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Ziad Medoukh, poète et homme de lettres Gazaoui : « Comme Palestiniens, nous comptons sur notre résistance et la solidarité internationale »

Poète, écrivain, professeur de français dans les universités de Gaza, Ziad Medoukh est une figure intellectuelle reconnue. Au terme de plus de quinze mois d’une guerre génocidaire, il continue à résister, écrire et publier. Comme tant de Palestiniens, il survit aujourd’hui dans les ruines de son quartier, incarnant avec un courage tranquille cette résilience palestinienne qui force l’admiration dans le monde entier. À l’occasion de la sortie de son dernier livre « Poèmes d’espoir à Gaza la dévastée » aux éditions de Rochefort, en Suisse, il a accepté de répondre à nos question pour Le Chélif.

Le Chélif : Plus de quinze mois après le début de l’offensive génocidaire à Gaza un fragile cessez-le-feu a enfin été mis en œuvre le 15 janvier dernier. Comment vivez-vous la situation au quotidien ?

Ziad Medoukh : La situation est toujours dramatique à Gaza. Trois semaines après l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, le quotidien est tragique pour les deux millions de Palestiniens. Le retour massif de 900 000 d’entre eux du sud vers le nord est une véritable épreuve. Leurs maisons sont dévastées et leurs quartiers détruits. Pourtant, leur attachement à leur terre a triomphé. Ils sont toujours là. C’est un message clair et une réponse sans appel aux déclarations de Trump. Ils ne quitteront pas leur terre. Ici c’est notre terre. Nous ne partirons pas. En quelques mots, voilà la situation aujourd’hui. Il n’y a aucun service dans la bande de Gaza. Depuis trois semaines, ni réparations, ni routes, ni centre médicaux, ni distribution de nourriture. L’aide humanitaire arrive au compte-gouttes malgré les engagements. Il était prévu trois cents camions humanitaires dans le nord, il n’y en a que soixante à quatre-vingt. Des produits restent toujours interdits : matériaux de construction, matériel médical… Nous sommes face à une absence de perspectives avec un sentiment d’incertitude, face aux menaces israéliennes de reprendre les hostilités. Nous avons le sentiment d’être abandonnés dans l’enclave.

Vous venez de publier un recueil de chroniques et de poèmes écrits pendant les bombardements sur Gaza, dans des conditions terribles. Comment concrètement avez-vous pu le faire ?

Mon livre est sorti en Suisse fin novembre 2024. Il s’agit de trente-trois poèmes écrits pendant cette année tragique. Le livre se construit autour de trois éléments, à savoir : la situation catastrophique, la mort, les destructions, la famine ; la résilience palestinienne face au génocide ; l’espoir.

Les Palestiniens vivent avec l’espoir. Ce sont donc des poèmes d’espoir. Gaza est dévastée mais la population civile est attachée à sa terre, même détruite et brûlée, et elle garde l’espoir pour une paix juste et durable, un espoir pour une vie normale. C’est une population qui a tout perdu, la terre, les proches mais qui garde l’espoir.

« Mes poèmes expriment ma colère, mon impuissance mais aussi l’espoir« 

Au plus fort de la guerre vous écrivez des poèmes pour dire votre amour de Gaza et de votre peuple. Écrire, c’est une forme de résistance ?

Mes écrits sont une forme de résistance dans la non-violence. Je résiste par la plume. Je suis professeur de français, je fais partie de la société civile. Pour moi c’est un devoir. Il y a trois formes de résistance : la résistance militaire armée qui est légitime, la résistance diplomatique et politique non-violente et la résistance par l’éducation, la culture, l’attachement à la terre. J’écris des récits, des témoignages, des interventions avec des associations, je donne des nouvelles sur la situation dramatique à Gaza. Mes poèmes expriment ma colère, mon impuissance mais aussi l’espoir. La population civile a tout perdu mais reste profondément attachée à la terre de Gaza.

Les bombardements de l’armée israélienne ont tué beaucoup de civils et détruit la quasi totalité des infrastructures. La dimension culturelle est aussi au cœur de ces destructions. Comment analysez-vous la tentative de détruire la culture palestinienne ?

