L'Algérie de plus près

19 mars : Mémoire d’histoire ou… guerre de pouvoir ?

Par Pr Mohammed Guétarni*

Le 19 mars 1962 est la date fatidique du Cessez-le-feu après 132 années de colonisation française suivie d’une guerre âpre de plus de sept années chargées de peur, de pleurs, de torture, de mort, de misère, de privation, d’analphabétisme. Les mots n’ont plus la force sémantique requise pour décrire le poids les peines endurées par tout un peuple durant cette période. Elle fut la marque indélébile d’une vie cauchemardesque de plus d’un siècle d’une colonisation des plus meurtrières vu l’étendu de ses horreurs. Le peuple avait du mal à croire en l’évènement tellement inattendu : « le Cessez-le-feu en Algérie. »

19 mars 1962 : de la lutte pour l’indépendance à la lutte pour le pouvoir

La colonisation est une période inscrite dans l’Histoire de l’Algérie colonisée, martyrisée en lettres de souffrances et de douleurs, de sang et de larmes 132 ans durant. Le 18 mars 1962, à midi pétant, le glas, à une colonisation séculaire, a sonné à la suite d’une Guerre de Libération Nationale (1954-62) implacablement meurtrière, inhumaine, sans merci et… sans pitié. Elle a coûté la vie à un million et demi à ses meilleurs fils tombés en martyrs pour LEUR Algérie qu’ils aimaient plus qu’eux-mêmes tant ils se sentaient chaudement ses enfants. Ils étaient Algériens jusqu’au bout des ongles, de corps comme de cœur. Ils portaient l’Algérie dans leur sang et dans leurs âmes. Oui, ses meilleurs fils car ils n’avaient fait aucun calcul politique pour mener à terme leur Révolution. La Révolution du siècle. L’Indépendance était, alors, leur unique ambition ; le ‘’Nord’’ et l’honneur’’ de leur action révolutionnaire en dépit de l’arsenal militaire inégal des deux parties.

Le 18 mars 1962, Louis Joxe, alors ministre d’Etat chargé des affaires algériennes, annonce, dans un communiqué, que la délégation française et les membres du Front de libération nationale (FLN) dirigée par Krim Belkacem, sont parvenus à un accord mettant fin aux hostilités engagées depuis le 1er novembre 1954. Les négociations ont duré onze jours à l’Hôtel du Parc à Évian, ville des Alpes françaises, non loin de la Suisse, où se trouvaient des indépendantistes algériens. La pomme de discorde fut, alors, le Sahara convoité par la France en raison des richesses énergétiques qu’il recèle (pétrole et gaz) mais, aussi, l’avenir des Pieds-Noirs et des Harkis. Les émissaires algériens en charge des pourparlers ne se sont point sentis en position de faiblesse ni d’infériorité, moins encore, de colonisés. Ils ont défendu bec et ongles les intérêts de leur pays pourtant encore sous domination. Le document, comportant 93 pages, a abouti sur un cessez-le-feu rapide qui était entré officiellement en vigueur dès le lendemain en 19 du même mois à même de mettre fin aux hostilités depuis la date suscitée. Ces négociations prévoyaient, entre autres, l’organisation d’un référendum où les Algériens auront à choisir leur destin : ‘’rester sous la tutelle de la France en tant que territoire d’outre-mer ou opter pour l’Indépendance.’’ Le 8 avril, les Français métropolitains étaient, aussi, invités à se prononcer sur les accords d’Evian. Ces derniers les ont approuvés à une majorité écrasante (90,81%). En Algérie, un référendum d’autodétermination s’est déroulé le 1er juillet 1962. Comme attendu, le « OUI » l’avait massivement emporté à hauteur de 99,72% des suffrages exprimés. Cela coulait de source. Les membres de la délégation algérienne avaient négocié, avec leurs homologues français, d’égal à égal sans complexe. Ils n’ont pas, non plus, lâché du lest sur l’intégrité territoriale du pays. Les accords, bien que pénibles, étaient enfin conclus et signés à l’avantage d’une future Algérie algérienne qui allait connaître son Indépendance un 5 juillet de la même année pour effacer celle de la colonisation en 1830. Le 1er juillet 1962, les Algériens ont voté en faveur de l’Indépendance. Ahmed Ben Belle fut élu en sa qualité de premier Président de la première République algérienne. Le 05 du même mois, l’Algérie devenait officiellement et effectivement indépendante. Et oui ! Tout a une fin, même une colonisation séculaire et tentaculaire.

