L'Algérie de plus près

Élections législatives en France : pour quels changements ?

PAR KHELIFA LAZZAR

Jeudi, 30 juin 2024. 72 h avant les élections législatives en France. Les gens se pressent devant les rames de transport pour se rendre sur les marchés hebdomadaires.

À Lyon, les États et les Minguettes au sud attirent les foules de toutes les origines : africaines maghrébines et Européennes. Les produits de large consommation et les textiles se vendent à des prix abordables et concurrentiels. Le marché se tient chaque jeudi et samedi.

Ici, c’est la France cosmopolite, où se mêle costume européen et habits traditionnels. Dans la capitale des Gaules, pas moins de 70 langues sont utilisées.

À l’entrée des marchés règne une grande effervescence, c’est la place du militantisme, des distributeurs de tracts et de prospectus présentant les programmes des candidats ou des partis. Traditionnellement, cette opération de sensibilisation à la cause défendue par les candidats et les partis prend fin le samedi, soit la veille de la tenue du scrutin.

Cette année est particulière car l’enjeu est de taille. De fait, l’issue du scrutin pourrait plonger la France dans une nouvelle voie, inédite et difficile à imaginer il y a quelques décennies.

Depuis l’annonce de la dissolution de l’assemblée nationale, la campagne électorale a été ouverte ; une grande effervescence est perceptible dans toute la ville, quartiers, place des transports, universités, boites aux lettres… Tous les moyens et les endroits sont utilisés.

Aux Minguettes, l’entrée du marché est emblématique, quelques dizaines de M² offrent un spectacle invariable et incroyable de tolérance d’un prosélytisme pacifique où se côtoient des témoins de Jéhovah, des représentants de l’Église et des Mosquées, chacun y va de sa séduction.

Un peu à l’écart, des Rom, cette communauté d’Europe qui voyage beaucoup, a gardé son authenticité, son originalité et ses traditions, pratiquant la vente à la sauvette de parfums, maquillages et autres produits de beauté, parfois de vraies griffes !

Malgré cet espace réduit, les partisans arrivent à se mouvoir et placer leur tract. Les plus discrets restent les représentants du « Rassemblement national » et de « Les républicains » et pour cause : les communautés étrangères leur opposent beaucoup de griefs notamment le fait de s’être attaqués au fondement du triptyque « Liberté, Égalité, Fraternité » que la France a toujours défendu et dont le reste du monde lui était enviable.

Des propos diffamatoires, haineux et racistes étaient débités à tour de bras par des extrémistes de droite, des journalistes en mal d’inspiration et des chaînes de TV privées d’information en boucle.

Le moindre incident ou un acteur, témoin ou victime d’origine étrangère ou supposé comme tel voire d’origine mixte était évoqué pour relever l’audimat et pointer ‘’la coïncidence’’ qui fait désordre et… enfonce de plus en plus la France dans le chaos.

En face, des partis du centre et de la gauche n’hésitent pas à monter au créneau pour s’attaquer à ces dérives qu’ils qualifient de sectaires et étrangères aux grandes valeurs de l’humanisme Français et les fondements du siècle des lumières.

Des personnalités publiques, des poids lourds de la politique, des journalistes, des écrivains, des philosophes, des chercheurs n’hésitent pas à descendre dans l’arène chauffée à blanc par l’extrême-droite pour défendre les grandes valeurs humanistes, le droit à l’hospitalité, le vivre-ensemble et souvent rappeler que les Français ont été les premières victimes de l’extrémisme complice avec les nazis sous le gouvernement de Vichy dont l’illustre Jean Moulin, grand résistant, qui s’est battu contre les hordes nazis et les collabos. Certains ont rappelé que la mosquée de Paris a été le refuge des Juifs pourchassés et par les nazis et par la police française ; ils y ont été cachés, hébergés et sauvés des griffes de leurs impitoyables bourreaux ; dans l’après-guerre, leurs sauveurs, des Musulmans, ont acquis le prestigieux qualificatif de ‘’Justes’’.

Menaces, intimidations et racisme déclaré

Mais que peut-on faire quand certains hommes politiques mal inspirés brandissent la menace du grand remplacement et du choc des civilisations pour effrayer le peuple de France, alors que les trois grandes religions monothéistes de France réaffirment ensemble et chaque jour leur hostilité aux actes antisémites et antireligieux, car même les chrétiens ne sont pas saufs ni exempts de ces attaques, tags et brûlots. De même, des intellectuels d’horizons divers et de tout bord ne cessent de dénoncer les extrémismes hideux, les exclusions pour cause de naissance ailleurs, de couleurs de peau voire de langues.

Alors que la Planète se rétrécit de jour en jour, que les distances se réduisent comme des peaux de chagrin, que l’intelligence artificielle progresse à grands pas, alors que la planète est menacée par le réchauffement climatique, la sécheresse, le déforestation et la recrudescence de grandes catastrophes naturelles, on assiste à la naissance et la croissance d’un mouvement politique qui incarne les pires cauchemars pour l’humanité, d’obscènes projets de division des Hommes, la résurgence des fondements originels du nazisme et des idéologies rétrogrades.