C’est vrai que 83 % des infrastructures civiles détruites, écoles, mosquées, églises, universités, bibliothèques, puits d’eau, centres éducatifs, mais surtout dans le domaine de la santé, quatorze grands hôpitaux détruits, dix grandes universités, vingt-cinq collèges, plus de trois-cent vingt cinq écoles entièrement détruites, sept-cents écoles détruites partiellement. Trois secteurs sont visés : la culture, l’éducation, la santé. Les Palestiniens ont repris les cours dans des centres éducatifs détruits, dans des tentes éducatives, et par le biais des cours virtuels.

Il existe une grande volonté de s’accrocher à la vie. Les centres culturels sont visés. Or, il y a un attachement très important des Palestiniens à la culture. L’occupation a privé les Palestiniens de leur culture mais ils reconstruirons tout, comme ils l’ont toujours fait.

Votre langue d’écriture est le français que vous avez appris lors de vos études en France. Qu’est-ce que cette langue apporte à la poésie palestinienne ?

Comme Palestinien francophone, comme professeur de Français, dans les universités de Gaza, comme poète d’expression française, j’écris en français. Depuis mon apprentissage de cette belle langue, en 2001, comme professeur de collège puis de lycée, puis d’université. Je suis allé en France en 2004 pour un master, puis 2009 à Saint Denis pour un doctorat. Puis j’ai participé à des projets de recherche avec des collègues français. La langue française m’a apporté beaucoup de choses, la confiance, les connaissances universitaires, le lien avec des milieux poétiques.

J’ai écrit un jour un poème sur la langue française : « La langue française est une langue de paix et d’espoir ». Je peux exprimer mes sentiments dans cette langue.

J’ai d’abord une formation en sciences économiques puis je me suis orienté vers la langue française.

J’ai publié mes livres dans beaucoup de pays francophones. La langue française m’a aidé à résister. En vingt ans, elle m’a apporté énormément, pas seulement des diplômes, mais aussi une ouverture d’esprit, une ouverture vers la francophonie solidaire de la Palestine, elle m’a donné un espace d’expression et de liberté. La France m’a donné un espace large de relation et de réseau qui m’a aidé dans ma résistance.

Vous êtes aussi professeur. On sait à quel point l’éducation et l’instruction comptent pour les Palestiniens. Quelle est la situation de l’enseignement aujourd’hui à Gaza ?

L’éducation est devenue une forme de résistance pour les Palestiniens. C’est un élément très important. Avant le 7 octobre, le taux de scolarisation était de 94% dans les territoires palestiniens, en Cisjordanie, la bande de Gaza et Jérusalem Est, selon les estimations de l’UNESCO. C’est un élément d’espoir pour l’avenir. Malgré les massacres et les destructions, les Palestiniens ont repris les cours malgré les conditions extrêmes. Les Palestiniens recherchent dans les ruines de leurs maisons les livres et les cahiers de leurs enfants. Certains vendaient leurs bijoux pour envoyer leurs enfants à l’Université. Pourtant, le taux de chômage à Gaza et considérable et ils ne trouveront pas d’emploi après leurs études. Le taux de chômage dépasse 75% dans la bande de Gaza. Mais c’est un signe d’espoir pour l’avenir. C’est un enjeu majeur pour les Palestiniens. Aujourd’hui, la situation de l’éducation est terrible, mais on fait tout pour offrir aux enfants de reprendre les cours, dans des tentes, là où c’est possible ou bien en ligne. Le domaine de l’éducation est un des éléments que l’occupation a tenté de détruire.

Le peuple palestinien de Gaza a fait preuve d’une force et d’un courage inouïs dans cette épreuve. Quel avenir pour la résistance palestinienne dans un contexte mondial pour le moment défavorable? Comment arrivez-vous à supporter l’insupportable ?

Il y a aujourd’hui une prise de conscience chez les Palestiniens. En 1948, au moment de la Nakba, 700 000 Palestiniens ont été déportés, obligés de fuir et de se réfugier soit en Cisjordanie, soit à Jérusalem, soit dans la bande de Gaza, soit dans les pays arabes, soit ailleurs, dans des pays d’Amérique ou d’Europe. Mais, aujourd’hui, ils savent qu’ils ne doivent pas quitter leurs terres. Ils ne quitteront jamais leur terre. Malgré la succession des événements terribles, les massacres, les guerres, les offensives, les destructions, ils ont décidé de rester. Ils sont en train de supporter l’insupportable. Ils ne veulent pas revivre une autre Nakba. On l’a vu avec ce qui s’est passé ici à Gaza, malgré l’ampleur des bombardements, la famine, ils sont restés à Gaza. Avec un courage exemplaire, avec les quinze mois d’horreur absolue, ils sont toujours là. Le message des palestiniens c’est de continuer à vivre à Gaza, à côté des ruines de leurs maison s’il le faut, quoi qu’il arrive.

