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Mohand Salah Hamlaoui, ingénieur agronome : « Le xylomedes coronata est un véritable fléau pour l’olivier à Bejaia »

Mohand Salah Hamlaoui, ingénieur principal au sein des services agricoles de Bejaia, chef de subdivisions dans les Daïras de Seddouk et Béni Maouche, est diplômé en gestion des ressources naturelles de l’Institut Agronomique Méditerranéen de Montpellier. Expert en développement agricole, il a documenté des espèces nuisibles comme Xylomedes coronata, un insecte ravageur d’oliviers, qui s’attaque depuis 1995 aux champs oléicoles de la région de Bejaia. Son travail, publié dans des revues internationales, s’appuie sur des collaborations avec des laboratoires algériens et étrangers tels que le CIRAD de Montpellier. Nous l’avons interrogé sur la lutte menée contre cet insecte ravageur. Voici son verdict.

Le Chélif : Pouvez-vous nous parler de l’insecte xylomedes coronata, récemment identifié dans vos recherches comme un nouveau ravageur des oliviers dans la région de Bejaia ?

M. Mohand Salah Hamlaoui : Le xylomedes coronata est un coléoptère foreur de rameaux d’olivier que j’ai découvert en 1995. Dès cette époque, nous avons entamé des recherches à l’Université de Bejaia, au laboratoire d’écologie, dirigé par le Pr Abdelkrim Si Bachir. En 2007, j’ai publié une première étude sur ce ravageur dans la revue « Olivae » du Conseil oléicole international. Cet insecte xylophage appartient à la famille des Bostrichidae. Il a été signalé en Algérie dès 1901 sur la vigne et le laurier-rose, en 1964 sur les agrumes au Maroc, en 1986 sur les orangers en Italie, et en 2001 sur l’arganier. Cependant, concernant l’olivier, ce ravageur n’a été signalé qu’en 2007, à travers mes recherches. En 2009, nous avons procédé à l’identification de cet insecte au CIRAD de Montpellier avec M. Henri-Pierre Aberlenc.

Xylomedes coronata mâle et femelle

Dans quelles régions spécifiques de la wilaya a-t-il été observé pour la première fois ?

En 1995, alors que j’étais vulgarisateur agricole à M’cisna, un agriculteur m’a signalé que ses oliviers dépérissaient. Sur place, j’ai constaté qu’un insecte creusait les rameaux et consommait leur contenu, affaiblissant ainsi les branches, qui ne résistaient plus aux vents. Depuis, le ravageur a proliféré dans plusieurs communes de la wilaya, comme Amalou, Bouhamza, Beni Maouche, Akbou, Tazmalt, et récemment jusqu’à Souk El Tenine et Chemini.

Pourquoi les jeunes rameaux sont-ils plus vulnérables aux attaques de Xylomedes coronata par rapport aux branches plus matures ?

Effectivement, ce ravageur préfère les jeunes rameaux, car ils sont riches en sève et en glucose, dont il se nourrit. En creusant, l’insecte produit de la sciure que celui-ci n’a pas la capacité de synthétiser, ce qui les affaiblit davantage.

Ce ravageur était auparavant limité aux pays du Sahel. Comment expliquez-vous sa migration vers des régions méditerranéennes comme Bejaia, ainsi que d’autres pays d’Afrique du Nord ?

Plusieurs facteurs expliquent cette migration. Les vents du sud, comme le sirocco, jouent un rôle majeur. Ce vent chaud et sec pourrait transporter ces insectes vers le nord. De plus, le commerce et le transport de bois sont des vecteurs potentiels : les larves de xylomedes coronata peuvent survivre jusqu’à huit mois dans du bois mort. Une fois implantées dans de nouvelles régions, elles prospèrent, surtout entre septembre et mai, et attaquent le bois vivant de juin à août.

Existe-t-il actuellement un plan de lutte ou des initiatives pour contrôler la propagation de ce ravageur ?

Pour l’instant, le seul moyen de lutte est d’ordre agronomique. Il faut couper et brûler immédiatement les rameaux infestés pour limiter la propagation, car ce ravageur préfère le bois mort, où il peut rester en vie jusqu’à huit mois. Une autre piste envisageable est la lutte biologique. J’ai observé un champignon, le beauveria, qui peut parasiter cet insecte. Actuellement, je collabore avec un scientifique français pour explorer l’impact d’une espèce de la famille des histeridae, des insectes qui parasitent les bostrichidae, mais des essais en laboratoire sont encore nécessaires.

Quelles seraient les conséquences à long terme si ce ravageur n’est pas contrôlé efficacement ? Y a-t-il un risque pour l’économie oléicole de la région ?

Absolument. Ce ravageur pourrait devenir un véritable fléau pour la richesse oléicole de Bejaia, où l’on compte environ six millions d’oliviers sur 60 000 hectares environ. Le changement climatique, qui affecte notre région, pourrait également exacerber la situation. L’année dernière, un agriculteur de Mascara m’a sollicité pour des conseils, car son champ était déjà atteint. En l’absence de moyens de lutte efficaces, les pertes économiques pourraient être significatives.

Les conditions climatiques actuelles à Bejaia favorisent-elles la prolifération de cet insecte ?

Oui, sans aucun doute. Depuis le début des années 2000, la sécheresse est de plus en plus intense et récurrente, favorisant ce type d’insectes. En effet, nous avons constaté que la mouche de l’olive, un autre ancien ravageur de l’olivier, a pratiquement disparu en juin, juillet et août en raison des températures élevées de ces deux dernières années. En revanche, le xylomedes coronata, lui, se développe bien dans ce contexte de réchauffement climatique, ce qui le rend encore plus inquiétant.

Y a-t-il des collaborations avec d’autres régions ou pays pour échanger des données ou des stratégies de lutte contre cet insecte ?

Actuellement, je collabore avec des chercheurs en France. Cependant, cela reste insuffisant pour enrayer la propagation en Algérie. Une action concertée est nécessaire, impliquant universités, services agricoles, l’INPV et des laboratoires spécialisés. Le xylomedes coronata a montré sa capacité invasive en s’attaquant à d’autres espèces arboricoles, comme les agrumes au Maroc ou les orangers en Italie. Avec le réchauffement climatique, ce ravageur pourrait menacer l’ensemble des oliviers algériens, ce qui représenterait un réel danger pour notre patrimoine agricole.

Propos recueillis par Sofiane idiri

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