soigneusement entre mes bras et que je ramenais chez moi en courant. Du bon sucre aux variétés diverses. Sucre en grains cristallisés ou sucre en morceau «St Louis» en boite, utilisé pour les grandes occasions, du sucre roux pour saupoudrer les crêpes «Baghrirs et Rfis», et le pain de sucre de 5 kg enthé. Le noir et le blanc font bon ménage et se mélangent ensemble, deux ingrédients qui s’épousent dans une tasse pour former un breuvage tonique considéré comme un luxe pour de nombreuses familles. Ces deux produits de consommation courante étaient très prisés dans les ménages à cette époque. Le café était servi rarement le matin aux enfants qui devaient se contenter d’un morceau de pain saupoudré de sucre ou arrosé de lait concentré et sucré «Nestlé». L’après-midi, le café noir était servi uniquement aux adultes. Les enfants avaient droit à une barre de chocolat ou une autre friandise avec un morceau de pain. La préparation du café était un rituel à ne pas manquer. Les grains de café étaient d’abord torréfiés dans un «Tadjine» sur les braises du «kanoun» avant d’être pulvérisés et moulus à l’aide du «Mehrez»(pilon) ou du moulin à café manuel, puis mis a l’abri dans une boite hermétique pour qu’il garde bien son précieux arôme. L’après-midi, au milieu de la cour, le brasier ou le fourneau à pétrole brûle avec une cafetière bouillonnante dessus, dégageant un arôme enivrant qui envahit l’air ambiant que tout le voisinage de cette senteur de la Qahwa maison. Il faut savoir aussi qu’El Qahwa était servie dans les moments de grandes rencontres familiales. Cette infusion était le symbole du repos et de la détente après les moments de grande fatigue du travailleur qui aspire à des instants de sérénité en compagnie d’un «Fendjel » (tasse) de bon café noir accompagné d’une cigarette Bastos ou Mélia pour se remettre les idées et la tête en place. On pouvait aussi sirotait calmement du bon Qahwa préparé dans un «bekredj» au café maure de l’époque, chez «Kahouete Mabani », «Mokrane», «Mekrez», «Bourouina», «Bekhaouane»,etc. «boita ou kilou » représentaient également le présent que l’on offrait dans les occasions de fêtes de mariage ou en cas de décès d’une personne en guise de soutien et d’aide. «boita ou kilou» est une époque que l’on regrette aujourd’hui beaucoup parce qu’elle symbolise la baraka, «ennia Oua El- Qanaa» des gens modestes du passé qui se contentaient de peu et qui partageaient tout ce qu’ils avaient de plus précieux. Leur plaisir était de goûter joyeusement à une vie paisible, seulement avec «boita ou kilou».
H. Dahmani

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