L'Algérie de plus près

Témoignages sur le 5 juillet 1962

Nombreux, très nombreux mêmes sont les Algériens qui se souviennent parfaitement des journées mémorables marquant la fin de la présence coloniale française en Algérie. Le 5 juillet 1962 était considéré comme le début d’une ère où les « indigènes » pouvaient, sans peur et sans reproche, déambuler librement, de jour comme de nuit, en ville, dans les villages et entre les différentes régions sans avoir à craindre, désormais, les exactions des soldats et des sicaires de la France coloniale.

Voici quelques témoignages recueillis entre 2014 et 2021. Ils figurent dans le modeste ouvrage « Istiqlal »que Les Presses du Chélif avaient édité à l’occasion de la célébration de la fête de l’indépendance en 2022.

Parmi les témoins, figure Mme Fatima Zohra Bouazdia, une personnalité très connue et respectée da la ville de Chlef. Ecoutons-la :

«Vous savez, mes enfants, si vous aviez assisté à cet événement, vous vous en rappellerez toute votre vie. Ce jour-là, tout le monde était dans la rue, y compris les femmes et les enfants. Celles qui étaient confinées dans leurs demeures sont sorties de chez elles ce 5 juillet 1962 ! Tout le monde était content. Pour obtenir l’indépendance, ça n’a pas été facile, nous étions unis et nous avons vaincu le colonialisme»…

«Là où on passait, on pouvait manger, prendre du café et du thé avec des gâteaux, les portes des maisons étaient ouvertes à tout le monde… De Annaba à Maghnia, tous les Algériens étaient dans la rue. Le jour se confondait avec la nuit, c’était inimaginable»…

 «J’aurais aimé que la fête du 5 juillet reste la même que celle que nous avions connue en 1962. Les moudjahidine étaient descendus des maquis en mars 1962, ils étaient déjà positionnés dans plusieurs endroits de la ville, ils n’étaient pas tous habillés en tenues militaires, certains portaient des vêtements civils et des armes. C’était difficile le jour-là de pouvoir embrasser un djoundi de l’ALN tellement ils étaient sollicités par la population. Les grandes familles de la ville s’étaient fait un honneur d’inviter chez elles les djounouds de l’ALN. Je ne peux décrire la joie qui s’est emparée de la foule, nos enfants étaient habillés aux couleurs de l’emblème national, les gens étaient sur les camions, les tracteurs et dans les voitures, ça criait, ça chantait, ça klaxonnait… Mon vœu est que ces journées-là reviennent».

Mohamed Adidou a vécu ces journées mémorables et il s’en souvient parfaitement :

«J’ai bouclé mes 12 ans en mars 1962. La veille du 5 juillet de cette année-là, j’étais avec une bande de gamins de mon âge devant le cinéma «Le Club» lorsqu’un groupe de jeunes gens plus âgés que nous nous a demandé de manifester. Les gens étaient très contents de la faire. Je me rappelle d’un marchand ambulant qui nous jetait des bonbons alors que c’était son seul bien…

On a passé la nuit près de la station-service de M. Attaf, qui se trouvait près de la vieille mosquée, au centre-ville, en face du Monoprix. Le lendemain, on a rencontré nos copains et on est allé voir les djounouds de l’ALN qui étaient stationnés dans la région de Karicha. Les gens d’El Asnam sont allés à leur rencontre qui dans une voiture, qui dans un camion. Il y a des gens qui gardent encore les photos. Je me rappelle, il y avait parmi les djounouds feu Daoud, l’ancien footballeur du GSO, les gens de la ville lui ont ramené un ballon de foot, j’ai vu pas mal de moudjahidine là-bas. C’était un autre jour pour les Algériens, un jour de liberté, un jour de retrouvailles, on a rencontré les anciens détenus qui ont été libérés quelques jours auparavant, nous devons rendre hommage aux gens qui ont sacrifié leur vie pour nous offrir l’indépendance. Nous devons préserver cet immense acquis.»

Slimane Azzi, qui nous a quittés il y a deux ans, se souvient de quelques faits marquants survenus avant et après le référendum d’autodétermination du 1er juillet 1962 :

«À l’époque, j’avais 8 ans. Nous habitions à Bocca Sahnoun. Deux jours avant cette mémorable journée, les «frères» ont demandé à toutes les familles de patriotes et résistants à se rendre à Karicha où étaient stationnées les forces de la wilaya IV. Nous sommes partis avec une autre famille dans un camion Renault dit «1000 kilos»…

Comme beaucoup d’autres familles, nous y avions passé une partie de la journée et la nuit à admirer les djounouds de l’ALN qui nous impressionnaient avec leurs tenues, leur armement, les chants patriotiques qu’ils entonnaient et leur façon d’exécuter les marches en ordre serré. Le lendemain, dans la journée, on nous a demandé de rentrer à El Asnam pour préparer l’accueil des unités de la IV qui allaient prendre position dans la ville. Le 5 juillet donc, c’est toute la population indigène qui s’est postée des deux côtés de la RN 19, sur plusieurs kilomètres, pour accueillir les combattants de la liberté…

C’était inimaginable. Aux youyous stridents se mêlaient les chants patriotiques, les coups de feu en l’air et les klaxons stridents des gens du «nidham», le service d’ordre, qui demandaient aux gens de se ranger sur les trottoirs… Évidemment, nous étions comme sur un nuage, attendant avec impatience l’arrivée des djounouds mais aussi et surtout le repas gargantuesque que la population a préparé. Chaque maisonnée avait préparé du couscous avec de la viande de mouton ; et chacune s’est fait un devoir de l’offrir aux moudjahidine…

Quand les premières unités sont arrivées à Bocca Sahnoun, c’est l’hystérie. Tous, pratiquement, voulaient embrasser les djounouds, tous voulaient les étreindre tellement ils ont attendu ce moment unique dans l’histoire du pays. Nous, gamins, on les suivait un peu partout, même quand, après l’euphorie des premières heures, il fallait laisser les djounouds se reposer et prendre un repas mérité. Comme convenu certainement avec le service d’ordre, chaque famille a invité un groupe de moudjahidine pour partager son repas. Je n’ai pas grande souvenance d’autres faits mais je peux dire que je l’ai vécue pleinement comme la plupart des enfants…

Ce jour-là, c’était la liberté totale et aucune mère ne s’est inquiétée de ce qu’il aurait pu advenir à ses enfants tant la confiance et la joie régnait dans toute la ville. Le soir, des officiers ont prononcé des discours sur la place à côté de la vieille mosquée. Pratiquement, toute la population de la ville y a assisté…

J’étais trop jeune pour comprendre ce qu’il se disait, mais, pour moi, gamin, c’était des journées inoubliables tant notre liberté était totale».

In Istqlal, témoignages sur le 5 juillet 1962. Editions Les Presses du Chélif

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