Des luttes intestines ‘’sang pour sang’’ algériennes !

Au lendemain de l’Indépendance, il s’en est suivi, certes, des débordements : règlements de compte, assassinats, enlèvements de Français et d’Algériens (harkis et profrançais) en représailles. L’exode massif des Européens fut, alors, quotidien. Ports et aéroports étaient pris d’assaut. Ils emportaient, pour bagages, quelques valises. Ils se sentaient abandonnés, voire trahis par le Général De Gaulle. Pour les colons, il s’agissait d’une capitulation de la France devant le FLN. Les Algériens ont, aussi, connu des attentats commis par l’OAS (Organisation de l’Armée Secrète) dirigée par le Général Salan. Voyant que la partie était perdue, ce dernier joua une ultime carte politique celle-là : tenter de renverser l’équilibre des forces par une alliance avec le MNA (Mouvement National Algérien) de Messali Hadj. Les messalistes, à l’instar de leurs compatriotes, réclamaient aussi l’indépendance de l’Algérie mais avec le maintien des Européens en Algérie pour qui le souhaitaient à même de contribuer au développement du pays. Ce fut en vain. Messali Hadj, en tant que politicien averti, refusa tout compromis avec une organisation criminelle qui a massacré, en un temps record, 2 400 Algériens. Reconnaissant ses responsabilités à la tête de l’OAS, (le Daèsh français de l’époque), il fut condamné par le Haut Tribunal Militaire à la réclusion criminelle à perpétuité bien qu’il fût le Général le plus décoré de France. Dans ce pays, on ne badine pas avec les lois de la République même si on se trouve au sommet de la hiérarchie militaire. Ces exactions furent les derniers soubresauts spasmodiques d’une colonisation qui a duré des générations : de 1830 à 1962.

Cependant, au lendemain de l’Indépendance, et sans que le sang de nos valeureux martyrs (paix à leurs nobles et pures âmes) ne fût séché, que des luttes intestines entre fractions du FLN, en course pour le pouvoir, ont encore fait couler du sang algérien par des Algériens. A titre d’exemple la Bataille de Massina à Chlef menée par le colonel Boumédiène. Ces moudjahidine faux et mafieux avaient combattu pour seul objectif leur ‘’el batane’’ (ventripotents). ‘’El watan’’ (patrie) était leur souci dernier. Des MARSiens ont pris le maquis pour quelques mois sans jamais tirer le moindre coup de « baroud révolutionnaire. » Nombre d’entre eux se trouvent, aujourd’hui, dans les rennes d’un pouvoir sans partage. Ce qui a donné naissance à la ‘’Issaba ‘’ d’aujourd’hui qui n’a pas hésité à piller le pays. Cette engeance, sans foi ni loi, ignore le verset : «Toute âme gouttera la mort. Mais c’est seulement le jour de la Résurrection que vous recevrez votre entière rétribution. Quiconque donc est écarté du feu (de la Géhenne) et introduit au Paradis a certes réussi. Et la vie présente n’est qu’un objet de jouissance trompeuse» (Coran : 3/185). Ce verset, à grande valeur morale ajoutée, est à méditer par tous ceux qui détiennent la moindre parcelle d’autorité à même d’instaurer une justice sociale, chacun à son niveau : du Président d’APC au Président de la République, du Chef de Daïra au Chef du Gouvernement. Ceux qui ont tué leurs frères, sans âme ni conscience, pour s’emparer du pouvoir, nombre d’entre eux sont morts ou sur le point de l’être à l’instar de ceux qui ont assassiné le feu Président Boudiaf. Ils sont sans leur pouvoir mais avec des crimes sur la conscience. Faut-il qu’ils en aient une !!!

