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El Hadj Saâd, le bien-intentionné !

Par Rabah SAADOUN

Il a été maudit, dénigré et traité de tous les noms par certains énergumènes sans scrupules qui fréquentaient la mosquée lorsqu’il l’a démolie. «Que Dieu détruise sa maison comme il a détruit la maison de Dieu», ne cessaient de répéter les mauvaises langues qui doutaient de son intention. C’était en fait, une grande salle de prière qui ne ressemblait en rien à une véritable mosquée. En effet, elle a été construite à la hâte : plafonds bas, petites fenêtres, salle d’ablution sale et exigüe, absence de minaret, un mihrab désorienté et surtout sans mesures de sécurité. C’est ce qui alla provoquer un jour un grand incendie, suite à un court-circuit électrique. Le feu ravagea tout ce qui s’y trouvait : tapis, livres, matériel de sonorisation etc. Heureusement, cela s’est passé en dehors des heures de prière. Et si ce n’était l’intervention des pompiers, les dégâts auraient pu être très lourds !

Touché par cet événement, El Hadj Saad, qui s’était fait élire président de l’association de la mosquée, put convaincre ses membres de l’obligation de détruire la mosquée en vue d’en reconstruire une autre bien plus grande et répondant aux normes sécuritaires, architecturales et religieuses.

En quelques jours, la niveleuse acheva sa besogne, la salle de prière est redevenue un terrain plat. A sa grande surprise, El Hadj Saad se retrouva pratiquement seul suite à la démission de certains membres de l’association qui craignaient que la nouvelle mosquée n’allait jamais  voir le jour ! Eh oui, construire n’est pas aussi facile que détruire, pensaient-ils.

Présidant une association démunie et exposée à toutes les critiques, il n’arrivait plus à fermer l’œil. Durant ses nuits blanches, il ne cessait de prier Dieu pour qu’il lui vienne en aide ! Une nuit, il rêva qu’un personnage s’appelant Yahia est venu l’aider à poser la première pierre de la mosquée. Le lendemain, à l’aube, et après qu’il eut accompli la prière du «Fedjr» (l’aube), il entendit frapper des coups à sa porte et se demanda qui pouvait bien venir à cette heure de la journée. En ouvrant la porte de sa maison, il reconnut Yahia, un personnage bien connu de la ville de Tissemsilt. «Oh, mon Dieu !», s’est dit-il au fond de lui en pensant au rêve prémonitoire de la veille.

«Salam alikom si saad !», lui dit Yahia. «Wa alikom salam si yahia. Ghir el khir», lui répondit si Saad.

Yahia a été envoyé par un bienfaiteur qui voulait prêter main-forte à El Hadj Saad afin qu’il entame les travaux de fondation de la mosquée mais exigea qu’il reste dans l’anonymat. Effectivement, les travaux ont bien démarré les jours suivants et la mosquée commença à prendre forme sous les yeux ébahis de tous les habitants du quartier. Les quelques membres démissionnaires de l’association, voyant la mosquée sortir de terre, revinrent un par un à de bons sentiments et proposèrent même leur aide à El Hadj Saad qui accepta  sans rancune.

Petit à petit et grâce, à Dieu, à la volonté et au dynamisme des membres de l’association et de Saâd qui approcha de tous les gens aisés de la ville et même ceux des wilayas limitrophes afin qu’ils l’aident. L’argent arrivait et même les dons en nature pleuvaient de partout : briques, ciment, sable, ferraille, etc.

Et que dire ? Que penser de cette enseignante, à la porte de la retraite, qui est venue lui remettre l’entièreté de son rappel de salaire. «Je n’ai qu’une seule demande Si Rl Hadj, lui dit-elle, que les fidèles implorent Dieu pour moi lors de leur prière du vendredi.»

El Hadj Saad qui était hier maudit, injurié et dénigré, devint très apprécié parmi ses semblables qui venaient le voir, le consulter, lui demander un conseil et surtout lui proposer leur aide. Tous les habitants du quartier et de la ville y participèrent en ramenant chacun une pierre à l’édifice et la mosquée prit forme.

