L'Algérie de plus près

Phytothérapie : malades sans espoir, herboristes sans frontières !

A des moments précis de son Histoire, une société peut soit faire un saut qualitatif qui la hissera au rang des Grands, soit se projeter dans le passé et se condamner à revivre les mêmes échecs, donc la même décadence.

Qui de nous n’a pas été tenté, ne serait-ce qu’une seule fois dans sa vie, de se débarrasser des antibiotiques prescrits par le médecin et de se contenter des seules infusions à base de plantes dites médicinales ? La menthe, le gingembre, le thym, la sauge et bien d’autres plantes ne sont-elles pas en passe de remplacer progressivement les antiinflammatoires et les corticoïdes qui, il faut quand même le dire, ne sont parfois d’aucun effet si bien que le malade regrette et l’argent jeté par la fenêtre et le temps perdu chez le médecin ? Le bouche-à-oreille fait des miracles et l’on est amené, sans se rendre compte, à ingurgiter des liquides, des mixtures et des compotes dont on ignore même l’origine mais dont l’efficacité, croit-on, n’est plus à prouver. De plus, chose très importante, cela évite d’aller à chaque fois voir le même médecin pour qu’il nous prescrive inutilement le même traitement.

Notre société est-elle en train de faire le grand saut vers le passé en s’attachant à tout ce qui a été et en refusant catégoriquement tous les produits de la modernité ? La nostalgie pourrait certes expliquer certains comportements mais elle ne saurait nous éclairer sur ce phénomène qui prend de plus en plus de l’ampleur jusqu’à atteindre des proportions alarmantes. Sinon comment expliquer le fait que des gens instruits se laissent docilement envoûter par les propos de certains commerçants à qui il arrive d’oublier leur vraie vocation en s’autoproclamant médecins multi-spécialistes sans qu’ils n’aient suivi un seul cours en la matière ? Leur pouvoir de persuasion est si grand qu’ils peuvent facilement vous vendre du poison à la place du paracétamol et si jamais un mal vous arrive, ça sera sûrement à cause de votre non respect du mode d’emploi et de la posologie que le fameux herboriste vous a indiqués !

Seuls les pharmaciens habilités à vendre des plantes médicinales

Si la phytothérapie a de tout temps existé, elle a toujours été exercée par des spécialistes dans la mesure où ne peuvent comprendre les pharmacopées, qu’elles soient contemporaines ou traditionnelles, que ceux qui sont bien formés en pharmacologie, autrement dit, les initiés. Et quand on sait qu’en France, par exemple, on ne délivre plus le diplôme d’herboriste depuis 1941 et que, légalement, seuls les pharmaciens sont autorisés à vendre les plantes médicinales, on mesure mieux les risques que comporte un tel métier en ce sens que des vies humaines sont en jeu, et qu’une seule fausse préparation pourrait engendrer des dégâts irréparables. Cependant, ce qui demeure intriguant, c’est de savoir que des milliers, voire des millions de gens, continuent de se ruer sur ces boutiques transformées en pharmacies parallèles, et prennent tout ce que leur « enseigne » le commerçant pour argent comptant. Outre les épices omniprésentes dans presque tous les plats algériens, le client s’achète à l’occasion toutes sortes de produits susceptibles de le guérir d’une maladie que les médecins se sont montrés incapables de soigner. Les arguments du pseudo-pharmacien sont massues, et les preuves fournies irréfutables. En effet, en plus des hadiths qu’il convoque et récite maladroitement, il vous raconte des faits réels et des anecdotes faisant état de cas désespérés qui n’ont dû leur salut qu’à cette plante sacrée pour avoir été citée dans le Coran, ou cette lotion magique dont les effets sont spectaculaires. Peu de gens alors peuvent résister à la tentation car si la raison est toujours en éveil, la maladie, elle, vous somme de ne pas en faire cas, et réclame avec insistance le traitement providentiel. Ainsi, le désespoir est souvent derrière des actes que ni la religion ni moins la science ne peuvent justifier. Lorsque les médecins le condamnent soit par incompétence, soit par inélégance, le malade ne cherche pas à comprendre si celui qui le conseille est pharmacien, commerçant, muphti ou simplement un minable charlatan. S’accrocher à la vie est un instinct que ni les leçons de morale ni les traités scientifiques ne peuvent domestiquer. Quand bien même vous auriez fait les plus grandes universités du monde, un petit mal persistant que les médecins n’arrivent pas à éradiquer vous ferait oublier le raisonnement scientifique et vous jetterait dans les bras d’un de ces « guérisseurs » dont la réputation ne laisse planer aucun doute sur leur compétence. Incompétence, pouvoir d’achat en déclin et atavismes Mais, à tout cela s’ajoutent des raisons objectives, incontestables, ayant trait à la qualité de la prise en charge sanitaire dans notre pays. Il n’est d’ailleurs un secret pour personne que la médecine en Algérie ne cesse de régresser ces dernières années, et que les patients perdent souvent leur patience après avoir suivi de façon draconienne des traitements interminables qui n’auront servi, dans le meilleur des cas, qu’à calmer une douleur sans pour autant en extirper les racines.

