L'Algérie de plus près

« De Ziadnia au Camp du Larzac – Mon engagement dans la Révolution »

Témoignage de Djilali Badni recueilli par Abdelkader Ham

Certains diront à la lecture du titre, un énième témoignage sur la guerre. Qu’importe ! L ’engagement, l’arrestation et la torture dont fut victime le Moudjahid ne s’oublient pas et les raconter c’est témoigner pour tous ceux qui ont disparu dans les mêmes combats sans laisser de trace, au mieux un nom sur un monument. Celui de Djilali Badni « à hauteur d’homme ordinaire » comme le précise la préface d’Abdelkader Ham qui a recueilli les propos et rédigé l’ouvrage, reste un de « ceux qui ont porté « à bras-le corps » la Révolution sans jamais avoir rechigné sur leur condition de simples « maquisards ». Et si la précision reste encore incomplète pour convaincre, ce livre est pensé « comme une réparation » envers tous ceux qui ont contribué à l’indépendance du pays. Une fois encore, la littérature au service de l’Histoire a plus d’un mot à dire avant que les derniers témoins ne disparaissent.

Ces considérations étant précisées, l’aisance et la précision du propos relatées par Abdelkader Ham nous embarquent dès les premières pages vers l’enfance et la jeunesse de Djilali, né en 1930 dans une famille pauvre dans un douar de la wilaya de Chlef. L’intérêt de cette histoire réside dans les rebondissements qui marqueront la vie de cet homme devenu très tôt agriculteur au milieu des siens après un bref séjour à l’école coranique en l’absence d’école publique dans le village.

Chaque chapitre est enrichi d’une mise en contexte qui apportent des détails importants, par exemple sur les effets de la Seconde Guerre Mondiale, avec l’arrivée en 1944 des Alliés qui va souffler « un vent de liberté » sur la population accablée par la colonisation, les Massacres du 8 mai 1945 et l’évolution des positions des dirigeants des partis comme celui de Ferhat Abbas avec son nouveau parti créé en 1946, l’UDMA (Union Démocratique du Manifeste Algérien), représenté par onze députés à l’Assemblée Nationale française. Puis, un jour de l’été 1952, une proposition paternelle de Djilali intervient pour l’inciter à partir à 22 ans avec un accompagnateur pour Marseille, arrivée au Creusot rejoindre un cousin, puis départ pour des chantiers sidérurgiques en Lorraine.

L’auteur Abdelkader Ham rappelle à l’occasion la Loi du 20 septembre 1947 débattue par l’Assemblée nationale dans un contexte de revendications nationalistes et de prémices de la Guerre d’Algérie qui va permettre à « l’Algérien, sujet sans droit politique » de devenir citoyen français et « de pouvoir désormais circuler entre l’Algérie et la métropole ». Rien n’est laissé au hasard dans ce récit précis et édifiant dont il serait gageure de rapporter tous les faits marquants et les notes choisies dans la mise en place de la Révolution pour chaque wilaya et par les positions de ses principaux leaders. Le lecteur y trouvera un éclairage précis et érudit.

Après un mariage arrangé par son père en octobre 1954 et en l’absence de travail sur place pour cause aussi d’effets économiques du tremblement de terre qui secoua la région d’Orléansville, le 9 septembre 1954, Djilali doit repartir, cette fois autour de Grenoble où il contribue aussi à l’effort financier de guerre par des cotisations (ichtirak), notamment pour la ville d’El Asnam. Le courage manifesté dans ces séparations fréquentes d’avec les siens se manifestera aussi dans sa résistance aux entraves de toute sorte, comme dans son militantisme ou face à la lâche exécution de son père par les soldats de l’armée coloniale, puis les massacres exercés contre ses amis, habitants de Ziadnia, et les rafles sur le « haouche » de son oncle.

Tout au long des chapitres qui égrènent les mésaventures dans le travail et de rencontres sur les chemins de la vie du protagoniste, Abdelkader Ham enrichit le récit intime de moments et personnages importants engagés dans le combat avec des dates, lieux et des bilans chiffrés. Parmi eux, quelques faits marquants sont à soulignés comme l’annonce « sur les ondes de « Sawt el-Arab » (la Voix des Arabes) qui émettait du Caire… L’Algérie a engagé aujourd’hui une lutte grandiose pour la liberté et l’Islam… ». Ces moments relatés mettent en perspective l’ampleur de cette reprise de la lutte généralisée contre les représentants du pays colonisateur.

L’étau terrible de la guerre est sur le point de mettre un point final à son existence, quand recherché, Djilali décide de continuer la lutte en France en 1958. Sitôt arrivé à Grenoble, une mission lui sera donné par le FLN. Il s’exécutera sans état d’âme, sera arrêté et torturé. Resté un an et demi en prison à Grenoble, il fut transféré ensuite au Camp du Larzac dans l’Aveyron avec plus de 3000 autres prisonniers algériens où il resta de 1959 à 1962. Le récit s’achemine après des péripéties vers la libération et le retour au pays indépendant, puis son affectation comme enseignant en arabe dans le primaire, jusqu’en 1986 année de la retraite.

Djilali Badni, moudjahid, ancien détenu du Camp du Larzac

Dans une deuxième partie de l’ouvrage, l’auteur évoque à travers la vie de Djilali dans sa région et au-delà les étapes de la vie de la nouvelle Algérie, avec ses réussites et ses arcanes. Ce panorama précis mené à travers quelques anecdotes et tracasseries locales, éclaire le récit régional et toujours la volonté et la clairvoyance de l’ancien moudjahid pour trouver des solutions légitimes. L’auteur complète l’ouvrage de témoignages édifiants d’anciens combattants de la région, « Ziadnia, le douar martyr », qui attestent du courage de chacun et de tous les sacrifices consentis pour la libération du pays, ainsi que de quelques photos personnelles de Djilali Badni, témoin incontournable du siècle passé.

Certains récits autobiographiques marquent le lecteur de leur empreinte précise de souvenirs, sans fioritures, ni états d’âme, servie par une écriture concise et directe. C’est le cas de celui-ci qui à la fois nous incite à une lecture très motivée sur la découverte de la vie de cet homme modeste dans une zone rurale, puis sur un territoire plus large loin des siens, et décidé de participer à la lutte nationale au fil des étapes éprouvantes du roman national.

Décidément, grâce à l’énergie révolutionnaire et la volonté de ce héros, à présent âgé de 94 ans, et du talent de l’auteur, scrupuleux de l’exactitude des faits et du contexte dans lequel ils s’inscrivent, nous n’en avons pas fini de découvrir des récits qui vibrent comme des légendes de la grande Histoire de l’Algérie. Cette chronique se permettra de saluer le talent de l’écrivain Abdelkader Ham et le courage et la mémoire infaillible du Moudjahid Djilali Badni !

J. B.

« De Ziadnia au camp du Larzac – Mon engagement dans la Révolution »

Éditions Les Presses du Chélif (janvier 2023)

Témoignage recueilli par Abdelkader Ham

One thought on “« De Ziadnia au Camp du Larzac – Mon engagement dans la Révolution »”
  1. Tout d’abord,je tiens à féliciter notre ami Aek.Ham pour ce travail remarquable.Je ne manquerai pas de me procurer le livre des qu’il sera disponible chez Mr Khiati ,notre ami de toujours.
    Nos remerciements à Madame J.Brenot pour nous avoir présentéL l’ouvrage d’une belle manière.

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