Enseignante de langue française et doctorante en sciences des textes littéraires, Sarah Behloul signe avec « À la recherche du passé » un premier roman d’une rare intensité, publié aux éditions Biblomanie et présenté au Salon international du livre d’Alger 2025. Œuvre où se mêlent l’amour, le silence et la quête des origines, le récit retrace le destin de Zina, femme marquée par l’exil et la honte, qui élève sa fille dans le refuge d’un secret trop lourd à dire. Mais cette fille, brillante et assoiffée de vérité, grandit avec une blessure invisible : l’absence d’un père qu’elle n’a jamais connu. En partant sur ses traces, elle défie les non-dits et les certitudes maternelles. Au fil de ce voyage, la découverte du journal intime de Zina fait éclater les vérités enfouies, révélant des émotions longtemps tues. Entre ombre et lumière, « À la recherche du passé » explore la mémoire, la filiation et le courage de se reconstruire. Dans cette interview, l’autrice revient sur la genèse de cette œuvre poignante et sur la force de ces voix féminines qui, malgré la douleur, choisissent de se relever.
Le Chélif : Comment est née l’idée de ce roman ? Est-ce une histoire que vous portez depuis longtemps ou un sujet inspiré par les observations du monde qui vous entoure ?
L’idée de publier « À la recherche du passé » est née lorsque j’étais en deuxième année à l’université. Nous avions un module de théâtre et j’avais choisi d’écrire une petite pièce à présenter avec quelques camarades. Je me souviens de l’enthousiasme presque enfantin avec lequel j’ai construit cette histoire, puis du plaisir sincère de la voir prendre vie sur scène. Ce jour-là, quelque chose s’est éclairé en moi : j’ai compris que l’écriture n’était pas seulement un exercice scolaire, mais un espace où je me sentais à ma place. L’histoire est restée, elle a grandi avec moi et c’est ainsi qu’elle est devenue un roman.
Le roman explore plusieurs destins féminins marqués par la honte, le rejet et la reconstruction. Vous êtes-vous inspirée d’histoires vécues, de confidences recueillies ou s’agit-il d’une pure fiction ?
Ce roman ne vient ni d’une seule histoire vécue ni d’une pure invention. Il s’est nourri de rencontres, de confidences parfois discrètes, de fragments de vie aperçus presque en passant. Certaines femmes croisées sur mon chemin m’ont touchée par ce qu’elles ont dû affronter : la honte, le rejet, puis l’effort courageux de se reconstruire. Aucun personnage n’est la copie d’une personne réelle mais chacun porte une part de ces émotions que j’ai ressenties ou observées. Ensuite, l’imaginaire a fait son travail, il a donné forme, souffle et mouvement à tout cela. C’est ainsi que l’histoire s’est dessinée avec simplicité et sincérité.
Péchetopia, ce lieu imaginaire, semble à la fois un refuge et une prison. Que symbolise-t-il pour vous ?
Péchetopia symbolise justement ce paradoxe : un refuge et une prison à la fois. C’est un lieu où l’on se retire pour se protéger du regard des autres mais où l’on reste enfermée dans ce même regard, intériorisé. J’y ai voulu l’image d’une société qui peine à pardonner, qui garde la faute vivante même lorsque la personne essaie de se relever. Ainsi, Péchetopia représente cet espace que l’on croit choisir pour se préserver alors qu’il devient un enfermement. C’est une manière de montrer combien le jugement social peut poursuivre quelqu’un longtemps, parfois toute une vie.
Rose, Nadine, Mimi, Zina et Lina incarnent chacune un visage de la souffrance féminine. À travers ces portraits sensibles, vous évoquez les blessures invisibles, les silences, les fêlures intimes. Pensez-vous que la littérature contribue à libérer la parole sur ces sujets encore tabous ?
Oui, je crois que la littérature peut ouvrir des espaces où la parole devient possible. Lorsqu’une histoire met en lumière ces blessures que l’on cache souvent, elle permet à celles qui les portent de se reconnaître, de se sentir moins seules. Les mots ne guérissent pas tout, bien sûr, mais ils peuvent desserrer un peu le silence. Écrire ces destins féminins, c’est une façon de dire que, derrière les sourires et les gestes du quotidien, il y a parfois des fêlures profondes. Et que les nommer, même avec délicatesse, peut être un premier pas vers la liberté intérieure.
Votre roman aborde également la question du jugement social et de la condition féminine dans les sociétés traditionnelles. Aviez-vous la volonté d’y inscrire un message social, au-delà du récit intime ?