La « hikma » et le don de guérir

Le tâtonnement médical fait que des diagnostics erronés sont souvent établis et, par voie de conséquence, la maladie profonde n’est jamais traitée. Comment dans ces conditions le malade en perte d’espoir ne se laisse pas subjuguer par tous ces discours qui vantent le savoir- faire, le don ou la « hikma » d’un tel qui, sans avoir été à l’école, maîtrise mieux que n’importe quel médecin l’art de préparer les remèdes les plus efficaces tout en faisant accompagner son acte par des formules témoignant de sa dévotion, sa piété et sa foi inébranlable en Dieu ! La disponibilité des médicaments et leur marque ne sont pas non plus étrangères au phénomène. En fait, vous aurez beau expliquer à un client que la molécule qui a servi à la préparation du médicament d’origine est exactement la même que celle du générique, vous n’arriverez jamais à le convaincre qu’ils sont tous deux d’égale efficacité. Si maintenant en plus du fait qu’il est générique, le produit est local, le réflexe est vite déclenché et le « fabriqué à Oued Fodda » n’aura aucune chance de détrôner le célèbre et non moins majestueux « made in France » ! Il suffit d’ailleurs de comparer les deux emballages pour se rendre compte de la différence apparente entre ce qui est importé de « là-bas » et sa version locale.

Les prix ne sont pas en reste car, tout en considérant les efforts consentis en matière de sécurité sociale, le médicament reste tout de même hors de portée des petites bourses. Et quand on sait que la liste des médicaments non remboursables ne cesse de s’étirer, on ne s’étonne pas que l’Algérien moyen se rabatte sur ces boutiques où le « remède naturel » est vendu à quelques dinars dérisoires. Le pouvoir d’achat des citoyens leur dicte souvent des comportements et des choix qu’ils n’admettraient jamais s’ils étaient financièrement aisés. Mais le besoin a bien ses raisons, et la pauvreté ses arguments si bien que des catégories sociales entières préfèrent ne plus entendre parler de médecins et pharmaciens.

Bigoterie et arnaque, un bon ménage

Enfin, le fait religieux y est pour beaucoup dans la naissance du phénomène en question et sa persistance. S’il est vrai que les croyances des uns et des autres sont indiscutables dans la mesure où cela relève de l’intime, il n’en demeure pas moins qu’à l’échelle de la société, des dérapages doivent être dénoncés surtout lorsque c’est la foi des fidèles qui est exploitée à des fins purement et vilement lucratives. Vendre ou ne pas a vendre, telle est la question que tout commerçant doit se poser, que son activité soit légale ou pas. Quant à fourrer son nez dans un domaine qui lui est totalement étranger en essayant de jouer sur la fibre religieuse du client, cela porte un nom : L’ARNAQUE. Si maintenant des remèdes trouvent une origine dans la tradition du Prophète, personne ne nous empêche non plus de consulter un médecin pour savoir à quoi cela sert et dans quel cas on peut ou on ne peut pas l’utiliser. Cela dit, en dépit de toutes les carences constatées dans le secteur de la santé, il serait indispensable que l’Ordre des médecins prenne clairement position, non pas par rapport à la commercialisation de ces produits dont la majorité nous provient de Chine (cela ne relève pas de son ressort), mais en initiant une campagne nationale de sensibilisation visant à expliquer d’abord que la médecine, de même que la pharmacologie sont des sciences à part entière et, qu’elles ne peuvent par conséquent être exercées que par des spécialises. Les plantes médicinales ont comme tout autre médicament des effets secondaires pouvant être fatales pour le malade. Autant consulter son médecin avant de les faire passer dans son organisme car à vouloir tout vendre, non seulement nos herboristes commerçants versent dans la publicité mensongère, mais ils ne préviennent jamais des complications qu’engendre une consommation abusive de leurs produits. S’ils ne le savent pas, ce sont des ignorants, auquel cas ils doivent abandonner ce métier. Si, au contraire, ils le savent bien, ce ne sont alors que des arnaqueurs qui nuisent à la société et que celle-ci doit combattre en faisant triompher résolument la science pour mettre notre avenir à l’abri des dérives.

Mokrane Aït Djida

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