« Dix-neuf mille enfants de moins de seize ans ont été assassinés (…) Cela montre bien que les enfants étaient la cible principale de l’occupation »

Les enfants ont été terriblement impactés par ces massacres dès les premiers jours. Beaucoup d’entre eux sont mutilés, infirmes et orphelins. Comment se fait leur prise en charge aujourd’hui ?

La population civile a été directement ciblée, en particulier les enfants. Ils ont été mutilés, amputés, tués, souvent ils se retrouvent orphelins. Il y a une forte solidarité sociale et familiale heureusement. Les enfants orphelins sont pris en charge par des proches, de la famille, de voisins.

Il n’y a aucun centre d’accueil, pas d’organisation internationale qui s’occupe d’eux. Dix-neuf mille enfants de moins de seize ans ont été assassinés par les bombardements. Cela montre bien que les enfants étaient la cible principale de l’occupation. Les enfants survivants sont privés de tout : de la tendresse familiale, de la sécurité, de centres de loisirs, leur situation est terrible.

Vous écrivez dans ce livre, à quel point les manifestations de solidarité avec la Palestine dans de nombreux pays occidentaux, ont été une source d’espoir et d’encouragement. Cette pression des peuples et des citoyens dans le monde peut-elle infléchir les gouvernements complaisants ou complices d’Israël?

La solidarité internationale avec la cause palestinienne comme cause de justice est quelque chose de très important. Comme Palestiniens nous comptons sur notre résistance et la solidarité internationale. Elle a montré son efficacité, avec les manifestations, rassemblements, pétitions, soirées de solidarité etc. Les Palestiniens ont tout perdu. La terre, leurs maisons, leurs proches. Il leur reste la résistance, la résilience, leur attachement à la terre et la solidarité internationale. Personnellement, je reçois tous les jours des photos, des vidéos de ces manifestations, j’interviens parfois dans des soirées en visioconférence. La solidarité a contribué à faire pression sur les gouvernements. Ce n’est pas encore suffisant. On n’est pas encore arrivé à une vraie paix dans la région mais j’espère qu’on va y arriver. Pour moi, en tant que francophone, j’attends beaucoup de la solidarité francophone. J’espère que cette solidarité va se poursuivre et renforcer la pression afin de faire plier le gouvernement israélien, l’obliger à cesser l’occupation, à libérer les prisonniers palestiniens, permettre le retour des réfugiés, reconnaître l’État de Palestine, un État libre et indépendant sur les territoires palestiniens occupés. C’est la seule garantie pour une paix durable dans la région.

Malgré les multiples propositions vous avez refusé de quitter votre terre quitte à mourir. Comment voyez-vous l’avenir ?

J’ai refusé de quitter ma maison, mon quartier, ma ville pour aller au sud. Ma maison a été détruite le 2 décembre 2023, une partie de ma famille a été assassinée, mon frère, sa femme et ses cinq enfants ont été tués, mon quartier a été totalement dévasté, les chars ont occupé mon quartier. J’ai été déplacé cinq fois entre décembre 2023 et juillet 2024. J’habite maintenant chez des proches depuis presque six mois. Je voulais mettre en pratique mes principes, ne pas participer à une nouvelle Nakba, résister par la non-violence. Je ne peux pas abandonner les jeunes. Comme citoyen qui résiste par l’éducation et la non violence, je fais partie de la société civile, je suis un modèle pour eux. Je travaille beaucoup pour les aider et leur remonter le moral. Moi je suis optimiste, malgré l’absence de perspectives, je vois que l’avenir est pour la justice et pour la paix. La paix dans la justice et l’application du droit international. Grâce à la résistance et la résilience du peuple palestinien, grâce à la solidarité internationale, grâce à la pression de la communauté internationale, on pourra arriver à une paix juste et durable dans la région. L’urgence aujourd’hui c’est le retrait de israélien de tous les territoires palestiniens. La réouverture de tous les passages, la reconstruction rapide de la bande de Gaza, la relance du processus de paix, la création d’un État palestinien libre et indépendant qui pourra vivre en paix et en sécurité dans la région. La paix cependant passera avant tout par la justice.

Propos recueillis par Keltoum Staali

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