L'Algérie de plus près

L’été dans mon village

Par Rachid Ezziane*

L’été dans ma région est précoce. Comme les fruits et légumes primeurs, il s’installe à partir du mois de juin, des fois, sans hésitation, il s’annonce avec une pointe de canicule à partir de mai. Souvent, la nuit, il fait plus chaud que le jour. Certes, la plaine du Chélif, qui s’étend de Boukadir à Khemis-Miliana, fermée au Nord et au Sud par une chaîne de montagnes qui nous privent de cet air frais du littoral, a été de tout temps un bout du désert perdu dans le Nord du pays, mais autrefois, avant ce changement climatique dont tout le monde parle, « notre » été avait quand même son charme. Les eaux de l’oued Chélif coulaient à profusion et on ne se privait guère des plongeants du haut de ses berges, et, comble du bonheur, après quelques brasses et acrobaties dans l’eau, on confectionnait avec des roseaux des cannes à pêche et l’on se mettait à épier les poissons d’eau douce. A midi, on comptait la prise et on préparait un barbecue de fortune d’où l’odeur alléchante du poisson grillé se répandait à des centaines de mètres aux alentours. Le soir, c’est au cinéma qu’on allait finir notre journée bien remplie. Nos étés de ce temps-là, malgré le manque de confort telle la climatisation, les téléphones portables et autres moyens adoucisseurs de la vie, étaient plus cléments que ceux d’aujourd’hui. À dire vrai, tous ces « avantages » estivaux n’étaient accordés qu’à la gent masculine. Les femmes vivaient leur « calvaire » à huis-clos.  

De nos jours, tout a changé. Les étés sont longs et coûteux. Le Chélif s’est asséché. Dans le village où j’habite, El Attaf pour ne pas le citer, c’est la cohue de bon matin. Allez savoir ce que recherche cette multitude d’hommes et de femmes dans une telle canicule et dans un village où il n’y a plus de salle de cinéma, ni jardin, ni piscine, ni aucun lieu de détente. Les enfants errent à la recherche d’un moindre point d’eau où ils pourront barboter un moment, fut-il, ce point d’eau, un jet d’eau dans un rond-point. Malgré la canicule et le « no man’s land » touristique, le village double d’habitants en été. Les souks se multiplient. Il y a même une journée (le vendredi) où il y a un souk la matinée et un autre souk l’après-midi. Sans compter le souk hebdomadaire du mercredi et ceux des quartiers tous les jours. Ça grouille de monde dans un climat de fête foraine sans état d’âme ni joie de vivre. La pastèque et le melon sont l’unique rafraichissement à prix abordable. Le reste n’est que ruine de la bourse…

Étant retraité et n’ayant plus les moyens pour me payer quelques jours de vacances, j’observe et j’écris. Je sors de bon matin faire mes courses et je reviens chez moi cuver ma dose d’adrénaline. Plutôt ma mélancolie chronique…

Mon voisin vulcanisateur me rend la vie dure avec son vacarme continue et ses coups de marteau. Le compresseur qui n’arrête pas de souffler de huit heures du matin à huit heures du soir, sans répit, y compris le vendredi. En été, sa clientèle triple. Et avec tous les bruits imaginables qu’il engendre, je rêve d’un moment d’évasion ou d’un petit somme l’après-midi. Je rêve aussi de vagues léchant les galets au bruissement si réconfortant. L’été chez nous, au village aux mille et un souks, est synonyme de mal-vie. Et pourtant, la mer n’est qu’à 40 kilomètres à vol d’oiseau. Mais les prix sont inabordables au niveau des complexes et autres centres de vacances. Quand aux plages, dites gratuites, ne m’en parlez pas. J’en garde de bien mauvais souvenirs.

Pour le moment, malgré la chaleur et les souks cacophoniques, je n’ai qu’un seul souhait : trouver une solution aux bruits (pluriels) qu’engendre mon voisin VULCANISATEUR et qui empoisonnent ma vie de philosophe en méditation. Pour le reste, je m’en charge…

R. E.

*Ecrivain

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