Actuellement, elle est presque finie et est considérée comme la plus réussie de toute la région. Dès que quelque chose manque et entrave les travaux, El Hadj Saad n’hésitait pas un instant à faire des kilomètres et des kilomètres pour la dénicher. Empruntant sa propre voiture, bien sûr, et consacrant tout son temps de retraité du secteur de l’éducation au service de son créateur !  

Eh oui ! El Hadj Saad n’était que bien intentionné dans tout cela. «Les actes ne valent que par l’intention.» Ce hadith sublime montre que les œuvres sont pesées à la balance de l’intention (Niyya) ; quand celle-ci est pure, l’œuvre devient bonne et lorsqu’elle est mauvaise, l’œuvre s’en trouve corrompue !

Saâd est issu d’une famille très modeste du quartier Derb de Vialar. Il était fier de ses origines et surtout de son père Si Tayeb, boucher de profession, dont il ne rate aucune occasion pour parler de lui et de son enfance.

Le regretté si Tayeb était l’un des rares  bouchers ambulants, de la région de Tissemsilt, durant la période coloniale. C’était un métier noble exercé par un petit nombre de personnes, voire seulement quelques familles où les fils succédaient aux pères. Mais Si Tayeb ne voulait en aucun cas que Saâd lui succède. Ses voisins du quartier l’appelaient le Caïd tellement il était beau et élégant enveloppé dans son burnous blanc.

Si Tayeb avait un petit étal qu’il déplaçait avec lui chaque marché hebdomadaire. Sur son billot, le Caïd désossait les carcasses, découpait la viande en morceaux pour la présenter à la vente au détail. Il était aidé de son fils ainé Saâd quand ce dernier n’avait pas cours. Il voulait qu’il termine ses études, déroche un emploi qui lui assurerait un salaire mensuel et lui vienne en aide pour subvenir aux besoins de sa grande famille qui vivait tant bien que mal durant cette période. A chaque sortie avec son père et au moment du déjeuner, Si Tayeb découpait quelques beaux morceaux de viande pour son fils et lui demandait d’aller les cuire en grillade chez le «chaouay» d’à côté. Saâd appréciait beaucoup ce moment où il faisait plaisir à sa petite panse !

Au fond, il aimait beaucoup le métier de son père et ne s’en délassait point… mais il savait pertinemment que son père voulait le voir dans n’importe quel autre métier sauf celui de la boucherie !

Il se souvenait d’un soir, après 16h, ayant passé le reste de la journée avec des camarades de classe, il revenait à la maison, une montre à la main qu’un de ses amis lui avait demandé de la lui garder. A cette époque, c’était un objet de valeur et un enfant ne pouvait pas en posséder une. Son père était sur le seuil de la porte délaçant ses mocassins, il arrivait du marché. Sa mère l’avait vainement cherché pour lui faire un achat et avait dû se plaindre de son absence.

«Le voilà, dit-il, n’aie crainte, il te revient. Et avec une montre à la main !».

«Dieu merci, s’il n’apprend rien à l’école, il ne perd pas son temps avec ses camarades», ajouta-il.

Dès qu’il vit l’objet sur son poignet, il le prit de l’avant-bras et lui demanda : «Qui t’a donné cette montre ?». «C’est Djelloul, le fils de notre voisin qui m’a demandé de la lui garder pour la nuit.». Il le traina illico-presto vers la maison de leur voisin et lui remit la montre. Leur voisin lui dit : «Justement, je l’avais cherché partout pensant qu’elle m’avait été volée.»

Il eut ce jour-là la raclée de sa vie qu’il n’avait jamais oubliée.

Après l’indépendance, Saâd termina ses études poursuivit nombre de stages avant d’intégrer le secteur de l’éducation en tant qu’adjoint de l’éducation puis, grâce à la formation continue et vu le manque flagrant de personnel à cette époque-là, il décrocha un poste dans les services de l’intendance.

De son vivant, son regretté père ne cessait de le conseiller, de lui demander de s’occuper et de veiller sur ses petits frères lui qui était devenu, avec l’âge, faible et incapable de déplacer son étal. Il insistait surtout sur son fils Lahcen, le cadet, qui était le plus fragile de la fratrie. Donc, son seul espoir c’était son fils saâd. Ce dernier l’écoutait attentivement et admirait sa sagesse.

Après la mort de son père, il sentit la lourde charge qui pesait sur ses épaules. Une grande responsabilité vis-à-vis de sa petite famille, de sa mère et surtout de ses trois frères et trois sœurs.

Conscient de la lourde responsabilité qui lui incombait, Saâd redoubla d’efforts, exerça, en plus de son travail dans l’intendance, pas mal de petits métiers. Il lui est même arrivé de vendre des sardines et cela juste pour arrondir ses fins de mois et pouvoir mettre à l’abri les membres de sa grande famille qui en grandissant ses besoins grandissaient en parallèle.

Un jour, en rentrant d’un long voyage dans sa petite camionnette, il avait acheté au bord de la route tout un chargement de petit-pois à bon prix. Fatigué, il demanda à son frère Lahcen, question de le responsabiliser et de lui donner des leçons de vies, de le revendre au marché de la ville. Ce jour-là, un jour de marché, il acheta un peu de viande, un chapelet de tripes et des légumes. Eh oui ! Il voulait rentrer chez lui à la façon de son défunt père : panier en osier à la main, bien garni.

Désormais, ce panier en «doum» qui malheureusement a disparu complètement de nos habitudes, accompagna Saâd tout le temps, surtout les  mercredis au marché hebdomadaire de Hamadia. Pour ce qui est de la viande, aucun boucher ne lui résiste. Bien au chaud dans sa Kachabia en «oubar» (fibre de dromadaire), il savait reconnaitre facilement la bonne viande de la moins bonne. Et surtout qu’on n’essaye pas de lui faire passer de la viande caprine pour de la viande ovine !

Grâce à son sérieux, sa compétence et sa clairvoyance, Saâd gravit les échelons et fut promu intendant puis inspecteur de l’éducation dans son domaine. Il maria ses trois sœurs et assura un poste d’emploi à ses trois frères qu’il maria par la suite. Lahcen dont personne ne pensait qu’il allait réussir dans sa vie devint concierge dans un établissement et se forgea une forte personnalité très respectée de son entourage et cela, grâce à la prise en charge psychologique, aux conseils et aux soutiens sur tous les plans de Saâd.

Se sentant un peu libéré, Saâd s’occupa de ses enfants et même de ses petits-enfants qui l’appellent «h’bibi» pour lui témoigner leur grand amour. Eh oui, il était devenu grand père et son rêve le plus cher était d’ouvrir une boucherie moderne. Nostalgie quand tu nous tiens ! On finit toujours par être le fils de son père, quel qu’il soit, et il faut le prendre tel qu’il est.

Malheureusement, son vœu n’a pas pu se réaliser contrairement à la construction de la mosquée Emir Abdelkader de la cité Dallas qui restera à jamais témoin, pour les générations à venir, de sa dévotion et son attachement à la religion. Vialar vient de perdre ce jeudi, veille du mois de ramadhan 2020, un brave homme, généreux, serviable, pieux et empathique ! Tous les qualificatifs du lexique ne pourront couvrir les qualités de l’homme qu’il était. Adieu l’ami, le grand frère et le père de tous ! Adieu El Hadj Saâd. Vialar ne t’oubliera jamais !

R. S.

2 thoughts on “El Hadj Saâd, le bien-intentionné !”
  1. Un personnage très connu que ce soit à Tissemsilt ou ailleurs! respectable et respectueux Ex cadre de l’éducation Mr Saad BENZEMOUR!

  2. Allah yerhmou wi wassa3 alih…le défunt Saad Benzemour de Tissemsilt cadre del’éducation était un bienfaiteur né !

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