Les dernières élections européennes ont donné à l’extrême-droite et apparentés 188 sièges, ce n’est certes pas une majorité mais une forte progression voire une capacité de peser sur les débats et probablement d’influer et interférer sur la politique de l’UE.

Ce qui se passe en France est révélateur de ces profondes mutations et ce pays reste le pouls de l’Europe, voire du monde où tout ce qui s’y passe est scruté à la loupe et pour cause : c’est le 3ème réseau diplomatique au monde, le seul état européen à avoir de vastes territoires très loin de l’Europe.

Le président Macron a bien compris qu’il faut dissoudre la représentation nationale et redonner au Français la possibilité de choisir par eux même les élus qui porteront leur aspiration. Faute de ne pas le faire, il exposerait le pays à de graves perturbations sociales et menacerait les fondements de la 5è République en portant un grave coup à l’homogénéité et la cohésion de l’UE.

Les enjeux sont énormes

De possibles et inéluctables dysfonctionnements de l’UE peuvent se révéler fatals au monde occidental. À terme, si cette lame de fond arrive à fédérer les extrêmes de la droite en faisant jonction dans tous les pays d’Europe, alors de grands déséquilibres internationaux peuvent apparaître comme une fracture dans l’Otan, les alliances traditionnelles avec les USA, la relation avec le nouveau bloc des Brics.

Les Brics totalisent le 1/3 du PIB mondial et talonnent de près le G7 ; des prévisions optimistes accordent aux Brics la première place dans moins de deux décennies !

Les reproches sont clairs : le président Macron aurait beaucoup plus défendu les intérêts de l’Europe et l’homogénéité de l’Otan que le pouvoir d’achat des français et leur sécurité. Des motifs, des raisons, des arguties qui ont été agités à tour de bras et amplifiés à l’extrême.

En réalité, c’est une crise qui vient de loin, les réponses jugées inappropriés voire inadéquates aux demandes exprimées dans les manifestations des Gilets-Jaunes, la période du Covid-19 ayant anesthésié les mécanismes automatiques de l’économie et provoqué de profonds dysfonctionnements dans la gestion de la pandémie, la guerre de l’Ukraine où l’effort de la France a été jugé non conséquent ou… trop engagée, le recul de la francophonie, le repli de l’armée française de l’Afrique, la gestion de la crise migratoire considérée comme faible et non percutante.

Il y a aussi l’engagement de la France en Ukraine avec 2000 soldats et 300 en Syrie, le désengagement du Mali, le 7 octobre 2023 et l’attaque du Hamas, la riposte démesurée d’Israël faisant plus de 40 000 victimes civiles palestiniennes.

En France, le climat délétère et la texture politique qui souffre de cohérence, de cohésion et de solidité ont éloigné les français des belles promesses du ‘’macronisme’’ , conjugués à plusieurs scandales politiques dus aux comportements de certains ministres et d’ élus et à l’utilisation presque répété du 49/3 pour faire passer en force des projets de lois.

Alliances contre-nature

Face à ces turbulences et ces incohérences, l’extrême-droite s’est aguerrie, elle a développé de nouvelles réponses, mis en avant de nouvelle figures politiques, des candidats aux élections parmi les français d’origine maghrébine ou africaine, des alliances avec une partie de la droite sensible à ses thèses, une exploitation quasi-instantanée de tous les travers ‘’de l’émigration’’ qui s’articule sur un point médian : l’Algérie ou la nécessité de se désengager des accords de 1968 sur, entre autres, la libre circulation des Citoyens ! L’histoire de ce pays est scruté depuis l’indépendance, car c’est un formidable créneau et un fonds de commerce inestimable qui permettent de ratisser très large dans les populations françaises, Harkis, nostalgiques de l’Algérie française mais pas l’ensemble des ‘’pieds noirs’’.

Le premier tour des législatives n’a pas tenu toutes ses promesses, il n’y a pas eu de raz-de-marée du Rassemblement National qui a obtenu 1/3 des votants et seuls quelques candidats sont passés au premier tour, le reste est considéré en ballottage. 70 candidats de tout bords ont été élus au premier tour, le reste soit 507 ont dû attendre le verdict du 7 juillet.

La France aura connu le second moment politique (après l’épisode présidentielle Jacques Chirac-Jean Marie Lepen) le plus intense et le plus décisif de la 5° république entre le 30 juin et 7 juillet.

Une grande bataille dans le monde politique à l’intérieur des partis victimes pour certains de schismes et d’exclusion politique de membres charismatiques, notamment au sein de « Les Républicains » et de « La France Insoumise » voire de la dissidence et entre les partis où les nécessaires triangulaires ont enfanté des alliance insoupçonnés quasi-majoritaire anti RN entre ‘’les Macaronistes’’ ,’’le Front populaire ‘’et les ‘’Les Républicains’’ .