Un traumatisme durable

La vie politique, sociale et économique française a été sérieusement ébranlée par les retombées de cette guerre qui ne disait pas son nom. Elle a mobilisé plus de deux millions de jeunes Français. Selon certaines statistiques, au total plus de 25 000 soldats français ont été tués. Auquel cas on ajoute 2000 victimes de la Légion étrangère, un millier de disparus et 1300 soldats morts suite à leurs blessures. En Algérie, environ un million et demi de Chahid sont tombés dans les champs d’honneur pour l’honneur l’Algérie. Plus de 2 millions de nationaux ont été déportés dans des camps de regroupement. L’indépendance de l’Algérie était la dernière étape importante de la liquidation de l’Empire colonial français. En huit ans, de 1954 à 1962, la France s’est séparée de l’Indochine, de l’Afrique subsaharienne et l’Afrique du Nord (Maroc et Tunisie), au moyen de hautes luttes sous la IIIème République. La France, meurtrie par sa défaite de 1940 et un début de déclin, ont émancipé ses colonies de la contrainte. De toutes les colonies libérées, celle de l’Algérie fut particulièrement la plus douloureuse pour les colons.

Qu’en est-il de l’Algérie indépendante ?

Pour nombre d’observateurs, le soleil de l’Indépendance n’a pas brillé pour tous les Algériens. Autrement dit, l’Algérie indépendante se résume à un chômage massif, pauvreté endémique, sous-développement persistant, mafia politico-financière, détournements de fonds colossaux (des centaines de milliards de dollars), corruption galopante, fraudes électorales flagrantes et manifestes, pouvoir verrouillé, population bâillonnée, une jeunesse rongée par le désespoir au point de se  fixer pour objectif de traverser la ‘’MORT’’ Méditerranée dans l’espoir d’atteindre l’eldorado pour une VIE meilleure à bord d’embarcations de fortune quel qu’en soit le prix. Fut-ce au prix de leurs vies. L’Oligarchie ‘’issabiste, honnie et autiste, refuse d’écouter le peuple et de passer le pouvoir aux compétences. Elle n’a pas cessé de vampiriser l’économie nationale. Selon la chaîne algérienne de télévision ‘’Echourouk’’, nombre de ministres, députés, sénateurs et autres ‘’arabbatchiks’’ ont acquis, au vu et au su des autorités de l’État, des appartements en Europe (Espagne, France, Angleterre…) à coup de centaines de milliers d’euros au détriment des classes laborieuses qui, bien qu’elles triment dur, ne cessent de se paupériser. Une rapine légalisée parce qu’ils sont le Pouvoir. Quelle honte !!! Comment est-on arrivé là ? En raison de la délinquance politique menée par des voyous au pouvoir. Peut-on demander aux citoyens d’observer les règles morales et respecter les lois républicaines lorsque les dirigeants eux-mêmes s’en exemptent, voire les transgressent effrontément ??? Pourtant, avec ses plus de 200 milliards de dollars, l’Algérie aurait pu être, aujourd’hui, une réelle Corée du Sud vu les potentialités naturelles, humaines et matérielles dont elle dispose. Une société évoluée se définit par la place qu’elle attribue à son intelligentsia, à ses chercheurs qui sont sa valeur ajoutée pérenne parce que renouvelable. L’intelligence est la capacité de s’adapter aux changements.

Une société organisée constitue un ensemble cohérent où nul n’est au-dessus de la Loi, où nul n’est sensé la violer ni l’ignorer. Cette cohérence ne peut être garantie et protégée que par la ‘’Justice sociale’’ et… elle seule. Ce qui peut aboutir à une ‘’communion’’ d’hommes libres et responsables. Autrement dit, la justice sociale construit une communauté formée de citoyens respectables et respectueux des lois de la République qu’on appelle «peuple

Ah ! Si nos dirigeants s’étaient montrés, dès l’Indépendance, respectueux et affectueux envers leurs compatriotes, ce serait une autre Algérie, aujourd’hui. Il n’y aurait jamais eu 200 000 victimes du terrorisme durant la décennie 90, ni le pouvoir imposteur de Bouteflika, ni ses vampires tels qu’El Hamel, Haddad, Ouyahya, Sellal, Bouchouareb et tous les autres qui ont vidé les caisses de l’État. Un gouvernement constitué de traîtres à leur nation, formé à partir de véritables rapaces qui ne vivaient que de rapine se croyant intouchables à vie au vu de leur statut politique. Après avoir ‘’paradé’’ devant la justice comme des bandits de grand chemin, les voilà qui se nourrissent, aujourd’hui, de simples « adadisse » après avoir été gavés, pendant des lustres, de « etteïba mel larzak. » Quel avilissement ! Quelle humiliation !!! A quand le Président Tebboune récupéra-t-il l’argent de l’Algérie qui gît dans les banques étrangères pour honorer ses promesses électorales? Le « Hirak » est  toujours mobilisé et surveille ses mouvements.

