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Port de pêche de Ténès : Malaise chez les marins et les armateurs

Le mauvais temps qui a sévi pendant plusieurs semaines au nord du pays n’a pas été sans provoquer des dégâts collatéraux, notamment les marins pêcheurs et les armateurs qui ont été obligés au repos forcé. Et à en subir les contrecoups parce que sans prises de poissons, point de revenus. C’est que les pêcheurs exercent un métier particulier où l’aléatoire le dispute au danger. Reportage à Ténès chez les gens de mer. 

La pêche est l’une des activités socio-économiques des plus importantes en Algérie. Au niveau du littoral de la wilaya de Chlef (129 km), elle est un fournisseur d’emploi de premier plan pour une large frange de la population côtière. L’activité de pêche en mer représente également l’une des principales ressources en protéine animale pour la majorité des habitants du littoral. Le port de pêche de Ténès, est considéré comme l’une des plus importantes infrastructures de pêche sur la façade maritime de la wilaya de Chlef. Il existe trois ports de pêche (Ténès, Béni Haoua et El Marsa et un abri à Sidi Abderrahmane.

Le port de Ténès a connu de profondes transformations en raison des investissements publics massifs pour le développement des infrastructures portuaires dans le cadre d’une politique nationale de relance économique. Cependant, s’il est reconnu que l’activité de pêche joue un rôle important dans le développement socio-économique, en contribuant à l’amélioration du niveau vie des communautés côtières et de leur bien-être, devenant au cours des dernières décennies, un secteur stratégique au même titre que l’agriculture ou la santé, l’État ne s’est pas investi totalement dans le domaine socioprofessionnel des pêcheurs estiment ces derniers.

Au port de pêche de Ténès, cette coquette petite ville côtière située à 52 km au nord de Chlef, chef-lieu de la wilaya, les marins pêcheurs, les patrons de pêche, les propriétaires d’embarcations et les mandataires vivent au gré des conditions météorologiques et des prises de poisson bien entendu.

« Un impôt arbitraire« 

Il était 17h à notre arrivée sur les lieux en ce mois de mi- décembre. Un bateau de pêche, sorti en mer en milieu de matinée, nous dit-on, vient d’amarrer à son quai. Des marins pêcheurs en descendent, l’air désabusé. Leur retour presque bredouille explique toute la détresse qui se lit sur leurs visages. « Il a passé plusieurs heures en mer et, comme vous voyez, il n’a ramené que quelques caisses de poisson, de quoi couvrir à peine les frais de gasoil et d’entretien du menu matériel ! », nous dit-on. Il faut souligner que le carburant est un casse-tête pour ces marins pêcheurs, puisqu’à chacune des sorties, l’on indique que la consommation oscille entre 250 et 400 litres de gas-oil. « Et c’est à nous de régler cette lourde facture lorsqu’il n’y a aucun rendement de notre sortie en mer », nous dit-on. « Nous sommes les parias de la mer », se révolte un de ces marins pêcheurs, qui s’indigne d’être soumis au paiement d’un impôt, juste parce qu’il est titulaire du fascicule qui lui ouvre droit à l’exercice de ce métier. « C’est comme si on soumettait tout titulaire d’un diplôme à un impôt », s’offusque-t-il.

Dans le récit de leurs misères, des pêcheurs rappellent qu’ils n’ont eu aucune rentrée d’argent depuis plus d’un mois et demi. « Je vous le jure que si on me donne 20 000 DA par mois, je laisserais tout tomber et je me contenterais de ce petit salaire pour nourrir mes enfants », fulmine un jeune patron de pêche ! Quant à Slimane un jeune célibataire d’une trentaine d’années qui exerce la fonction de ramendeur (réparateurs de filets), il nous confie que « cela fait bientôt un mois et demi que les chalutiers, les sardiniers et les petits métiers n’ont pas pris la mer à cause du mauvais temps. Par conséquent, je n’ai aucun revenu mais, heureusement, je ne suis pas marié et je n’ai pas d’enfants, sinon ce serait la galère ». Le même interlocuteur nous cite l’exemple d’un pêcheur qui habite le même immeuble que lui mais ce dernier est marié et père de cinq enfants dont le dernier a à peine un an. A son sujet, Slimane nous dira ceci : « Croyez-moi, il suffit qu’il ne sorte pas en mer à cause du mauvais temps pendant 15 jours et c’est la misère qui s’installe chez lui ; il n’a même pas d’argent pour acheter du lait pour son dernier-né ».

La détresse au quotidien

Selon de nombreux témoignages le cas de ce pêcheur n’est pas isolé. Les quelques 2000 pêcheurs inventoriés au niveau du port de Ténès vivent des moments difficiles.

Même cris de détresse chez les patrons de pêche. Ammi Hadj dit avoir acquis son bateau grâce à un crédit bancaire « Je risque de le perdre parce que je n’arrive pas à honorer le paiement de l’échéancier de mes dettes face à cette crise qui nous tue, qui tue notre métier », assure-t-il. « Pourquoi le gouvernement qui ne cesse de vanter les aides aux jeunes du sud et des chômeurs, ne nous vient-il pas à notre secours ? Les pêcheurs sont les seuls qui se morfondent dans leur crise sans qu’on fasse attention à leur misère ; qu’on nous donne un moratoire pour le paiement de nos crédits », s’emporte-t-il.

A ces problèmes de manque de subvention et de soutien des pouvoirs publics, comme le laissent entendre les concernés, s’ajoutent bien d’autres préoccupations liées à leur situation socioprofessionnelle ou à la vétusté du matériel et l’absence d’un équipement fiable posent un énorme problème aux pêcheurs. « Qu’on nous donne du matériel et vous allez voir : est-ce que le poisson est absent des fonds marins, je mets tout le monde au défi d’aller le chercher là ou il se trouve », assure ce parton de pêche.

Cette réflexion est bien fondée car nous avons appris qu’il existe seulement trois bateaux de pêche qui disposent d’équipement et de matériels sophistiqués leur permettant de sonder les fonds marins dans des zones loin de la cote où le poisson se trouve en abondance contrairement aux autres patrons de pêche qui pratiquent la pêche côtière.

Une caisse d’assurance spécifique pour les pêcheurs

C’est l’une des principales revendications des marins pêcheurs que nous avons rencontré. Les pêcheurs et les marins ont plaidé pour l’amélioration des services au niveau du port et à leur prise en charge en cas de congé maladie ou de période d’arrêt de l’activité de pêche en raison des perturbations climatiques. Selon le directeur de la chambre de pêche, « une caisse spécifique pour garantir une source de revenus pour les pêcheurs, durant la période de repos biologique ou du mauvais temps est une très bonne idée dans la mesure ou son financement se fasse à partir des subventions de l’Etat mais aussi de la participation des premiers concernés, à savoir les armateurs, les mandataires et les marins pêcheurs ».

Malheureusement cette suggestion ne fait pas l’unanimité parmi les pêcheurs. Le président de la chambre de pêche invite les marins pêcheurs et les armateurs sur l’importance de l’affiliation à la sécurité sociale des salariés ou des non-salariés afin de garantir leur droit notamment à la retraite. Il s’agit également de leur faciliter l’accès aux différentes prestations fournies, telles que l’assurance maladie et la carte Chiffa.

Bencherki Otsmane