Des consignes de vote fermes ont été données aux candidats de 3è position pour des désistements au profit de candidats les mieux placés et aux militants pour le report des voix sur les candidats autres que ceux du Rassemblement national. On voit qu’il y a une vraie mobilisation pour empêcher l’extrême-droite d’accéder à la majorité à l’Assemblée nationale. Un front républicain assumé par tous mais sur fond d’idéologie non partagée.

Ce front tiendra-t-il la route face aux vieux démons de la politique et des dérives personnelles qui par paresse évacuent l’intérêt national ? Les instituts, qui accompagnent la société, déploient sondages, statistiques et commentaires ‘’avisés’’ et qui souvent quand ils se trompent ne reconnaissent que ce qu’ils ont omis de prévoir et arguent de l’irrationalité récurrente des électeurs qui faussent les ‘’meilleures prévisions…’’

Ces instituts de sondage ont attribué un raz-de-marée au RN avec presque 288 sièges soit la majorité absolue. Il n’en fut rien .

La gauche jugée en lambeaux devait essuyer une raclée électorale.

La droite divisée et les Macaroniste en perte de vitesse ne devraient pas faire de score notable !

Pourtant, loin de ces joutes oratoires, ces statistiques et ces prévisions, les électeurs ont fait le job, la mobilisation citoyenne a boosté la participation qui, le 7 juillet, a atteint à midi 26,63 %… ‘’Du jamais vu depuis 1981’’ et… à 20 h, 60,10 %… un score !

Pour une fois, les politiques ont bien joué leur rôle : attirer les électeurs vers les urnes afin de retirer de probables dividendes et par là les obliger à rentrer dans le jeu démocratique pour désigner ceux qui doivent porter très haut leurs valeurs, préoccupations, problèmes et projets.

Tous les Citoyens se sentant concernés dont les Français d’origine étrangère se sont investis à fond dans la campagne et au sein de leur communauté d’origine dont le vote est très précieux. Un prix à payer pour que la France retrouve sa trinité politique et chasser les vieux démons de la division ,de la haine et du racisme.

La France s’est donc réveillée à gauche.

Les luttes sociales, le pouvoir d’achat, l’âge du départ à la retraite, la mal vie, l’insécurité… ont fini par faire émerger une aspiration à un changement radical de la politique mené par le Président Macron depuis 7 ans.

Y aura-t-il une révolution ?

En réalité, la marge de manœuvre de la gauche reste limitée faute d’une majorité à l’Assemblée nationale qui devait lui permettre de porter très haut le programme prévu et annoncé. Il est plus facile d’être dans l’opposition car, quand on est aux affaires, c’est une autre paire de manches. Les contre-pouvoirs, les institutions et les autres partis sont là pour surveiller, contrôler et empêcher ‘’les barrières’’ d’être déplacées !

Sylvia MELONY, la présidente du conseil Italie, du parti d’extrême droite ‘’Frères’’ arrivée au pouvoir en 2022 a, contrairement à ses collègues de Pologne et de Hongrie, souscrit et adhéré pleinement aux positions de l’UE, régularisant en un tournemain presque 350 000 migrants !

La gauche pourrait gouverner le pays mais n’en réglerait pas tous les problèmes.

Comment inscrire et promouvoir une action nationale dans un cadre Européen qui se revendique d’une orthodoxie budgétaire, des obligations et de la solidarité avec les autres pays du G7 ?

Comment restituer à la France sa place dans les grandes décisions qui touchent à la sécurité et l’équilibre du monde ?

La gauche aura-t-elle la force ou l’ambition de garder ‘’la tête hors de l’eau’’ par rapport à sa triple appartenance à l’Otan, l’UE, le monde occidental et plus loin la France Afrique, de la gestion de la participation des troupes en Ukraine et Syrie, de la question des deux états en Palestine ?

Dans les jours qui viennent, la gauche par ses résultats aux législatives devra prétendre constitutionnellement au bénéfice de nommer un premier ministre.

Toutefois, si la victoire de la gauche éloigne le spectre de l’extrême droite, les binationaux ou Franco-X devraient mettre à profit cette opportunité pour aller vers plus d’intégration et de participation dans la vie politique ne serait-ce que pour exercer le droit de choisir ceux qui porteront leur aspiration.

Des retours d’informations et des contacts avec la communauté Algérienne montrent un regain d’espoir et de contentement perceptibles chez les Chibani, ceux qui sont là depuis plus de 40 ans, qui se disaient ‘’ne pas être étonnés ,que le Peuple Français sait se lever quand il le faut’’. Eux savent que pour vivre ici, il fallait se lever tôt, se serrer la ceinture, travailler et partir au bled une fois par an si cela est possible. Ils ont toujours vécu ainsi et ne se sont nullement inquiétés ni cru aux paroles des politiques.

Leur vrai problème à eux a toujours été avec la paperasse, surtout à l’occasion du renouvellement du passeport et des billets trop chers pour rentrer au pays en cas d’urgence.

Mais cela est une autre affaire.

K. L.

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