Par Pr Mohammed GUÉTARNI*
L’article de Maître Klouche « Être ou ne pas être », paru dans le numéro 329 de notre journal Le Chélif, a interpellé mon attention. Il s’agit d’un vers d’une pièce intitulée «Hamlet» de William Shakespeare (Scène 1, Acte III). Il pose cette question légendaire en 1601 : «Être ou ne pas être, telle est la question», prononcée par son héros Hamlet.
Ce grand dramaturge était fortement inspiré par la littérature arabe. Il suffit de lire «Roméo et Juliette» pour que l’on s’en rende compte qu’il s’agit d’un pastiche à peine voilé du chef-d’œuvre «Qaïs et Leïla» (œuvre anonyme) déjà au niveau du titre. Les corps des deux textes constituent un parallélisme patent. Certes, c’est un dinosaure élisabéthain dont le nom a marqué la littérature universelle de par ses illuminations rimbaldiennes qui tentent d’embrasser l’univers présent et futur. C’était un visionnaire à la limite d’un futuriste.
Personne n’est sans savoir que les puissants de ce monde ont opté, pour progresser et évoluer constamment dans leur temps et leur espace, le mode de l’émancipation sociale. Peut-être ont-ils médité ce vers séculaire qui reste encore et toujours d’actualité. Sauf le nôtre (arabo-musulman). Les pays démocratiques savent se préparer pour surmonter ou, à tout le moins, réfréner les dégâts causés par des cataclysmes naturels qui frappent leurs pays respectifs. C’est grâce à leur démocratie participative qu’ils sont parvenus à garantir l’ordre, instaurer la discipline et, surtout, appliquer la loi dans toute sa rigueur pour et envers tout le monde sans faire usage de la répression de quelque nature que ce soit. Une justice qui ne considère pas «qui vous êtes» mais «qu’est-ce que vous faites» (délit commis). Bien que les morts se comptent déjà par dizaines de milliers en Occident, la mobilisation générale reste en vigueur jusqu’à prendre l’allure d’une solidarité sans faille entre les membres de la famille nationale. Les citoyens ne sont plus de simples compatriotes mais de proches parents unis par le lien du danger commun, en l’occurrence «le coronavirus.» Chaque citoyen met, illico presto, sa citoyenneté à contribution, chacun à son niveau, à même d’endiguer ce tsunami universel qui a frappé, sans discernement, tous les pays ou presque. C’est ce qu’on peut appeler une société organisée.
Parlant «d’El Amana», en tant que crédit moral, est une lourde charge aussi bien pour les cieux, la terre que les montagnes. Ils ont refusé de l’accepter non par défi à Dieu (comme Iblis) mais parce que ces trois éléments de la nature se sentaient faibles devant le poids de cette charge plus morale que matérielle. Pourtant l’homme l’a acceptée. D’où le verset : «Nous avions proposé le dépôt (de la foi) aux cieux, la terre et aux montagnes. Ils ont refusé de s’en charger et ils s’en sont effrayés. Ce fut l’homme qui s’en chargea car il est tyrannique et ignorant» (Coran : 33/72).
L’Algérie était un diamant brut. Depuis l’Indépendance à ce jour, tous les dirigeants, qui se sont succédé ont refusé de le polir pour en faire une perle rare et ce, par tyrannie. Ce qui est, hélas, le cas pour nombre de régimes arabo-musulmans. Malgré cette situation calamiteuse, nos dirigeants ne semblent guère pressés de se réveiller pour rattraper leurs retards, aussi bien organisationnel, culturel que scientifique parce qu’ils ont pour unique «talent» d’Achille» le pouvoir et l’argent. Le reste, tout le reste, peu leur chaut. Ce qui explique leur cruauté envers leurs peuples. Ils sèment tant de maux sans penser aux remèdes. Ce sont eux qui personnifient les tsunamis pandémiques et, surtout, endémiques de leurs société. Leur dictature sévit à tout vent sans aucune tendance ni le moindre espoir à la guérison de leur égo. Ce qui explique la distanciation gouvernants/gouvernés causée par leur arrogance.
L’homme a beau tenter de raisonner avec un esprit cartésien mais la nature, plus forte que lui, vient lui rappeler sa faiblesse. Elle reprend, donc, ses droits en imposant la fatalité. Nous vivons, aujourd’hui, une crise sanitaire que notre génération n’a pas connue. Nous ne doutons aucunement des compétences de nos courageux héros anonymes mais méritants des corps médical et paramédical (médecins, spécialistes, infirmiers, administration) qui bravent maladie et mort au quotidien en raison de leur sacrifice méritoire. Cependant, ont-ils les équipements de santé nécessaires, fiables et en quantité suffisante pour y faire face à l’instar des pays de l’Europe (France, Allemagne, Italie) et les USA… ?
On a, pourtant, trop souvent claironné à Bouteflika pendant ses 20 ans d’autoritarisme démesuré de construire nombre de CHU, à l’instar de celui de Salpêtrière à Paris où il allait se soigner, dotés de personnels qualifiés, voire performants et du matériel médical sophistiqué, à travers le pays, au profit de ses compatriotes quand il y avait la «bahbouha» de plus 200 milliards de dollars. Que dalle. Il n’a voulu entendre la voix de la raison nationale et de la sagesse populaire. C’était un président inconscient de sa tâche. Aujourd’hui, ces milliards gisent au «fonds» des comptes des requins à l’étranger.
