L'Algérie de plus près

Qui est responsable de la détérioration de l’image de l’enseignant ?

Deux photos prises à deux époque différentes représentant deux groupes d’enseignants, l’une en 1967, l’autre sans date précise mais récente. La première est en noir et blanc et la seconde en couleurs. Malgré la couleur et la qualité des caméras et des appareils photos sophistiqués de notre époque, la première photo est plus belle et mieux cadrée que la seconde. La photo en question qui accompagne cet article circule sur les réseaux sociaux avec des commentaires souvent élogieux à l’égard des enseignants de l’ancienne génération qui figurent sur la première ; ils sont par contre peu flatteurs à l’égard de ceux de la nouvelle génération figurant sur la seconde image.

Ainsi, la plupart des commentateurs trouvent que les enseignants sur la première photo sont plus élégants ayant l’allure digne de vrais instituteurs contrairement à ceux de la seconde dont la manière de s’habiller est un peu extravagante et la manière de se tenir n’est d’aucune prestance.

Ce constat, nous ne pouvons que le confirmer. Mais a-t-on essayé d’aller au-delà de cette simple remarque ? Très peu y ont pensé. Tout fait ou phénomène est résultat d’un certain nombre de facteurs. Il y a une citation populaire qui dit ceci : « Li maqrache fi waqt boumediene ma yzidche yaqra » (celui qui n’a pas fait ses études sous le règne de Boumediene ne peut prétendre avoir fait des études). La photo où apparaissent les enseignant élégants et bien habillés a été prise justement durant le règne du président Houari Boumediene. Cela veut dire que rien n’est dû au hasard et rien ne peut se faire sans et loin de la volonté des autorités politiques. Il s’agit ici de la première interprétation. Pour ce qui est de la seconde interprétation, l’élégance de ces enseignants et leur façon de se tenir dans la première photo montrent l’influence du système éducatif français qui n’a pas été complètement abandonné à cette époque. Beaucoup d’enseignant algériens avaient été sinon formés à l’école française, du moins selon ses programmes. Et dans les deux cas, il y a un facteur commun : il s’agit de la situation socioprofessionnelle des enseignants. À cette époque, les enseignants faisaient partie de la classe moyenne, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui où ils sont classés parmi les pauvres à l’instar de la plupart fonctionnaires. Avant les années 1980, la vie n’était pas aussi chère qu’aujourd’hui, orientation socialiste oblige. Les fonctionnaires en général et les enseignants en particulier pouvaient se permettre un costume trois pièces de la meilleure étoffe. Aujourd’hui, il coûte au bas mot la moitié du salaire d’un enseignant. Un instituteur de la commune de Béni Haoua, aujourd’hui à la retraité, nous a confié qu’au début de sa carrière, à la fin des années 1980, il percevait entre 2000 et 3000 DA, une somme qu’il n’a jamais dépensé dans sa totalité en un mois tellement tous les produits et marchandises étaient abordables. Y a-t-il aujourd’hui un seul enseignant qui peut épargner le moindre centime deux semaines après avoir perçu son salaire ?

Un autre enseignant retraité de la ville de Chlef m’a raconté que, presque chaque année, il passait des vacances en France, au Maroc et dans d’autre contrées, sans parler de ses déplacements à l’intérieur du pays. Qui parmi les enseignant peut, avec son salaire, penser à ce luxe qui relève aujourd’hui de l’impossible ? Beaucoup de jeunes enseignants ne peuvent croire que leurs aînés pouvaient voyager hors du pays avec leur salaire car eux, s’ils arrivent à joindre les deux bouts, c’est déjà un miracle.

Le capitalisme sauvage et anarchique dans les pays du tiers-monde a fait des ravages. Aujourd’hui, il y deux classes sociales : les riches et les pauvres ; la classe moyenne ayant été effacée. Le capital seul a droit de cité. L’argent appelle l’argent. Quand on possède de l’argent, on peut exploiter les autres. Que l’on travaille ou que l’on soit au chômage, on ne ressent pas une grande différence, sauf la satisfaction morale (et illusoire) d’être utile à la société. Même si on décroche les diplômes les plus prestigieux, on restera toute sa carrière un simple fonctionnaire si on ne possède pas un capital. C’est pourquoi je me demande pourquoi fait-on autant de tapage et de bruit pour un fils ou une fille qui réussit au BEM ?

La politique sociale appliquée sans discernement par l’État a aggravé la situation. On distribue les diplômes avec une générosité déconcertante. Ces diplômés médiocres se retrouvent par enchantement dans des établissements scolaires comme enseignants pour donner le coup de grâce à l’école algérienne qui peine à tenir debout.

Voilà pourquoi les enseignants de la première photo sont plus élégants et bien mis. Seuls les enseignants ayant de la conscience et de la compétence payent les fautes dont ils ne sont pas responsables.

Je suis contre les cours particuliers, mais les enseignants ont-ils une autre solution pour joindre les deux bouts ? Un simple marchand à la sauvette qui ne verse pas un seul dinar d’impôt gagne en moins d’une semaine ce que l’enseignant gagne durant un long mois de labeur.

Hassane Boukhalfa

2 thoughts on “Qui est responsable de la détérioration de l’image de l’enseignant ?”
  1. Nous savons très bien qui est responsable de ce changement radical sur le plan intellectuel et « vestimentaire  » .Au delà de ces vérités qu’ évoque ce journaliste et dont je suis entièrement d’accord, il reste néanmoins que le facteur essentiel qui a détruit notre société pour des siècles est connu…inutile d’en dire davantage

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