Par Ali Kader*
« Une opération du type – un citoyen, un arbre (ou deux, ou plus) – , ne serait pas de trop. Cet effort ne doit pas être uniquement celui des pouvoirs publics, c’est l’affaire de tous. Plus que tout, c’est un authentique acte de citoyenneté »
Reboiser le Sahara ? Slogan ou réalité ? Pharaonique chantier s’il en est. Aussi vaste que le désert lui-même ! Les Chinois sont en passe de réussir l’ensemencement d’une partie de leur Taklamakan. Créer des puits de carbone. Oui, pourquoi pas ? D’abord c’est quoi au juste ? Inutile de chercher la signification dans le mot « puits » qui veut dire « cavité ». Les Verts ont donc emprunté ce mot pour tout simplement signifier reboiser ou gérer une forêt selon les espèces qui répondent le mieux au captage et au stockage du carbone de l’atmosphère par photosynthèse. Mais alors, pourquoi faire difficile quand les choses sont faciles ? D’autant plus que l’homme n’a rien inventé dans ce sens, la nature a pourvu à tout.
Reboiser, oui ! Au Sahara, comme au nord du pays. Tous les écosystèmes sont dégradés ou sont en voie de l’être. Il suffit juste de voyager dans le pays profond pour constater la froide nudité tapageuse de nos montagnes pelées et de nos plaines ocrées. Que ce soit au Tell, dans les hauts plateaux, en steppe surtout, c’est le même constat désolant. C’est d’une tristesse à en mourir.
Planter des arbres là où c’est possible, pourquoi pas : faisons-le avant qu’il ne soit trop tard. Lançons-nous dans cette vaste opération de rattrapage, au même titre que nos vénérables aïeux qui, juste armés de leurs seuls bras et pioches, avaient tant planté pour nous et avaient tant retourné la terre jusqu’à ce qu’elle enfante. Faisons-le là où les conditions sont favorables.
Il faut avoir à l’esprit que la planète se réchauffe plus vite que prévu. À l’horizon 2100, les Nations Unies prédisent un réchauffement de 2,8 degrés. C’est énorme ! Cela pourrait être fatal en certains endroits du globe où la vie s’éteindrait du fait des chaleurs excessives et de rareté de l’eau et de la nourriture. Alors, pressons-nous de le faire pour qu’à l’été venant, on puisse dénicher un coin d’ombre et sentir une brise rafraîchissante nous caresser le visage.
Les zones humides tendent à disparaître du fait de la rareté des pluies et des neiges. Le pays compte une densité de boisement relativement faible, voire dérisoire. « Avec les maquis, nos forêts couvrent 4,1 millions d’hectares, soit un taux de boisement de 11 % pour le nord et de 1,7 % seulement si les régions sahariennes arides sont également prises en considération. Ces taux de boisement sont évidemment très insuffisants pour assurer l’équilibre physique et biologique ». Chaque année, à cause des incendies estivaux et automnaux, une surface de 30 000 hectares en moyenne part en fumée, alors que les opérations de reforestation peinent à maintenir ne serait-ce qu’un semblant d’équilibre. Et encore, quel équilibre ! Un arbre planté cette année n’arrivera à être rentable que dans une décennie. Voire plus. On sait que nos forêts ne présentent pas un caractère économique avéré. Elles ne participent qu’à hauteur de 0,13% du PIB national. À leur corps défendant, elles se sont donc tout naturellement retrouvées juste à jouer un rôle écologique et à proposer des activités ludiques. Deux fonctions qu’elles peinent à assumer du fait des agressions dont elles n’arrivent pas à se relever tant les coups durs et destructeurs qui leur sont assenés laissent des traces indélébiles.

