Par Slimane Bentoucha
«Je vous écris ces quelques lignes pour vous donner de mes nouvelles qui sont bonnes et en parfaites santé». Qui des anciennes générations ne se souvienne de cette phrase qui, à force de la répéter chaque fois, on finit par la réciter par cœur. Souhaiter un anniversaire, féliciter un ami pour la réussite de ses examens, soutenir un proche qui vient de tomber malade, introduire une demande d’emploi… ces exemples peuvent nous amener à écrire une lettre à des personnes qui nous sont chères, mais il est très difficile de le faire par les temps qui courent.
Il y a bien un adage de chez nous qui dit ceci : «Le nouveau, aime-le, mais le vieux, ne le néglige pas». J’évoque ce proverbe tout en pensant à notre vie moderne, celle du 21ème siècle, où tout semble nous conduire vers l’inconnu, à un train où l’on n’a guère le temps ni l’occasion de regarder en arrière. Et pourtant, on oublie qu’un bonne part de notre bonheur disparait chaque jour avec ce que nous laissons derrière nous. C’est peut être pour cette raison que beaucoup de gens sont mélancoliques et regrettent leur passé tant le présent ne semble pas égaler leurs aspirations et leurs désirs.
Au temps des technologies de la communication, de l’internet et du monde virtuel, il m’est soudain venu à l’esprit cette nostalgie de ce moyen de communication que nous faisons tous semblant d’oublier. Pourtant, dieu seul sait combien de bonheur elle nous a procurés, et de malheurs aussi d’ailleurs, mais elle nous a donnés du plaisir quand même. Vous avez deviné de quoi je vais parler ? De la lettre, pardi.
Chaque fois que je me rends en ville et que je vois ces écrivains publics avec leurs machines à écrire, je me dis que le monde va bien car il reste au moins quelque chose qui me rappelle cette belle vie insouciante que nous avons mené dans notre jeunesse, et que nous n’arrivons plus à retrouver. Chaque fois que je les vois en train de rédiger machinalement des demandes et des plaintes, ma pensée va vers un temps où les moins de cinquante ans ne peuvent pas comprendre, le temps où la lettre signifiait beaucoup de choses pour nous qui n’avions connu qu’elle comme mode de communication. Quand je vois les gens penchés par leurs téléphones au point d’oublier le monde dans lequel ils vivent, quand j’aperçois les jeunes absorbés, obsédés par leurs smartphones, une question me vient à là tête : peuvent-ils être aussi heureux et sentir la joie et le bonheur qu’on éprouvait en écrivant et en recevant une lettre, un simple bout de papier mis dans une enveloppe mais qui peut transformer votre vie. Car ce papier qu’est la lettre est lié à différents sentiments que l’homme connait dans sa vie. Cela va de l’émotion, en passant par l’amour et la passion, la joie et la déception, la haine et la colère et j’en passe.
Tout un chacun doit repenser à l’attente du facteur, au coin de la rue, dans l’espoir qu’il nous ramène le courrier qui pouvait bien comprendre une lettre d’un fils émigré dans un pays lointain ou d’un père parti chercher du travail dans une quelconque ville du pays, ou peut être un mandat qu’une pauvre mère attend pour subvenir aux besoin de ses enfants. Tout un chacun doit se souvenir de ces moments où, en rentrant chez soi, on trouvait des surprises glissées sous la porte par un facteur pressé d’aller faire sa tournée quotidienne aux quatre coins du village. Tout un chacun doit se remémorer ces instants où toute la famille se réunit autour de ce garçon en train de lire aux parents analphabètes les nouvelles d’un être cher. Tout un chacun, à l’image de cette mère qui garde soigneusement dans son corsage, la missive d’un fils qu’elle a perdu de vue depuis des années et que seul ce bout de papier peut éteindre la flamme qui jaillit dans son cœur. Que de joies avions-nous éprouvé dans l’armée pendant le service national, où le sergent de permanence prononce votre nom devant tous vos collègues car vous êtes l’heureux héros qui vient de recevoir du courrier. Quel bonheur immesuré avions-nous connu à l’internat du lycée le jour où le surveillant général vous annonce qu’un pli vous concernant est dans la loge du concierge. A cet instant précis, le cœur s’arrête de battre, surtout s’il s’agît d’une lettre tant attendue d’une bien-aimée laissée au village. Un jour pareil devient inoubliable, et le soir dans le dortoir, on lit et relit cette lettre jusqu’à apprendre par cœur tous les mots, toutes les phrases.
Ces lettres d’amour, dirions-nous, constituaient pour des générations la cerise sur le gâteau. Elles représentaient le coté nostalgique de l’affaire. Toute une littérature y allait avec puisqu’il fallait lire des romans pour apprendre les belles phrases et les mots sensibles pour pouvoir ensuite rédiger des lignes qui resteront dans les annales de la correspondance. Plus que cela, il fallait que ces lettres soient parfumées, d’où des coûts supplémentaires pour nos pauvres bourses. Mais qu’à cela ne tienne, le jeu en valait la chandelle.
Et puis, avec le temps, les choses évoluèrent pour certains privilégiés qui, par mille astuces, réussirent à dégoter des correspondants étrangers du monde entier, des deux sexes. Pour cette catégorie, ce fut une aubaine que de recevoir des lettres d’une Française ou d’une Italienne. Il faut dire qu’en ce temps là, on était plutôt cotés, et heureuse l’Européenne qui pouvait se prévaloir d’avoir un ami Algérien. Que de jeunes ont pu passer des vacances agréables grâce à cette correspondance. Le seul inconvénient de l’époque était la longue durée qu’une lettre pouvait prendre. Je me souviens qu’il me fallait à titre d’exemple attendre presque deux mois pour recevoir une réponse d’une Australienne, mais que pouvait-t-on faire d’autre que s’armer de patience.
S’il y a une catégorie de gens qui regrette la nostalgie des lettres, c’est bien celle des philatélistes. Pour ces passionnés, rien ne vaut la vue d’un timbre collé sur l’enveloppe. Je me rappelle comme si c’était hier des disputes chaque fois que le facteur ramenait une lettre à nos professeurs étrangers. Tout le monde voulait avoir ces timbres, mais comme ils étaient rares, ils revenaient souvent aux élèves studieux. Tout cela a disparu aujourd’hui avec Messenger, le SMS et le MMS. Il arrive que certains de nos enfants ne savent même pas ce que c’est qu’un timbre postal. Etrange époque !
S. B.