PAR SLIMANE CHERIFI
Fébrile, je courais dès le petit matin, mon petit cabas noir à la main. J’avais peur de rater le départ. Tout était là : mes deux tricots de peau et mes slips blancs, ma serviette de bain, mon savon, ma brosse à dents et mon dentifrice, comme l’exigeaient les organisateurs. L’espadrille, je l’avais aux pieds. J’étais prêt. Conduit par les soins de mon père, j’arrivai devant les portes du lycée à sept heures en même temps que l’autocar qui devait nous servir de transport. Il toussota un moment puis arrêta son moteur. A l’intérieur du lycée, au milieu de la grande cour, une cinquantaine d’élèves en file indienne attendaient leur tour. La fouille était méticuleuse et les élèves qui n’avaient pas rempli les conditions vestimentaires sont écartés. J’ai eu la peur au ventre de subir ce sort, jusqu’à ce qu’on me remette mon badge. Un petit rectangle en carton, sur lequel les organisateurs avaient collé ma photo et inscrit mon nom et mes prénoms. Elèves et parents attendaient le départ.
C’était la première fois que je quittais le nid familial. Mon père était stressé et ma maman encore plus. Elle ne me laissa sortir de la maison qu’après m’avoir embrassé trois fois et ébouriffé les cheveux autant de fois.
– Fais attention à toi ! me lança-t-elle de derrière la porte d’entré. Mon père ne s’éloigna de moi que quand les moniteurs annoncèrent le départ.
– Soit sage mon fils et obéit à tes éducateurs, me fit-il entendre en me faisant un dernier signe de la main. J’avais pris place derrière le chauffeur, sur le siège côté vitre ; j’avais choisi cette place pour voir du paysage quand je vis mon père essuyer le front. Bang ! Bang ! Frappant et criant « Papa ! Papa ! » Pour attirer son attention. Pour toute réponse, il grimaça un léger sourire.
On était pressé de prendre la route vers la bleue.
« Allez chauffeur, n’ai pas peur ! Mettez la gomme au moteur ! » criaient les vacanciers encouragés par leurs éducateurs.
La fouille et le petit encas – bol de lait, chocolat noir et tranche de pain – nous avait beaucoup retardé. Au fur et à mesure que l’autocar avalait les kilomètres qui nous séparaient du camp de colonie, l’enthousiasme qui nous animait, s’estompa. Les voix s’étaient tues et au bout d’un moment le car se transforma en ruche. Bzzz ! à droite ; Bzzz ! à gauche, rares étaient ceux qui restaient encore éveillés. L’autocar roula toute la nuit. On n’a eu droit qu’à un arrêt pour diner et se dégourdir les jambes.
Le lendemain matin, à cinq heures trente, les passagers furent réveillés aux cris et aux klaxons du chauffeur :
– Terminus ! On est à bon port !
Les agents du camp de colonie avaient ouvert les portes du camp pour l’engin de transport et préparé du café. L’odeur arriva jusqu’aux narines des dormeurs et de la mienne. A la queue-leu-leu, on se lava le visage à l’eau claire aux deux fontaines externes de la cuisine, sous l’œil des moniteurs et allâmes nous installer devant de longues tables en bois où café, chocolat et lait chaud nous attendaient. Il y avait du beurre et de la confiture à tartiner.
– Asseyez-vous ! ordonna le cuisinier.
Le bruit des bancs était assourdissant. Profitant de l’ignorance de mon groupe, j’ouvris mon pain en deux et l’enduis généreusement de beurre et de confiture. On n’entendait que le bruit des brocs et des dents qui mordaient dans le pain croustillant.
Le petit déjeuné fini, les moniteurs accompagnés des agents du camp, nous menèrent vers nos lits. Des lits de camp en toile, entreposés en ligne sous de grandes tentes. Pour toute literie, un épais édredon en laine, une paire de draps fleuries et une couette. Bien entendu les frileux avaient droit à une couverture supplémentaire. Après avoir arrangé nos lits, on passa au magasin, où nous attendait l’intendant du camp. Il nous remit grands et petits, une tenue verte : short et cuissette enveloppés dans de la cellophane. Cet habit avait une infinité de messages éducatifs : le premier pour faire disparaitre les différences de classes sociales, le second pour l’enrôlement à la discipline et le troisième pour faciliter notre récupération en cas de perte, parce qu’il porte le nom de notre camp de colonie de vacances.
Rien n’était laissé au hasard. Levée à sept heures, toilette, rangement du lit et de nos affaires, levée des couleurs avec hymne national que l’on répétait après l’animateur, petit déjeuner, sortie en plage, retour à midi, repas, sieste, jeux de groupe et d’endurance (courses, foot et volley-ball), souper, spectacles et extinction des feux.
A la plage, les moniteurs à moitié dans l’eau, à l’aide d’une corde qu’ils tendaient, nous interdisaient d’aller nager en eau profonde et risquer de se noyer.
Au dixième jour, sous nos casquettes vertes, nos shorts et nos cuissettes, on ressemblait plus à des blattes qu’à des élèves de lycée.
S. C.