Il n’y avait pas, au départ, l’intention d’écrire un message social au sens strict. J’ai surtout voulu raconter des parcours humains, des vies intérieures. Mais il est vrai que, lorsqu’on parle de femmes dans des sociétés où le regard des autres pèse lourd, le message finit par s’imposer presque de lui-même. En donnant voix à ces personnages, j’ai simplement laissé apparaître ce que beaucoup vivent encore : la peur du jugement, la difficulté d’exister pleinement, et cette force silencieuse qui leur permet malgré tout d’avancer. Si un lecteur y voit un écho social, c’est peut-être parce que l’intime et le collectif se rejoignent toujours, tôt ou tard.
Le ton du roman oscille entre douleur et espérance, entre ombre et lumière. Est-ce le reflet de votre propre rapport à la vie et à l’écriture ?
Oui, sans doute. J’ai toujours perçu la vie comme un mouvement entre des instants sombres et d’autres plus lumineux. Nous portons tous des blessures, mais aussi une part d’élan, de désir de recommencer. Dans l’écriture, c’est la même chose : la douleur appelle la parole et l’espérance lui donne un sens. Ce mélange n’est pas un choix réfléchi, c’est plutôt ma manière d’être au monde. J’écris avec ce que je ressens : les ombres qui traversent, mais aussi la lumière qui insiste, même timidement.
On perçoit une grande tendresse dans votre regard sur vos personnages, même les plus égarés. Est-ce une forme d’empathie que vous revendiquez comme autrice ?
Oui, je pense que l’empathie est importante mais elle ne signifie pas l’adhésion à tout. Les femmes que je décris ont fait des choix parfois discutables, parfois douloureux, mais ce ne sont pas nos erreurs qui définissent toute notre valeur. J’ai de la peine pour leurs fêlures, pour ce qu’elles ont supporté, pour ce qu’elles n’ont pas su dire. Cela ne veut pas dire que je cautionne ce qu’elles ont fait, simplement que je refuse de les réduire à leurs fautes. Je crois profondément que ce n’est pas à nous de juger, mais de comprendre ce qui se joue derrière les gestes : la peur, la solitude, le manque d’amour ou de repères. Regarder un être humain avec tendresse, c’est lui laisser une chance de se relever.
Si vous devez condenser l’esprit de « À la recherche du passé » en une seule phrase, quelle serait-elle ?
Je dirais : « C’est l’histoire d’une mère qui n’a jamais cessé d’aimer, même dans l’ombre, et d’une fille qui a suivi les traces du passé pour rejoindre cet amour longtemps séparé. »
Votre roman interroge la mémoire et le poids du passé. Pensez-vous que la littérature puisse aussi contribuer à réconcilier les générations, à apaiser certaines blessures collectives ?
Oui, je pense que la littérature peut créer des ponts entre les générations. En racontant le passé avec sincérité, sans accusation, on permet à chacun de mieux comprendre l’autre. Cela ne guérit pas tout, mais cela apaise, et ouvre la possibilité d’un dialogue plus vrai.
Enfin, quels sont vos projets d’écriture à venir ?
J’ai récemment achevé mon second roman, « La Zahra », et il a déjà eu la chance d’être présenté au Salon du Livre 2025. C’est une œuvre très différente de « À la recherche du passé ». Cette fois, j’ai choisi de plonger au cœur de la psychologie, dans un univers plus intérieur, presque vertigineux. « La Zahra » entraîne le lecteur dans un tourbillon émotionnel, où la frontière entre lucidité et trouble se fait parfois ténue. C’est un récit plus audacieux où la fragilité humaine se révèle autrement. J’espère qu’il saura toucher, bousculer peut-être, et ouvrir de nouvelles questions en chacun. Et bien sûr, l’écriture continue… d’autres histoires murmurent déjà à la porte.
Entretien réalisé par Adel Messaoudi
One thought on “Sarah Behloul, écrivaine : « J’écris pour donner forme à ce qui reste dans l’ombre »”
Une interview d’une sensibilité exceptionnelle, où la profondeur du vécu rencontre la grâce de l’écriture. Sarah Behloul y révèle des voix féminines qui se relèvent malgré l’ombre, et transforme la douleur, le silence et la mémoire en une lumière qui touche profondément. Un témoignage puissant, humain et d’une rare beauté. Je vous souhaite une belle et brillante continuation dans votre parcours littéraire..