Dans un post publié sur sa page Facebook, le professeur Belkacem Ahcène-Djaballah a évoqué un sujet très actuel : « l’invasion culturelle » (« el ghazwou ethaqafi »). L’enseignant universitaire rappelle que ce terme n’a pas évolué depuis les années soixante du siècle dernier. Pire, relève-t-il, certains de nos responsables ne se gênent nullement de le resservir aux « masses » populaires pour les prévenir du danger que peut représenter tel film, tel documentaire ou tel livre étranger sur notre société. Le dernier documentaire allemand sur l’Algérie faisant foi.
Nous sommes en 2022 et le discours, tout comme cette expression héritée des années de nationalisme exacerbé, n’a pas évolué.
Certes, l’«invasion culturelle» est un fait bien réel et ses manifestations sont perceptibles même dans les pays les plus avancés de la planète. Chaque nation a réagi selon ses moyens pour faire face à l’intrusion des idées nouvelles véhiculées en particulier par le cinéma. Certains pays, et ils sont nombreux, opposent une farouche résistance aux influences culturelles étrangères, interdisant la moindre de leur manifestation dans l’espace public. D’autres, plus réalistes, ont laissé faire non sans proposer dans le même temps des alternatives à même de préserver leur identité culturelle et leur façon de vivre. Cela, à travers l’encouragement des initiatives culturelles et le soutien permanent à la création artistique. Des pays européens, la France notamment, imposent une clause d’exception culturelle pour tout ce qui est production de livres, de documentaires et de films. Les chaines de télévision par exemple sont tenues de diffuser un quota non négligeable de produits audiovisuels nationaux.
Il faut dire qu’avec la libéralisation échange au lendemain de la seconde guerre mondiale, les films Hollywoodiens ont envahi la planète, désarticulant les industries de production locales et introduisant dans leur sillage de nouvelles idées, une autre vision du monde, une autre façon de vivre, l’american way of life que beaucoup de courants politiques traditionalistes contestent.
Le professeur Djaballah assène cette vérité : « À dire vrai, il n’existe aujourd’hui d’invasion culturelle que dans les esprits de ceux qui oublient que toute invasion « culturelle » n’est possible qu’à cause de la faiblesse ou de l’inexistence de culture(s) nationales (s), régionale(s) et locales(s) multiples et diversifiées ou, encore à l’absence d’initiatives osées, laissant ainsi la voie libre aux « récupérateurs » extérieurs à l’affût de tout vide ou lacune (à l’exemple de la nouvelle chaîne TV5 Monde destinée entre autres aux jeunes des pays maghrébins ,depuis le vendredi 28 janvier, une “chaîne jeunesse” ciblant les 4-14 ans ,disponible 24h/24, 7jours sur 7, en clair et gratuite sur le satellite ARABSAT Badr et couvrant 30 pays d’Afrique). »
Sommes-nous capables de faire pareil ou, à tout le moins, reprendre l’idée qui a prévalu au moment de la création de la chaine Algerian TV et A3 ? Pour rafraîchir la mémoire aux lecteurs, il était question en 1994, de porter haut la voix et l’image de marque de l’Algérie ; les deux chaîne devant faire mieux connaître l’Algérie, sa culture, son histoire et ses ambitions futures, la première pour le public francophone (France, Suisse, Belgique, Canada et pays d’Afrique), la seconde pour le public arabophone (Moyen-Orient). Or, des retournements de situation et un manque d’ambition ont fait que les deux chaînes soient clonées sur la chaîne-mère « terrestre ».
Parabole et brouillage
L’apparition dans les années 1960-1970 des satellites de diffusion télévisuelle qui arrosaient librement de vastes régions du globe, faisant fi des frontières, n’a pas été prise suffisamment au sérieux par nombre de pays en développement. Le nôtre en particulier. Au début des années 1980, au moment où apparaissaient les premières paraboles individuelles, « interdites mais tolérées » comme l’avait écrit une de nos consœurs dans Algérie Actualités, quelques députés avaient proposé de brouiller leur signal !
Mais que faire contre le progrès technologique quand on n’a pas de solution technique ? L’intrusion des « paraboles » individuelles a précipité le déclin des télévisions nationales. Dans les années 1980, l’Algérie a vécu -comme le reste du monde- une véritable invasion culturelle sans possibilité de réagir. Malgré cela, la modernisation de la télévision et de la radio n’était pas perçue comme une priorité. Le discours n’a pas vraiment changé et les équipements sont restés longtemps obsolètes. Conséquence logique : les programmes sont boudés par les auditeurs-spectateurs qui se sont tournés progressivement vers les chaines étrangères.
Enfin, le développement spectaculaire de l’Internet a balayé toutes les (anciennes) certitudes. Nous vivons, sans conteste, des invasions culturelles impossibles à contenir.
A. L.