L'Algérie de plus près

L’euphorie du 5 juillet, les peines des uns et les joies des autres

Par feu Kamel Noui-Mehidi *

A l’annonce du cessez-le-feu le 18 mars au soir, quelques manifestations çà et là éclatèrent, de manière sporadique certes mais régulières et soutenues aussi bien à Châteaudun du Rummel (actuel Chelghoum Laïd) où j’habitais chez mes parents qu’à Constantine où je terminais mon année de seconde au lycée d’Aumale. Elles marquent la fin d’une guerre sanglante.

Après le référendum du 1er juillet 1962 suite auquel fut proclamée l’indépendance de l’Algérie, les scènes de liesses populaires commencèrent dès le soir et se sont poursuivies jusqu’au 5 juillet, allant crescendo. Il ne faut pas oublier que, dès le 19 mars, à la fin du mois de juin, beaucoup de malheurs frappèrent l’Algérie, notamment les attaques criminelles de l’OAS. Ses attentats meurtriers et le plasticage des maisons et commerces des musulmans ont été à l’origine les causes réelles du départ en masse des français d’Algérie. Ces derniers ont pratiquement abandonné leurs biens pour certains mais la plupart ont dû les céder aux plus offrants à l’époque. Personnellement, j’étais entre le lycée de Constantine en tant qu’interne et Châteaudun du Rummel, à la maison parentale. Cette situation m’a fait vivre quelques mésaventures heureusement sans conséquences fâcheuses. En effet, fin juin, je rentre innocemment chez moi au village et je découvre que mes parents ont déménagé avec armes et bagages pour Batna. Les voisins qui m’avaient bien accueilli et m’ont aidé pour le retour sur Constantine car j’étais âgé de quinze ans et demi et sans le sou. De retour à Constantine, je pris la direction de Bellevue, le quartier où habitait ma tante maternelle. Et là, surprise encore, ma tante n’était plus là, son mari a acheté une maison à Sidi Mabrouk. Les voisins de ma tante qui étaient des parents à son mari m’ont indiqué l’adresse et le bus que je devais prendre pour m’y rendre. Arrivé chez elle, elle m’informa que ma famille se trouvait bien à Batna mais personne ne savait où exactement. Mon père, interprète judiciaire à l’époque coloniale, a été nommé juge d’instruction au tribunal de Batna à l’indépendance. Mon père avait décroché son diplôme d’interprète et une propédeutique lettre bilingue (arabe français) en 1936.

Je me trouvais donc à Constantine entre le 1er et le 5 juillet 1962. Accompagné de mon cousin maternel, nous descendions tous les jours à pied de Sidi Mabrouk au centre-ville de Constantine, à la place de la Brèche, et là on s’intégrait aux manifestants en sillonnant les rues de la ville, pratiquement toute la journée. Et ce n’est que très tard le soir qu’on rentrait au bercail. Hommes, femmes voilées (m’laya oua aadjar), femmes non voilées, jeunes filles, femmes mariées, enfants, adultes, vieillards et adolescents criaient en arabe «Vive l’Algérie, «Vive l’Algérie musulmane», «Vive l’Algérie indépendante» ; des slogans accompagnés de youyous stridents. Des groupes de gens étaient sur de vieux camions, dans les bus, perchés sur les toits de voitures légères de type «traction avant 15», «légère 11», «normale» etc., entonnant les chants patriotiques. Plusieurs français anonymes prenaient des photos et particulièrement une dame, la quarantaine, qui n’arrêtait pas de filmer toutes les scènes particulières. Certains adolescents mêlés à des adultes marchaient au pas cadencé en criant haut et fort «Djabouha del djounoud del Milia» (l’indépendance a été obtenue par les djounoud d’El Milia). Je me souviens avoir entendu et vu ces groupes pendant plus de six mois après. Tous les quartiers étaient noirs de monde, les scouts musulmans avec leurs fanfares, des tréteaux improvisés étaient occupés par des orchestres également improvisés qui entonnaient des chants patriotiques et des chansons traditionnelles de Constantine entrainantes comme le «zendali». Les gens chantaient et dansaient en non-stop. Malheureusement nous assistâmes avec mon cousin à des scènes pénibles. La première, une française, voisine de ma tante, obligée d’accompagner son mari pris de malaise à l’hôpital, qui trouva à son retour sa maison squattée par des indu-occupants étrangers au quartier. Malgré l’intervention des voisins qui furent eux-mêmes menacés, les squatteurs demeurèrent en place et les deux époux durent se faire rapatrier en urgence en France malgré leur volonté sincère de terminer leurs jours dans leur ville natale

La deuxième, certains harkis qui n’étaient pas partis avec les soldats français ont été pris à parti par une frange de la population ; ils ne durent leur salut qu’après l’intervention de certains responsables de l’ALN. Seuls les trois premiers ont été pendus à des arbres.

K. N. M.

*Architecte

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