L'Algérie de plus près

Parler au « pluriel du singulier »

Par Hamid Dahmani

L’autre jour, dans un café populaire de la ville, j’ai entendu un consommateur crier au cafetier : « Aatina atey, saha khouya !» (Donnez-nous un thé, merci mon frère !). C’est étonnant, l’homme a parlé au pluriel, alors qu’il était attablé tout seul. Notre dialecte est devenu étrange depuis quelque peu. Les gens, quand ils parlent pour s’exprimer avec d’autres, et quoiqu’ils soient tous seuls, cela ne les empêche pas de parler au pluriel sans réfléchir. Chez le boulanger, j’ai observé le même phénomène : « Khouya, salam alikoum, aatina khamssa tipanete », (Mon frère, donnez-nous cinq petits pains).

Entre le singulier et le pluriel, il y a une fausse note. Les gens sont très respectueux dans leurs demandes, ils parlent avec politesse, mais conjugue mal le mode et le nombre. Le hic dans tout cela, pourquoi utilise-t-on le pluriel pour se désigner ou s’exprimer ? Les gens parlent au pluriel quand ils sont au singulier et s’expriment au singulier quand ils sont nombreux. Généralement, on utilise le singulier quand on est tout seul. À l’inverse on utilise le pluriel quand on est à plusieurs. On parle au pluriel alors qu’on est seul pour semer le doute et l’indéfini et créer l’amalgame. Les gens continuent de dire à leurs interlocuteurs administratifs « Choufoulna -au lieu de « choufli » – où en est mon dossier et s’il est accepté par la commission. Peut-être que ces gens parlent des anges gardiens qui les accompagne durant le cours de leur vie. Les plus alertes, quand ils sont en face de ce dilemme, répondent aux demandeurs ironiquement : « Pourquoi, combien êtes-vous ? », ce qui donne : « Liyah chaal rakoum ?»

Le langage populaire ne cesse de nous surprendre de jour en jour, on apprend tellement avec cette génération « prolifique » qui ne cesse de transformer notre jargon en un drôle de langage. Par exemple, lorsque quelqu’un parle d’une paire de basket ou d’une montre, il dit : « haba », comme si on désignait une poire, une pomme ou une pastèque. Et ce n’est pas tout : lorsque l’on tend l’oreille, on est des fois surpris par le langage en usage autour de nous. La langue officielle du pays n’a pas gagné beaucoup de terrain, elle qui espère depuis le temps faire de l’ombre à ce vulgaire jargon. Le dialecte populaire est irrigué chaque jour par des mots nouveaux qui tombent du ciel et de la bouche de ces « pseudos inventeurs ». Le langage populaire est bien parti pour perdurer au milieu de la société et il n’est pas prêt de s’essouffler.

H. D.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *