À Chlef, les meilleures terres agricoles entourant la ville ont été livrées au béton. Les vergers d’agrumes, les vastes champs maraîchers, les pépinières et les carrés d’arbres fruitiers, si soigneusement entretenus pendant des décennies par des générations d’agriculteurs consciencieux, sont remplacés, par la faute de décideurs incompétents, par des « cités » d’habitation, des promotions immobilières et quelques infrastructures socioéducatives et administratives.
Dans la « nouvelle ville » de Hay Bensouna, à Chlef, il ne subsiste plus la moindre parcelle de verdure. C’est le cas aussi des terres céréalières d’Ouled Fares et Chettia qui ont vu émerger un immense pôle universitaire ou, encore, une « ville nouvelle » faite d’une succession de bâtiments semblables les uns aux autres, faisant face à des lotissements « sociaux » où fleurissent, par milliers, des constructions individuelles inachevées.
C’est le même constat dans toutes les agglomérations, principales et secondaires de la wilaya de Chlef où les bonnes terres agricoles se rétrécissent d’année en année sous la poussée inexorable du béton.
À Relizane, les natifs pleurent la disparition des champs agricoles entourant la ville. Et le phénomène de la poussée des constructions sur le domaine agricole ne fait que s’exacerber. Toutes les exploitations limitrophes à la ville ont été déduites du secteur de l’agriculture au profit de celui de l’habitat et de la construction. Il n’y a pas longtemps, les responsables de l’urbanisme n’ont pas trouvé mieux que de construire un ensemble d’immeubles sur les terres fertiles de Merdja Sidi Abed. Certains bâtiments ont été bâtis à quelques mètres seulement de la voie ferrée. Et pourtant, dans cette petite ville qui s’étend infiniment le long de la nationale 4, il existe des milliers d’hectares de terres incultes sur les collines qui la surplombent au sud. Comme toujours, la solution de facilité a prévalu ; la construction sur des terrains plats, affirme-t-on, coûterait beaucoup moins cher.
Qu’importe la perte des terres agricoles à haut rendement, nous avons le sud.
Incompétence ou volonté de nuire ?
Le phénomène est contagieux, il touche pratiquement toutes les wilayas du pays, y compris celles du grand sud. A Ouargla, In Salah, Touggourt, Laghouat et même dans la lointaine Tamanrasset, la spéculation foncière fait rage, impliquant agriculteurs, fonctionnaires et, bien entendu, les « possesseurs » d’argent qui ne reculent devant rien pour accaparer des terrains à haute valeur urbaine.
Les palmeraies de Ouargla sont livrées à la prédation. Dans cette oasis créée par l’homme dans la dépression de l’oued Miya, des centaines d’hectares plantés de palmiers dattiers adultes ont été rasés pour laisser place à des show-rooms, des bâtisses somptueuses, des magasins et des logements de standing. Sous le regard impassible des autorités locales. On ne peut les accuser de complicité mais leur inaction face à ce phénomène ne peut être interprétée autrement.
Les palmeraies situées en bordure des routes principales et secondaires sont sciemment brûlées et incendiées par leurs propres propriétaires. Ils facilitent ainsi l’urbanisation des parcelles dégagées pour les proposer, à des prix inimaginables, aux promoteurs et autres affairistes friqués.
Une précision s’impose : le palmier-dattier n’est pas considéré comme un arbre. Il est assimilé à une plante dont la tige, mince au départ, se transforme peu à peu en un tronc massif. Selon la définition usuelle, « les palmiers sont des monocotylédones plus proches des graminées que des chênes ou des frênes. Leur tronc est en réalité une tige épaisse qu’on appelle un stipe ou faux-tronc ». L’exploitant peut ainsi raser toute une parcelle sans être inquiété par les services des Forêts ou de l’Agriculture. C’est ce qui arrive depuis que l’économie de bazar s’est imposée en Algérie, au grand bonheur des concessionnaires automobiles, grossistes, fournisseurs et autres revendeurs de produits asiatiques.
Fort heureusement, les autorités ont réagi ces trois dernières années en interdisant tout brûlis et toute construction à l’intérieur des palmeraies, à l’exception des hangars, étables et autres dépendances agricoles.
Sécurité alimentaire ?
« Quand j’entends aujourd’hui des fonctionnaires et des responsables parler de sécurité alimentaire, je me dis : franchement, de qui se moquent-ils ? », s’emporte B. M’hamed, un agriculteur de Chlef qui exploite quelques parcelles de terres familiales au nord-est de la ville. « Je pense qu’il faut d’abord arrêter tous les projets de construction sur les terres agricoles avant d’engager une réflexion sur la politique agricole à suivre », ajoute-t-il, non sans critiquer violemment les décisions irréfléchies consistant à défalquer des terres agricoles au profit du secteur de l’habitat ou de l’industrie. « Il y a des endroits où construire des villes entières au sud de la ville de Chlef, sur les hauteurs de Chettia, Oued Fodda, Ouled Ben Abdelkader, El Marsa et même Boukadir », propose-t-il en soulignant tous les deux avantages que l’on peut en tirer : occupation rationnelle des espaces et préservation des terres agricoles.
Et de rappeler que la cimenterie d’Oued Sly, l’usine qui a pollué tous les vergers d’agrumes de la région, a été construite sur des terres à très haut rendement agricole.
Le massacre ne s’est pas arrêté là : après la cimenterie, on a érigé des usines occupant des dizaines d’hectares de terres arables définitivement soustraits à l’agriculture. De nos jours, il est d’avis d’implanter les zones industrielles et d’activités sur les hauteurs situées au sud de Boukadir-Oued Sly où des terres rocailleuses s’étendent à perte de vue. Elles peuvent être exploités à la fois pour l’habitat et l’industrie.
En attendant, les bâtisses se multiplient sur les terres agricoles, en particulier le long des routes et bretelles d’autoroute. C’est ce qui se passe actuellement à l’entrée Est de Chlef.
A. Laïb