L'Algérie de plus près

Première journée, première heure et première classe

«Aussi loin que peuvent remonter mes souvenirs dans le temps, la rentrée scolaire rimait toujours avec la grisaille automnale. La belle et joyeuse saison estivale a laissé place à une monotonie qui s’était emparé de l’enfant que j’étais.»

Je ne saurais jamais trouver les mots justes pour remercier, rendre hommage et exprimer toute ma gratitude à l’égard de tous les enseignants qui se sont succédé à l’école Lallement (école de garçons de notre ville, elle a été détruite par le séisme de 1980) car ils ont œuvré inlassablement pour nous transmettre le savoir et parfaire notre éducation. Ils incarnaient la sagesse, le dévouement et la compétence et se comportaient surtout comme des parents, ils travaillaient avec abnégation et sans relâche. En un mot je dirais tout simplement qu’ils étaient formidables.

Dire que je me souviens comme si cela datait d’hier de ma première journée à l’école serait un peu mentir dans le sens où beaucoup d’images relatives à cette journée ont un peu déserté mon esprit. Au gré des réminiscences, quelques vagues souvenirs bien enfouis surgissent de temps en temps et parviennent à remonter dans la surface de ma mémoire. Ces souvenirs sont surtout ressuscités lors de mes rencontres avec mes anciens camarades de classe pendant que nous nous mettions alors à ressortir ces merveilleux (ou tristes) moments passés à l’école primaire. Ma première rentrée à l’école a eu lieu quelques mois seulement après l’indépendance.

L’été touchait à sa fin et tout allait bien jusqu’au jour où ma défunte mère me fit savoir que la rentrée scolaire approchait et me demandait alors de me préparer à aller à l’école. Le moment tant redouté arriva avec les premières fraîcheurs du début de l’automne. Cette journée-là était différente des autres car elle était frileuse comme une nuit hivernale et monotone par l’angoisse qu’elle allait engendrer. Ce réveil matinal me laissait supposer qu’il s’agissait d’une journée qui ne serait pas comme les autres et je me préparais au pire car j’avais peur de l’inconnu. Je me levais tôt et le café avait un goût insipide et c’était en compagnie de ma mère et de mon défunt grand-père que nous avions pris la direction de l’école. C’était le silence complet et en cours de route personne ne disait mot. Ma peur faisait un peu marrer mon frère qui se moquait de moi car il était déjà scolarisé.

 En cours de route, j’ai vu plusieurs enfants de mon âge accrochés aux mains de leurs parents prendre la même direction que moi. Certains deviendront par la suite des camarades de classe et d’autres de véritables amis. Nous arrivions enfin à l’école. Cet établissement scolaire composé de deux blocs de deux étages disposait d’une grande cour comme lieu de récréation ainsi que d’un spacieux préau qui permettait aux élèves de s’adonner à leurs jeux en cas de mauvais temps. Il y avait également trois ou quatre classes situées en bas, dans la cour. Le moment qui m’a le plus marqué était celui où le concierge a ouvert la porte d’entrée car en se séparant de leurs parents beaucoup d’élèves poussaient des cris et pleuraient. Certains restaient accrochés aux de leur maman et ne voulaient pas enter. Les cris et les pleurs fusaient de partout. J’étais effrayé par tant de bruits et de pleurs mais je n’ai pas pleuré. Nous entamions alors un départ vers un territoire inconnu et un nouvel environnement s’offrait à nous. Les ‘’grands’’ (classes supérieures) jouaient et s’amusaient dans la cour et il y avait quelques-uns qui commençaient dès les premières heures à se bagarrer entre eux. Heureusement que les enseignants veillaient au grain et venaient les rappeler à l’ordre. Ces bagarres entre élèves étaient fréquentes, presque quotidiennes. Elles se déroulaient surtout près du portail d’entrée ou dans la cour. Généralement, il n’y avait pas de danger et faisaient partie du paysage scolaire. On pouvait voir deux élèves se bagarrer la veille et devenir de bons amis le lendemain. Au milieu de la cour plusieurs enseignants entouraient un monsieur de forte corpulence, c’était le directeur. Quelques instituteurs nous ont orientés vers nos classes respectives où chacun a pris possession d’une table.

 Ma toute première classe était située au rez-de-chaussée et au fond du couloir. Elle était un peu sombre et c’était là que nous avons fait connaissance avec notre premier instituteur. Mon voisin de table m’a fait savoir que notre instituteur était Français et qu’il comprenait l’arabe. Nous avions également un autre enseignant, un Égyptien, qui nous apprenait l’arabe classique, une heure par semaine. Jusqu’à présent, je me souviens très bien du début de cette première heure durant laquelle un élève avait donné une brosse et quelques morceaux de craie à l’enseignant qui l’avait appelé par son prénom. Nous avions su plus tard qu’il s’agissait d’un élève qui repassait l’année. Un grand vacarme régnait dans la classe et des cris, des pleurs et des rires fusaient de partout. Il y avait même quelques élèves qui arrivaient à dormir. Au milieu de la table trônait un encrier qui m’a laissé de très mauvais souvenirs car je faisais toujours de taches et mes mains étaient tout le temps pleines de la couleur violâtre de l’encre. A la sortie, j’ai trouvé mes parents qui m’attendaient près du portail et ils étaient très contents quand je leur avais fait savoir que je n’avais pas pleuré. Mon premier jour à l’école a été un grand événement pour moi car ce jour là j’ai fait un premier pas vers une nouvelle vie.

Les autres années passées dans cette prestigieuse école se sont déroulées dans une très saine ambiance scolaire car nous avions eu la chance inouïe d’avoir des enseignants gentils et bienveillants. Quelques-uns nous dispensaient gratuitement des cours de soutien alors que d’autres savaient d’une manière admirable nous raconter de belles histoires et ont su nous faire aimer l’école. Je tiens juste à ajouter que les séances d’éducation physique se déroulaient dans la joie et la bonne humeur sous la conduite de notre sympathique moniteur de sport. C’étaient des années tout simplement merveilleuses et je ne garde que de très bons souvenirs de mes amis qui ont fréquenté les mêmes classes que moi ainsi que de tous ces enseignants qui forçaient le respect et l’admiration. Ils nous ont tant donné et apporté que je garde toujours en mémoire leur sens élevé du charisme. Beaucoup nous ont quittés et ne sont plus de ce monde. Je n’arrive toujours pas à trouver les mots pour les remercier et leur exprimer toute ma gratitude et ma reconnaissance.

Beaucoup d’années plus tard j’étais devenu enseignant et j’ai beaucoup aimé ce noble métier et c’est pour cette raison que j’implore mes collègues (et particulièrement les nouveaux) de faire preuve de délicatesse et de compréhension envers leurs élèves.

On les voit quotidiennement le long des rues ou dans les chemins sinueux des campagnes, par bon ou mauvais temps, prendre la route de l’école ou rejoindre leur domicile, le dos courbé par le poids du cartable. Enseignantes, enseignants prenez soin de ces innocentes âmes parce qu’elles ont tant besoin de votre gentillesse et de votre compréhension.

Ali Dahoumane

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