L'Algérie de plus près

Du métier d’avocat et de son évolution

Par Me Mohammed Koulal

« Tout le monde déteste l’avocat de la défense jusqu’au moment où on en a besoin »

Michael Connelly

La profession d’avocat n’est pas récente, elle existait déjà durant la période gréco-romaine. Elle trouve donc ses origines dès l’antiquité. Le métier d’avocat a connu de nombreuses mutations et demeure à ce jour en mouvement, où l’avocat est tantôt réduit au silence, tantôt il se voit propulsé comme fer de lance de la liberté.

Durant la période gréco-romaine, l’accusé se défendait lui-même tout en narrant la rédaction faite par les grands orateurs. Ce n’est que durant la période moyenâgeuse que les premières règles de la profession ont été fixées. En effet, durant le 13e siècle, des règles ont été élaborées dont certaines perdurent à nos jours comme l’obligation de prêter serment et de disposer d’un niveau de connaissance en Droit acceptable.

Le fondement même de la notion de justice en tant qu’organe fut -chez les romains et grecs- entre les mains des praticiens au détriment des plébéiens. Les premiers au rang d’aristocrates, les seconds maintenus dans l’ignorance et donc dans la soumission ; ils sont par conséquent sujets à l’arbitraire et à l’injustice. Cette aptitude était motivée par les rites religieux dont les praticiens étaient maîtres au détriment des plébéiens (le grand peuple). Pratiquement, tous les actes de la vie sont entre les mains des aristocrates et les règles entre celles des pontifes (jurisconsultes) devant répondre oralement aux questions des citoyens.

Ce n’est qu’à partir de l’an -451 que fut élaborée la loi des 12 tables stipulant l’égalité entre les citoyens devant la loi et que la notion de laïcité apparaissait additivement aux diverses lois qui devaient être affichées dans les rues (ces projets de loi : les leges rogatae) ; et il fallait donc une préalable autorisation à toute démarche législative (je tiens à insister qu’il s’agit là de la période gréco-romaine où la notion de démocratie fut débattue). Un fois la loi votée, elle prend le nom de son auteur et elle devait comprendre : un préambule, le texte en lui-même et enfin la sanction.

Le système judiciaire comprenait dès lors des acteurs de justice qui étaient :

– L’accusateur qui devait apporter les preuves de culpabilité de l’accusé du fait de l’inexistence de service d’investigation. Et si l’accusateur ne se présentait pas à l’audience, il est poursuivi pour calomnie et même sanctionné au cas où il n’obtenait pas gain de cause.

– L’accusé est défendu par un avocat. Il peut être soit absous soit condamné et la sentence est irrévocable. Le rôle de l’avocat apparaissait non seulement comme défenseur mais aussi comme spécialiste du Droit qui pouvait en audience proposer l’annulation d’une loi (il s’attribue le rôle de législateur).

Un métier en constante évolution

Pour mieux cerner le métier d’avocat, il serait indispensable d’évoquer Pline le jeune, disciple de Cicéron, qui évoque sa mission d’avocat en s’accordant à l’éloquence dans la défense des intérêts d’autrui. En comparaison avec Cicéron, il met en évidence une conception de la mission de l’avocat concurrencée par l’image lucrative. Pour lui, cette mission devait être enserrée dans des observations politiques et sociales.

Le code de déontologie de Pline reposait et s’attachait à des notions telles que la justice, la confiance et l’humanisme. Mais le dilemme de l’avocat demeure dans le choix de la personne à défendre quand celle-ci est opposée à une connaissance soit un ami ou un parent. Pline considère la défense d’un proche ou d’un ami comme un acte à la fois naturel et nécessaire.

Le rôle de l’avocat est de défendre les intérêts de son mandant, avant, durant et après toute procédure judiciaire. Il est consulté en tant que conseiller et, des fois, il assure l’intermédiation entre les protagonistes tout en étant fidèle à son serment. Dans un État de droit, l’avocat est la vigie des libertés comme il a le devoir de surveiller le bon fonctionnement de l’appareil judiciaire quand le pouvoir lui-même omet de le faire.

La notion de l’avocat moderne va au-delà de cette définition classique, il devient dans la majorité des cas réconciliateur entre parties, psychologue et, surtout, « père » pour les jeunes. Il est toujours présent pour les justes causes.

Dans ce cadre, je suis obligé moralement de citer mon maître et confrère du Barreau de Mostaganem, Me Mohammed Rahal.

