Orfèvre de la parole pour certains, ciseleur du verbe pour d’autres, éclaireur, guide, lanceur d’alerte et grand sage pour Malika Domrane, Lounis Ait Menguelet est adulé, voire idolâtré pour sa poésie prolifique caractérisée par une profondeur, une rationalité et un esthétisme à nuls autres pareils.
Plus d’un demi-siècle durant, ce maestro, ce « poète du siècle » comme le surnommait Kateb Yacine, a bercé, mieux, galvanisé ses innombrables fans qui s’abreuvent goulument de ses chansons immortelles.
Pourtant, Lounis n’a jamais fréquenté un quelconque conservatoire de musique ni même étudié le solfège. Il a commencé très jeune à jouer de la guitare en solo pour « tuer le temps » à l’instar de la majorité des jeunes kabyles de son âge. Ses seuls maitres en matière de musique étaient son propre ouïe et son intuition.
Quant à la profondeur de sa poésie qui a apparu alors qu’il n’était encore qu’un adolescent, il a déclaré lui-même dans une de ses innombrables interviews qu’il la doit à ses deux grand-mères et à leurs amies auprès desquelles il a grandi.
Au demeurant, lorsqu’on le qualifie de philosophe ou de penseur, Lounis répond modestement qu’il ne pense pas en être un. Poète ? Peut-être répond-il en cachant maladroitement sa grande timidité.
Il convient de souligner qu’au commencement de sa vocation ou, plutôt, de sa révélation de chanteur émérite, Lounis n’avait jamais nourri l’espoir d’atteindre la notoriété pour ne pas dire le firmament auquel il est parvenu aujourd’hui.

Selon son propre aveu, c’est son cousin qui lui a quasiment forcé la main pour se présenter à l’émission « ichenayen ouzeka » (les chanteurs de demain) présentée et animée par l’autre monument de la musique et de la chanson kabyles Cherif Kheddam. Il n’était alors qu’un jeune et illustre inconnu. Après avoir interprété sa chanson, Cherif Kheddam, émerveillé, lui a posé la question de savoir qui en a écrit les paroles et composé la musique ? Selon les propres dires de Lounis dans une interview de l’époque, lorsqu’il a répondu que c’était lui, Cherif Kheddam a esquissé un sourire narquois avec l’air de dire : tu me prends pour un idiot ?! Et Lounis poursuit dans l’interview que le scepticisme affiché par Cherif Kheddam l’avait réconforté au plus haut point en ce sens qu’il venait d’obtenir implicitement la reconnaissance de son talent par celui qui était pour lui un véritable modèle.
Plusieurs décennies ont passé depuis ce fameux passage à la chaine kabyle de la RTA et, aujourd’hui, chacun de ses innombrables fans le compare tantôt à Georges Brassens, tantôt à Jacques Brel… ou encore à l’illustre Bob Dylan dont il a traduit les paroles et repris, en 2010, la fameuse chanson intitulée « Blowin’ in the Wind » sous le titre kabyle de « Lewğab deg adhu » (la réponse est dans le vent).
À l’issue de ce tout petit hommage, inversement proportionnel à la grandeur et à la gloire de Lounis, l’on se pose d’ores et déjà la question de savoir si sa relève sera assurée un jour au grand bonheur de tous les fans épris du genre de chansons aux profondeurs poétiques, philosophiques et d’une hauteur de vue dont le bien-fondé n’est sujet à aucune contestation ?
Il est vrai que pour le moment, bien que septuagénaire, il continue encore à composer de sublimes chansons et à organiser des galas à guichets fermés tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Nous ne pouvons qu’en être admiratif et lui souhaiter une très longue constance, une opiniâtreté et un long souffle dans sa magnifique carrière artistique. Mais quid du jour où il décidera de prendre le « repos du guerrier » et déposer définitivement sa guitare qu’il a magistralement personnifiée dans ses chansons intitulées « Qquim deg rebbiw » et « Sennitra-w » (ma guitare) que l’on peut savourer sur You Tube ?
Osons espérer que ce jour-là le flambeau qu’il a tenu allumé telle une étoile polaire scintillant dans un ciel sans nuages pendant près de six décennies sera soulevé par un autre Maestro qui en assurera la relève ! Nous l’espérons de vraiment ! De tout cœur !
Ahmed DJABRI