« Le peuple qui a les meilleures écoles est le premier peuple, s’il ne l’est pas aujourd’hui, il le sera demain .» Jules Simon
Ce sont les meilleurs enseignants qui font les meilleures écoles. Sauf qu’être meilleur enseignant n’est pas donné à tout le monde ; ces pédagogues sont des perles rares et encore plus rare de nos jours. Pour des raisons parfois subjectives car cela tient à la personnalité et au niveau de l’enseignant lui-même, et le plus souvent pour des considérations objectives en relation avec le système éducatif dans son ensemble. Il faut l’avouer qu’en Algérie le secteur de l’éducation est devenu un refuge pour les chômeurs, même le salaire que perçoivent les personnels s’apparente à une prime de chômage qui ne dit pas son nom. En outre, la qualité semble être le dernier souci de ceux qui sont chargés du secteur. Heureusement, il y a toujours des exceptions. Larbi Khadraoui en est une, il fait partie de ces enseignants qui réunissent toutes les qualités requises pour diriger une classe, à savoir la compétence, le charisme et, surtout, le dévouement à son métier. Pour lui, enseigner n’est pas un simple métier mais un sacerdoce. Bien qu’il ait étudié une autre spécialité à l’université, il maitrise à la perfection la langue française, mieux que beaucoup qui l’ont étudiée à l’université. Sa prononciation est parfaite, son écriture impeccable. Il fait partie de cette génération d’enseignants qui accorde une importance capitale à la discipline. En classe, il n’utilisait pas d’autres langues pour expliquer certains mots ou expressions mais il faisait appel aux dessins, aux gestes ou aux photos et images. En fait, si le niveau peut être amélioré et si la compétence s’acquiert avec le temps grâce à l’apprentissage et la formation continue, il n’en est pas de même pour les qualités morales comme l’honnêteté et le sérieux dans le travail : soit on est honnête et sérieux soit on ne l’est pas. M. Larbi Khadraoui était et reste honnête et sérieux.
Enseignant et pédagogue consciencieux
Quand il a débuté sa carrière professionnelle à la fin des années 1990 à la commune de Breira comme enseignant de langue française au primaire, il n’y avait pas de moyens de transport. Il devait se déplacer en autostop. Il rattrapait les retards et compensait les absences tout en sachant que les inspecteurs ne se rendent pas à Breira, sinon très rarement, pour vérifier s’il faisait son travail ou pas. Seule sa conscience lui dictait ce qu’il devait faire ou ne pas faire.
À cette époque, il était le seul enseignant de français qui maitrise vraiment cette langue et l’enseignait correctement. La plupart des enseignants auxquels est confiée cette matière au niveau de la commune de Breira étaient de simples « bouche-trous » avec un niveau au ras des pâquerettes. Son sérieux, sa persévérance et ses compétence en matière de pédagogie et de didactique lui ont permis d’accéder facilement au grade d’inspecteur de langue française de l’enseignement primaire. Ainsi, à partir de 2017, il exerça comme inspecteur en encadrant et accompagnant des enseignants dont beaucoup étaient ses élèves. Beaucoup de ces derniers témoignent de ses qualités morales et professionnelles dans la mesure où ils les traitaient avec respect et considération contrairement à certains inspecteurs qui, l’air arrogant et le ton condescendant, usent et abusent de leur pouvoir. Au lieu d’accompagner les enseignants, ils leur font subir toutes sortes de pressions, tout en usant de la règle de deux poids deux mesures.
Même dans son nouveau poste, M. Larbi Khadraoui n’est guère mieux loti car il est chargé d’un nombre de circonscriptions très éloignées les unes des autres, en plus d’être isolées et éparpillées sur un vaste territoire de la partie nord-est de la wilaya de Chlef dont les communes de Béni Haoua, Breira, Zeboudja Sidi Akkacha etc.
Mais il continue à assumer son métier avec amour et dévouement.
Hassane Boukhalfa
Larbi Khadraoui, inspecteur de l’enseignement primaire : « Les habitants de Breira étaient incroyablement reconnaissants et m’ont soutenu avec dévouement »
Dans l’entretien qu’il nous accordé, M. Labri Khadraoui a abordé plusieurs points concernant son long parcours d’enseignant, il nous a aussi parlé de son enfance et sa scolarité qui, à l’instar de la plupart des gens de sa génération, n’étaient guère faciles.
Le Chélif : Voulez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Khadraoui Larbi : Je suis né le 25 février 1973 à Béni Laâri, un douar situé à 4 km du village principal (Béni-Haoua). Issu d’une famille nombreuse avec 3 filles et 5 garçons. Mon père était mineur et travaillait dans la mine de Breira. Malheureusement, il est décédé prématurément à l’âge de 58 ans en raison d’une maladie pulmonaire liée à son travail dans les mines de charbon. Je suis marié et père de trois enfants : un garçon et deux filles.