Le fléau du coronavirus trahit, une fois de plus, l’épuisement d’un régime politique mafieux, quasi colonial fondé sur la délinquance, la déliquescence, les passe-droits, les injustices, l’insuffisance des moyens. C’est tout le système de santé qui est mis à mal en raison de l’incompétence qui a géré le pays pendant 20 ans. Devons-nous nous remettre à la seule volonté de Dieu plus qu’aux moyens offerts par l’État ? Il n’y a qu’à voir les malades algériens qui vont se faire soigner en Tunisie, en Turquie, en Jordanie parce que la santé, en Algérie, est malade, très malade, voire moribonde.
Aucun responsable politique n’a eu la moindre miséricorde sociale pour aller à son chevet et tenter de la sauver pour préserver la santé des Algériens. La santé est un bien précieux non seulement pour le citoyen mais, aussi, pour la nation et son économie. Peut-être que ce coronavirus saura-t-il accélérer le processus de cette Algérie Nouvelle tant clamée par le «Hirak» et promis par l’actuel Président Tebboune. Sera-t-il (corona), alors, le déclic d’un mal qui aura une influence bienfaisante sur notre système de santé ? Pour ce faire, il faudrait, selon Me. Klouche, que chaque Algérien doive «se désinfecter» de tous ses péchés lourds et mignons à commencer par les dirigeants algériens eux-mêmes de reconnaître leurs «sauvageries» politiques exercées contre le peuple pendant 20 ans et de restituer, à l’État, tout l’argent qui lui a été dérobé à commencer par l’ex-président déposé lui-même et sa famille. Leurs comptes, aussi bien en devises nationale qu’étrangère, sont pourvus d’un nombre exponentiel de zéros après le premier chiffre jusqu’à donner le tournis aux lecteurs, selon la presse nationale. Ils se sentaient confortés dans leur certitude illusoire d’être intouchables, donc, incontrôlables, donc, au-dessus des lois de leur République bananière. Quel triste sort !!! D’Algé-ROIS qu’ils étaient, ils se découvrent, honteusement, des moins «qu’algé-RIENS. Un choc émotionnel difficile à supporter.
Pourtant, la sagesse veut que l’on ne soit jamais sûr de rien. C’est une tragédie historique qu’ils sont en train de vivre, aujourd’hui, et… certains avec tous les membres de leurs familles (épouses, fils, filles…). Ceci est un rappel aux responsables présents et à venir : ne jamais dépasser les bornes.
Le texte coranique est là pour les rappeler à l’ordre : «Telles sont les lois d’Allah. Quiconque transgresse les lois d’Allah se fait du tort à lui-même.» (Coran : 65 ; 01). Par excès d’orgueil, ils n’ont point voulu respecter, les consignes divines. Ils se voient, aujourd’hui, condamnés à 12, 15 et 20 ans de prison ferme avec saisie de leurs biens parce que mal acquis.
Nous rejoignons Me Klouche que ce système, qui a trop perduré, a fragilisé l’Algérie, l’Algérien et tout ce qui va avec : politique, économie, culture. Il a marginalisé le peuple, méprisé l’intellectuel, négligé la jeunesse… Aujourd’hui, avec cette pandémie, le système de santé n’est pas dans une situation confortable pour pouvoir y faire face. En dépit de toutes les difficultés, nos personnels soignants, à travers tout le pays, déploient, avec courage, abnégation et détermination, des efforts surhumains pour contenir, bon an mal an et selon les moyens du bord, cet ennemi viral auquel sont exposés leurs compatriotes, parfois au risque de leur santé, voire de leur vie tel que le chirurgien Si Ahmed El Mahdi (paix à son âme) à Blida. Ils travaillent sans compter leurs heures. Seul Dieu saura les rétribuer à la hauteur de leurs nobles sacrifices. Notre espoir est que cette pandémie sera un séisme constructeur plutôt que dévastateur en rétablissant, à jamais, la solidarité ancestrale, en détruisant, pour toujours, la dictature et les faiseurs de roitelets. Pourra-t-elle, alors, bâtir les passerelles d’un dialogue constructif, permanent et sérieux entre gouvernants et gouvernés à même de forger ensemble le destin du pays, du peuple, de la nation tout entière, particulièrement, pour les générations à venir ? Saura-t-elle (pandémie) capable de secouer les consciences de nos actuels politiques que seuls la Science et le Savoir sont à même de garantir un avenir meilleur pour notre pays et non plus son pétrole ni son gaz à 22 dollars le baril ? Ces derniers ne sont que des adjuvants, certes précieux, pour une économie nationale forte et diversifiée. Celle-ci assurera et garantira, sans la moindre ombre de doute, toutes les indépendances nationale, alimentaire, économique et, surtout, une réelle justice sociale que nous attendons tous avec impatience. Nous vivons dans un monde où seuls les forts trouvent leur place. Les faibles n’ont leur raison d’être. Autrement dit, c’est… «Être ou ne pas naître. Telle est notre devise.»
En guise de conclusion, nous pouvons dire que les valeurs d’un esprit sain refuse le trop et le trop peu. Il préfère, plutôt, la mesure et la modération en tout et dans tout. Cela ne peut fonctionner qu’avec une foi cartésienne qui fait appel à une raison rationnelle et pas seulement fidéiste. Celle-ci seule fera prendre conscience à tous et à chacun la part de ses responsabilités, à la fois, nationale, sociale, morale, civique et… citoyenne. C’est ce qu’on peut appeler, à mon humble avis, «donner un sens à sa vie.»
M. G.
*Docteur ès Lettres