Seule solution à la désertification, la plantation d’arbres tous azimuts
L’industrie du bois local est loin de satisfaire les besoins nationaux sans cesse bondissants du fait des chantiers pantagruéliques que l’État ouvre par-ci par-là afin de doter le pays d’infrastructures de base à la hauteur de son envergure et de ses ambitions. Mais ceci n’empêche pas l’abattage de pans entiers de forêts pour différents usages (domestique surtout).
Dire que le pays est en friche, c’est défoncer des portes ouvertes. Le projet de relance des travaux du barrage vert, jadis fleuron d’une politique d’abord économique, puis environnementale et avant-gardiste, peine à se mettre en mouvement. Les reboisements entrepris de-ci de-là n’arrivent pas à équilibrer ne serait-ce que les pertes subies lors des campagnes précédentes. Quant aux espaces verts et placettes des villes et villages, autant ne pas en parler.
Mais alors qu’est-ce qui n’a pas bien fonctionné pour que villes et montagnes, plaines et autres affichent des visages des plus monotones ? Est-ce les campagnes de reboisement par le biais du volontariat de naguère qui se sont essoufflées ? Ou des programmes qui se sont rétrécis ? Y aurait-il trop de pression sur ces écosystèmes fragiles et surexploités ? Ou simplement est-ce dû au dérèglement climatique qui apporte dans son sillage maintes calamités d’origines anthropiques et naturelles ?
De toute façon, la seule réponse connue, disponible et facilement réalisable, reste la plantation d’arbres tous azimuts. Chose que l’on n’arrive pasà faire à grande échelle, malheureusement. Une opération du type : « un citoyen, un arbre » (ou deux, ou plus), ne serait pas de trop. Cet effort ne doit pas être uniquement celui des pouvoirs publics, c’est l’affaire de tous. Plus que tout, c’est un authentique acte de citoyenneté. Cela permettra à tout un chacun de participer à la production de son bol d’oxygène. Serait-ce suffisant pour renverser la vapeur ? Certainement pas.
Pourquoi nos montagnes sont-elles aussi grises et peu boisées ? Pourquoi les bassins versants charrient-ils autant d’alluvions qui se déversent dans les lacs de barrages et les obstruent ? Trop de questions auxquelles peu de réponses sont apportées. Dans cette aventure économique et environnementale, il ne faut surtout pas trop en avoir après la foresterie engluée dans des approches techniques dictées par des considérations financières. D’autres acteurs peuvent contribuer à donner un peu plus d’allant et de fraîcheur à cette grise uniformité qui gangue nos contrées. Si le Barrage vert tel que pensé dans les années soixante-dix n’a pas donné les résultats escomptés, ce n’est pas tant à cause des choix techniques floristiques (pins), c’est plutôt à cause de considérations sociales et économiques. L’élément humain – les pasteurs – facteur essentiel mal appréhendé car lui-même prédateur s’agissant de l’arbre, est en partie à l’origine du semi-échec.
L’olivier, l’arbre idéal pour reverdir l’Algérie
Les campagnes de reboisement initiées à chaque campagne devant permettre la plantation de dizaines de milliers d’hectares, n’aboutissent que peu. Localisées en montagne, souvent d’accès difficiles, ouvertes à tous les pacages, sans entretien, sans irrigation (les pluies devenant rares), peu d’arbres croissent correctement et dépassent les deux années de vie. Ajouter à cela des choix variétaux majoritairement orientés vers les essences forestières, il est donc loisible de ne pas s’attendre à des résultats exceptionnels.