Parlez-nous de votre enfance.
Je viens d’une famille pauvre où, après le décès de mon père, c’est ma mère qui a pris le relais. Elle s’occupait des chèvres et des vaches, et je l’aidais occasionnellement les weekends et pendant les vacances scolaires. Élever et nourrir cinq enfants après le décès du père n’était pas une tâche facile. Ma mère était un exemple pour tout le douar, car elle a réussi à surmonter toutes les hautes marches.
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Quid de votre scolarité ?
J’ai effectué ma scolarité primaire à l’école Mokrane Maamar, à Béni Haoua, en 1979. En deuxième année primaire, j’ai malheureusement perdu mon père. À l’époque, je devais parcourir chaque jour 6 km pour me rendre à l’école car il n’y avait pas de transport scolaire. J’ai poursuivi mes études au cycle moyen en 1985 au collège Touati Djelloul à Béni Haoua. En 1988, j’ai obtenu mon BEM et j’ai intégré le lycée Idaikra à Ténès en tant qu’interne. Alors que l’internat était un véritable cauchemar pour certains de mes amis villageois, pour ma part, c’était un environnement idéal pour se concentrer sur les études. C’est ainsi que j’ai terminé mes études et obtenu mon baccalauréat en juin 1991 avec une très bonne moyenne.
Comment s’est passé vos étude à l’université vu vos conditions familiales difficiles ?
J’ai entamé mes études universitaires à l’Université d’Alger, plus précisément à l’Institut National des Sciences Politiques et des Relations Internationales. En 1995, j’ai obtenu ma licence. Pendant mes études universitaires, j’ai également travaillé sur des chantiers de construction pendant les vacances afin de subvenir à mes besoins financiers.
Après avoir terminé vos études, vous avez intégré le secteur de l’éducation. Comment ça s’est déroulé ?
De 1995 à 1998, j’ai exercé en tant qu’enseignant suppléant de langue française au collège Touati Djelloul. De 1998 à 2002, j’ai travaillé en tant que professeur contractuel à l’école primaire Yousnadj Si Djelloul à Breira. En 2002, une décision a été prise pour intégrer tous les enseignants contractuels. J’avais la possibilité de retourner au collège mais j’ai préféré rester à l’école primaire et continuer à travailler avec mes élèves à Breira.
Quels souvenirs gardez-vous des années passées à Breira.
Ma période à Breira a été véritablement la meilleure expérience de ma vie. Les habitants étaient incroyablement reconnaissants et m’ont soutenu avec dévouement. Permettez-moi de vous raconter une anecdote : un jour, mes élèves se sont concertés en mon absence et ont décidé d’apporter le lendemain chacun un sachet de légumes à l’école. Vous pouvez imaginer ma surprise en arrivant le matin et en découvrant plus de 45 sachets dans la salle de classe, remplis de toutes sortes de légumes : des tomates, des courgettes, des concombres, etc. Lorsque j’ai demandé pourquoi ils avaient fait cela, mes élèves m’ont répondu que c’était leur façon de me dire merci et de témoigner leur reconnaissance.
Quand est-ce que vous avez quitté Breira ?
En 2006, j’ai quitté l’école Yousnadj Si Djelloul de Breira pour rejoindre l’école Boutibane M’hamed, située à 2 km à l’ouest de Béni-Houa.
Quand avez-vous rejoint le corps de l’inspectorat ?
En 2017, j’ai réussi le concours d’accès au corps d’inspecteur. Ma formation s’est déroulée à l’ITE Ibn Rochd à Tiaret. Durant cette période, j’ai eu l’occasion de rencontrer des personnes exceptionnelles, des collègues qui sont devenus comme des frères et des sœurs ainsi que des encadreurs qui m’ont enseigné comment devenir un accompagnateur plutôt qu’un inspecteur, en privilégiant une approche horizontale dans les relations.
Vous n’arrêtez pas d’apprendre, vous poursuivez toujours des études à l’université ?
En 2020, j’ai repris mes études à l’université Hassiba Ben Bouali de Chlef pour obtenir une deuxième licence en langue française.
Quel message voulez-vous transmettre aux nouveaux enseignants ?
Voici quelques proverbes à travers lesquels je veux transmettre un message à tous mes collègues enseignants : « La vie est une pièce de théâtre : ce qui compte, ce n’est pas qu’elle dure longtemps, mais qu’elle soit bien jouée » comme disait Sénèque. «Si tu as semé des graines et que tu as oublié où, un jour la pluie te révélera le lieu. »
Propos recueillis par Hassane Boukhalfa