1962, l’Indépendance confisquée

Cependant, prétendre que l’Algérie indépendante est un enfer, serait exagéré. Dire que c’est un paradis, serait mentir. Au lendemain du ‘’pronunciamiento’’ de Boumediene en 1965, le pays a replongé, de nouveau, dans une autre colonisation par le Clan de Oujda dont figure le président chassé. Un pouvoir usurpé par la force des armes. Ce clan a confisqué l’Indépendance au peuple.

Ce dernier se voit, derechef, soumis à un autre système totalitaire national excluant toute forme de contestation sociale. Le pouvoir, entre les mains de quelques putschistes, est devenu leur chasse gardée, leur bien immatériel, leur temple sacré où seuls des prosélytes y ont droit d’accès. Pour s’éterniser dans leur pouvoir, ses hommes s’appuient sur les accointances plus que sur les compétences dont ils s’en méfient. Ce qui explique la démission sociale et la fuite des cerveaux à l’étranger. La société se voit exclue des grandes décisions du pays. A titre d’exemple, la dernière Constitution fut votée en vase clos, c’est-à-dire en Chambres closes : Parlement-Sénat. Sont-ce les seuls grands électeurs de l’État ? Le peuple n’a-t-il pas voix au chapitre ?

Il faut dire que le niveau de vie des Algériens s’est peu ou prou amélioré mais durant la ‘’bahbouha’’ financière où le baril du pétrole frisait la bagatelle des 130 dollars. Le gouvernement a refusé d’industrialiser le pays pour s’appuyer exclusivement sur les importations afin de permettre à ses nababs de justifier la fuite des capitaux vers l’étranger au moyen de surfacturations, entre autres moyens.

L’équipe de l’ex président refusait de faire décoller l’économie du pays et, du coup, créer des centaines de milliers, voire des millions d’emplois au profit de la jeunesse pour un objectif qui reste abscons. Il ne faut pas ternir le tableau. Il y a eu quelques réalisations mais ce ne sont que de la poudre aux yeux comparativement à ce qu’il devait être fait. Les constructions d’hôpitaux, écoles, universités, logements, routes, autoroutes (même si elles sont ce qu’elles sont). Ajoutons à cela, une dette extérieure apurée, usines de dessalement d’eau, subvention des produits de première nécessité. Ceci est loin, très loin de satisfaire les sacrifices des Algériens.  

En conclusion, rappelons que l’Algérie est chère, trop chère pour ses enfants. Seule une justice sociale équitable pourra bâtir une société homogène parce qu’alors égalitaire. La noblesse comme la paysannerie, la classe dominante comme la classe prolétarienne forment un tout qu’on appelle la nation algérienne. Les privilèges de l’une au détriment des autres ne font qu’aggraver le hiatus, déjà abyssal, entre différentes classes et, donc, handicaper la nation en freinant son évolution et attisant les haines et les luttes de classes. Ce qui est, hélas, le cas aujourd’hui. Le sentiment de justice, dans un État démocratique, n’admet sous aucunement, un enrichissement illicite qui ne soit justifié par le travail ou le talent. Ceux qui réussissent doivent l’être grâce à leur talent, leur mérite, leurs efforts et non au moyen de la rapine. Notre société est fortement contrastée par l’infiniment riche et l’infiniment pauvre. La réalité sociale est présente pour le prouver. Par justice sociale, nous entendons la suppression des privilèges indus si ce n’est celui acquis par le mérite. ‘’Ceux qui la [réussite] convoitent qu’ils entrent en compétition [pour l’acquérir]. (Coran 83/26). Mais attention : ‘’Malheurs aux fraudeurs.’’ (Coran 83/1). Pour preuve, la majorité des éléments de la pègre du président déchu sont tous (ou presque) en prison. Il ne reste que lui. A quand sera-t-il devant la Justice pour répondre de ses actes. Histoire de justice et Espoir d’équité.

Cependant, les Algériens ne doivent plus rester résolument « confinés » dans leur Passé même glorieux mais révolu, ni rêver d’un Futur hors d’atteinte. Ils doivent, simplement, concentrer leurs efforts pour tracer une feuille de route vers une nouvelle ère mais… accessible et réalisable qui sera l’avenir des générations à venir.

Professeur Mohammed GUÉTARNI

Docteur ès Lettres