La disparition rapide des forêts, des récifs coralliens et des rivières constitue non seulement une crise écologique, mais aussi un grave manque d’information. Les personnes les plus directement concernées manquent souvent de ressources, de formation ou de soutien éditorial pour témoigner efficacement de leur situation. Dans ce contexte, des programmes structurés comme les bourses de soutien aux médias sans ressources, peuvent faire la différence, en transformant les savoirs locaux en reportages crédibles.
Rhett Ayers Butler, fondateur et PDG de Mongabay, souligne l’importance d’investissements ciblés dans les jeunes journalistes. Mongabay est une organisation de presse à but non lucratif axée sur la conservation et les sciences environnementales. Buttler a fondé l’organisation en 1999, motivé par sa passion pour la nature et la faune, et a récemment reçu le prix Heinz pour l’environnement en reconnaissance de son travail. Origines de Mongabay : Butler a créé le site web après avoir travaillé sur un livre sur les forêts tropicales, et l’a nommé « Mongabay » en l’honneur d’une île de Madagascar qu’il considérait comme un paradis. De telles initiatives permettent non seulement de développer les compétences professionnelles des journalistes sans moyens, mais aussi de renforcer la responsabilité publique. Les journalistes boursiers ont documenté des cas de corruption, suivi la restauration écologique et influencé les politiques locales, démontrant ainsi comment un journalisme d’investigation rigoureux peut consolider la gouvernance environnementale et les institutions démocratiques.
De victime à acteur
Passer du rôle de victime à celui d’acteur est une étape cruciale. Lorsque les journalistes sont en mesure d’enquêter, d’expliquer et d’inspirer, ils peuvent guider les sociétés vers des choix éclairés concernant l’avenir de la planète. La désinformation, malgré l’intérêt croissant du public pour le changement climatique, fragilise de plus en plus les modèles économiques du journalisme indépendant. Les plateformes de médias sociaux qui amplifiaient autrefois l’information en limitent désormais la diffusion, tandis que la désinformation se propage plus vite que les preuves qui la contredisent. Des programmes comme la bourse de journalisme de conservation Y. Eva Tan de Mongabay, qui a soutenu une quarantaine de journalistes émergents depuis 2022, illustrent comment un investissement ciblé peut revitaliser à la fois le journalisme et la gouvernance environnementale. L’idée sous-jacente est d’associer les connaissances locales à un encadrement professionnel, afin de produire des reportages plus percutants et fiables. Des boursiers du monde entier, notamment d’Indonésie et du Nigéria, ont mis au jour des cas d’exploitation minière illégale et documenté le rétablissement d’espèces menacées, contribuant ainsi à un récit plus nuancé et complet des changements environnementaux. Ces programmes n’imposent pas une vision unique, mais permettent aux journalistes de rechercher la vérité où qu’elle se trouve. L’accent mis sur la rigueur éthique et l’exactitude des faits est crucial : à l’ère de la désinformation, la crédibilité est la ressource la plus précieuse et renouvelable d’un journaliste.

Autre aspect intéressant est l’arrivée de journalistes issus d’autres disciplines dans le domaine du journalisme environnemental. Ces professionnels peuvent apporter des perspectives nouvelles ; par exemple, un journaliste économique pourrait révéler des impacts environnementaux cachés dans les états financiers des entreprises. Il en va de même pour un correspondant politique, qui peut analyser comment les dons aux campagnes électorales influencent les politiques de conservation. Les conséquences sont tangibles. Nombre d’anciens boursiers de Mongabay collaborent désormais avec des médias nationaux et internationaux ou dirigent des unités de journalisme environnemental qui n’existaient pas auparavant. D’autres ont créé des cellules d’enquête locales, tandis que certains ont suscité des réactions politiques directes, telles que des audits gouvernementaux et l’annulation de transactions foncières. Ce réseau invisible de responsabilité est essentiel au bon fonctionnement des démocraties. Ces initiatives nécessitent non seulement des financements, mais aussi un engagement à long terme et un solide réseau éditorial. L’impact de cet investissement dépasse le cadre du journalisme : dans les pays où les médias indépendants sont fragiles, des reportages environnementaux de qualité peuvent renforcer les structures démocratiques, en dénonçant la corruption et en donnant la parole aux communautés souvent exclues des processus décisionnels. Lorsque l’information est exacte et accessible, elle devient un élément essentiel de la gouvernance environnementale.

En définitive, le discours sur la conservation doit évoluer. Trop souvent, les récits provenant de régions comme l’Afrique ou l’Asie du Sud-Est sont filtrés par le prisme des journalistes étrangers. Or, les journalistes locaux peuvent aborder ces problématiques avec une compréhension et une confiance accrues, en mettant en lumière non seulement les crises, mais aussi les solutions, telles que la gestion locale et les innovations dans le domaine des énergies renouvelables. Chaque investissement dans ces bourses représente non seulement une opportunité pour les journalistes, mais aussi un pas vers un journalisme environnemental plus équitable et plus précis. Investir dans les témoins de la nature, c’est espérer que leurs récits se concluront non par une perte, mais par un renouveau. Offrir aux nouvelles générations la possibilité de partager leurs histoires peut devenir un catalyseur d’impact social. Notre journal, Le Chelif, même dépourvu de moyens financiers propres à encourager les journalistes à sensibiliser sur les sujets environnementaux cruciaux, s’implique malgré tout dans ce créneau grâce à la volonté de certains professionnels. Les pouvoirs publics devraient encourager cette spécialité, le journalisme environnemental au moment où la question des dérèglements climatiques impactent l’avenir de la planète dans l’indifférence coupable des grandes puissances.
R. E.