L’écrivain Rachid Ezziane a publié récemment un roman historique intitulé : « De la Kabylie à la Nouvelle-Calédonie – Le roman de nos frères déportés » aux éditions Les Presses du Chélif. L’ouvrage nous transporte dans les années ayant suivi la conquête d’Alger et la progression de l’armée française en Kabylie. L’histoire a pour cadre un de ces nombreux villages kabyles où l’avancée des troupes françaises devenait inquiétante pour les habitants. Pour leur liberté, pour leur honneur, l’heure est venue aux hommes libres de se battre car « l’Histoire se répétait ». Dans cet entretien, l’auteur nous en dit davantage sur sa façon de s’approprier l’histoire dans la littérature. Écoutons-le :
Le Chélif : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Rachid Ezziane : Je suis algérien de naissance et de cœur, né dans la wilaya d’Ain-Defla, en pleine guerre d’Algérie. Issu d’une famille modeste. Après mes études primaires et secondaires, couronnées d’un baccalauréat Lettres, je me suis inscrit à la faculté de droit de Ben-Aknoun où je ne suis resté qu’une année pour me réorienter vers mon choix de prédilection qu’était la philosophie. En 1980, j’ai obtenu une licence en philosophie pour devenir professeur de philo dans les lycées. Quelques années après, j’ai quitté l’enseignement pour devenir cadre administratif dans une entreprise jusqu’à ma retraite.
Vous venez de publier aux éditions « Les Presses du Chélif » un roman intitulé : « De la Kabylie à la Nouvelle-Calédonie Le roman de nos frères déportés ». Ne pensez-vous pas que le sujet est quelque peu galvaudé du moment qu’il a été abordé par plusieurs autres écrivains ? Quels faits nouveaux apportez-vous ?
Certes, le sujet des déportés en Nouvelle-Calédonie a été plusieurs fois étudié par écrit et porté sur les écrans mais, d’après mes connaissances, ces études historiques sont restées tributaires de l’étude académique. Et ce genre d’étude ne peut intéresser que les chercheurs ou les étudiants des filières concernées et pas « le commun des lecteurs », qui est attiré par la lecture fluide et romancée. Mon ouvrage est un roman, qui ambitionne d’apporter au lecteur une nouvelle approche dans le domaine historique. Et même une vulgarisation de l’Histoire. C’est-à-dire que le lecteur peut apprendre les faits historiques en lisant la littérature avec ce qu’elle apporte comme esthétique dans la stylistique et la narration métaphorique. Comme on le sait, le roman historique associe la réalité historique à la fiction, d’où l’aisance de la lecture. Je viens de terminer la lecture du roman « On dira de toi » de Hamid Grine dans lequel il évoque la biographie du poète Jean Sénac et je l’ai trouvé sensationnel. Là est tout le génie de la littérature quand elle associe la réalité à la fiction.
Ce roman s’inscrit dans la série d’ouvrages sur l’histoire ancienne et contemporaine de l’Algérie que vous avez publiés chez plusieurs éditeurs. Peut-on dire de Rachid Ezziane qu’il est obnubilé par les faits historiques ? Ou s’agit-il d’un besoin de faire découvrir aux lecteurs des pans inconnus de leur histoire à travers des fictions basées sur des faits historiques avérés ?
Comme vous le dites, je suis très porté sur le roman historique qui reste, d’ailleurs, chez nous, en Algérie, presque un domaine vierge. Dans les pays occidentaux, il n’y a pas un sujet, un fait historique, une guerre, une paix, un événement, la vie d’une personnalité publique, etc., où des écrivains (et pas forcément des historiens) qui ne les ont pas romancés pour en faire des romans historiques. Dans l’histoire de l’Algérie, il y a matière à écrire d’innombrables romans historiques. De la préhistoire à nos jours. De Massinissa à l’Émir Abdelkader, et de Hamden Khodja à Réda Houhou. Il y a aussi un autre volet de la littérature, et que personnellement j’apprécie, ce sont les romans biographiques (et autobiographiques) qui sont publiés chez nous au compte-gouttes. Le roman historique et le roman biographique peuvent à eux seuls apporter une dynamique littéraire appréciée par les lecteurs vu le nombre de connaissances qu’ils apportent aux lecteurs, en plus de leur apport à la sauvegarde du patrimoine national. C’est dommage, par exemple, qu’un acteur-artiste de la trempe de Sid Ahmed Agoumi n’ait pas écrit ses mémoires, ou délégué un écrivain pour les lui écrire en roman biographique. Que ceux qui ont un doute, lisent les romans historiques et les biographies écrits par l’écrivain Stephan Zweig et m’en donne leur avis. Pour ne rien vous cacher, j’ai personnellement contacté plusieurs personnalités pour un éventuel écrit sur leur vie, mais sont restés sans réponse.
Le lecteur ressent comme un goût d’inachevé en lisant l’histoire des personnages déportés à l’Ile des Pins, en Nouvelle-Calédonie. A-t-il raison d’attendre une suite ?
Un écrivain n’est pas un historien. C’est au lecteur de poursuivre, soit par la recherche, soit par l’imagination, la suite de l’histoire. Mais ce qui est sûr, c’est la suite de mes écritures dans le domaine historique. Pour votre information, je viens d’entamer un autre roman historique sur un autre cas de déportation d’Algériens que peu de personnes connaissent ou en parlent. Il s’agit d’Algériens déportés par les colons français sur l’île Sainte-Marguerite, au large de la ville de Cannes. Cette déportation, au contraire de celle de la Nouvelle-Calédonie, avait concernée des familles entières avec femmes, enfants et hommes adultes.
Avez-vous d’autres projets éditoriaux en perspective ?
Comme je l’ai susmentionné, je viens d’entamer un roman historique sur les déportés de l’île Sainte Marguerite. C’est une histoire que les algériens doivent connaître pour pouvoir donner des réponses véridiques et historiques à ses « aboyeurs de foires » qui ne cessent de dénigrer nos valeurs et notre histoire, notamment ceux qui veulent plébisciter le colonialisme comme faiseur de bienfaits… Je viens aussi de terminer un ouvrage (beau-livre) dans lequel j’ai réuni la vie et les œuvres de 105 écrivains algériens qui pourra intéresser les chercheurs et les étudiants en littérature dans la confection de leurs mémoires de fins d’études.
Et merci de m’avoir donné cette opportunité pour que mes lecteurs me connaissent un peu plus.
Propos recueillis par Ali Laïb