Certes, des améliorations ont été apportées, mais faiblement, avec l’introduction d’espèces fruitières rustiques. Justement, parlons-en de ces espèces fruitières rustiques. Dans cette catégorie, l’olivier est roi. Sans renier les atouts des autres espèces (pistachier, amandier, arganier etc.), l’olivier reste l’arbre idéal pour des reboisements de masse, des plantations en isolé ou pour tout simplement des haies et des délimitations de parcelles, de routes ou tout autre. L’oliver, espèce ayant traversé toutes les ères, endémique au pourtour méditerranéen, d’une longévité exceptionnelle, résistant aux maladies, bien adapté aux changements climatiques, pourvoyeur de revenus, est l’arbre idéal pour pallier les ratés des choix techniques hasardeux. D’ailleurs, à une certaine époque, le slogan « reboiser utile » avait largement vogué dans les sphères décisionnelles. Il y eut certes le fameux programme de plantation d’un million d’hectares. Celui-ci, très généreux dans l’énoncé des objectifs, aux avantageséconomiques et écologiques avérés, est tombé dans les méandres de l’oubli. À l’origine mal pensé, peu ou pas du tout assimilé par ceux en charge de son application, sans véritable mode d’emploi, et surtout sans « caisse à outils », il n’a duré que le tempsque son géniteur a duré. Dommage de voir une si brillante idée reléguée, elle aurait pu propulser le pays dans la sphère des gros producteurs d’huile de qualité !

Même le long des autoroutes
Tant qu’à faire, il n’est pas trop tard pour y remédier. Il appartient à ceux en charge du secteur de méditer sur le comment. D’autres gisements existent et peuvent apporter un plus à la production nationale en berne depuis quelques années du fait des sécheresses récurrentes et des incendies qui influent grandement sur le parc oléicole conduit en sec, particulièrement les oliveraies de montagne qui souffrent de trop fortes chaleurs et du manque d’entretien. Il se dit que dans un pays de l’Asie, un petit pays aux ambitions démesurées, la plus grande forêt se trouve sur les autoroutes. Eh, oui, c’est bien ça, les accotements autoroutiers sont plantés de façon à ce que les surfaces mises côte à côte représentent une forêt de milliers d’hectares. Et, justement, pourquoi pas chez nous. Il n’y a qu’à voir le désolant paysage qui défile sous les yeux des usagers. Pas que désolant, mais aussi improductif, inutile. Même pas de l’ombre pour s’y abriter. Faute d’humidité et d’entretien, les arbustes rabougris plantés sur les abords de l’autoroute Est-Ouest dessèchent. De toute façon, ils sont voués à dépérir rapidement du fait de leur courte longévité. Par contre, l’olivier, arbre à feuilles persistantes, est centenaire, voire multiséculaire. Il suffit d’y penser et d’avoir la volonté d’agir. Le mode d’emploi ? Il est prêt, il existe ! Il est facile à mettre en œuvre. Allier esthétique, production, écologie, santé publique, voilà un noble objectif qui rendra service aux automobilistes et aux agriculteurs riverains des autoroutes et des routes. Il suffit de faire une viréeà l’ouest du pays pour comprendre cela. Il n’y a pas de route, de chemin ou de pistes qui ne soient pas bordées de cet auguste arbre. Chapardée, les olives produites profitent à beaucoup de chanceux qui ne se donnent pas la peine de demander une quelconque autorisation pour les récoltes. Ces arbres, mis en terre bien avant l’indépendance du pays, jamais plus entretenus, stoïques, toujours vent debout, sont confrontés aux aléas climatiques et anthropiques des années qui passent, mais qui ne les courbent pas. Ils s’accrochent à la vie et, tant bien que mal, produisent, encore et toujours, des olives de bouche (en général), enjolivent nos espaces et fournissent une ombre bienfaitrice, sans qu’on ne leur donne rien en retour. Joindre l’utile à l’agréable, pourquoi pas ?
Alors, qui a dit qu’une économie compensatrice bien pensée ne peut s’acoquiner d’une écologie régénératrice ? N’est-ce pas que les deux concepts peuvent aller de pair ?
Gens des travaux publics, à vos marques ! Prêts ? Plantez ! Il y a du boulot. Mais surtout des retards à rattraper ! Les enfants de demain ne comprendraient pas qu’on leur lègue autant de tares.
A. K.
*Expert en Agronomie et ex-cadre au ministère de l’Agriculture et du Développement Rural