Après l’obtention de son baccalauréat, il entame ses études en première année à la faculté d’Alger pour rejoindre ensuite l’université Paris-Panthéon Sorbonne où il décroche son doctorat en Sciences Juridiques en 1951. Il s’installa à Tiaret comme avoué plaidant (et non en tant qu’avocat) vu les conditions draconiennes imposées aux Algériens pour défendre les prévenus ; jusqu’à la conclusion du cessez-le feu en mars 1962. Malgré les menaces à son encontre et sa famille, il prit la défense des Moudjahidine et des militants du FLN incarcérés dans les geôles coloniales. Il échappe à deux reprises aux attentats organisés par l’OAS contre son étude (Bureau) et cela le 17 mars 1962 après avoir défendu au niveau du Tribunal de Tiaret et le Tribunal militaire d’Oran le Chahid Hamdani Adda et ses hommes (brûlé vif par l’oas le 13 janvier 1962 à Oran).

Après la suppression de la profession d’avoué, il a exerçé en tant qu’avocat. Malgré sa formation en Français, il n’a ménagé aucun effort pour rédiger ses requêtes en arabe.

Le Bâtonnat de Mostaganem ne fut pas de marbre devant une telle stature en lui décernant par l’intermédiaire de feu Si Abdelkader Taha (alors bâtonnier) la médaille du mérite en 2005 puis l’année d’après la médaille du Mérité Nationale avec reconnaissance pour la défense lors de la guerre de la Libération Nationale et remise solennellement au Club des Pins à Alger.

Un rempart pour le Droit

L’avocat est encore celui considéré comme un « rempart », un « guerrier » et le « chevalier solitaire » pour la naissance de l’état de droit et sa protection. Celui qui pense que le motif de sécurité établi par le pouvoir ne doit pas être au détriment des libertés individuelles.

Aussi, il est à rappeler la position de l’avocat vis-à-vis de la liberté d’expression conformément à la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 stipulant dans son article 10 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions… » et l’article 11 : « la libre communication des pensées et opinions est un des droits les plus précieux de l’homme… ».

Dans ce cadre, lors du 8e Congrès des Nations unies pour la prévention des crimes et le traitement des délinquants, il a été adopté en 1990 des principes de base relatifs au rôle du barreau. L’article 20 de la Convention stipule que les avocats doivent bénéficier de l’immunité civile et pénale pour toute déclaration pertinente faite de bonne foi dans les plaidoiries orales ou écrites ou lors de leur parution devant le tribunal ou toute autre autorité juridique ou administrative. Cette immunité de l’avocat demeure à ce jour relative dans les systèmes « tordus » où, durant leur formation, des magistrats, tel que rapportée par les élèves eux-mêmes, s’entendent dire : « Méfiez-vous de l’Avocat… » Est-ce un ennemi ?!

Les plus maltraités, dans l’espace et dans le temps, ce sont les Avocats Algériens à cause de leur ténacité et leur ferveur pour la construction d’un État de droit. Il est de mon devoir de les citer car ils ont contribué efficacement, au détriment de leur personne, de leur famille et de leur bien durant la lutte, à la libération du pays du joug Colonial. Citons Entre Autres :

Ali Boumendjel, Pierre Popie, Pierre Guarrigues, Thuveny, Amokrane Ould Aoudia, Ait Ahcene, additivement à ceux rayés du barreau en raison de leurs activités nationalistes. Comment peut-on considérer leurs enfants spirituels en tant qu’ennemis ? De l’absurde !

L’avocat algérien est formé pour le respect et la soumission aux lois, à ses obligations envers son mandant, il est pluridisciplinaire : il plaide au pénal, au civil, au social, au prud’homme etc. Il n’est pas figé, il ne vit pas de sa profession, il la fait vivre sous l’œil attentif de son barreau et donc du bâtonnier et de ses délégués. Il est en constante surveillance par rapport à ses attitudes soit envers ses confrères, ses mandants et son comportement vis-à-vis des instances judiciaires. À cet égard, l’avocat agit honnêtement par rapport à certaines professions qui se qualifient de symbole d’équité.

Enfin, le système est toujours là, chacun a le droit d’en juger ! La médiocrité devient de société ; malheureusement pour un peuple dont l’intelligence collective est prouvée mais étouffée alors que le ridicule sévit à tous les stades et est ovationné, ce que les avocats combattent chaque jour que Dieu fait. Comme l’a bien résumé Robert Badinter : « Notre rôle ce n’est pas justifier, ce n’est même pas excuser. C’est interdire à la haine d’être présente à l’audience ».

Winston Churchill a quant à lui a estimé que « La critique peut-être désagréable, mais elle est nécessaire. Elle est comme la douleur pour le corps humain : elle attire l’attention sur ce qui ne va pas ».              

Il n’y a pas de grand magistrat (au singulier) mais de grands avocats. Et là, je tiens à renouveler mes considérations envers mes Maîtres, ceux qui révèlent le tort d’autrui et le redressent par leur volonté et leur compétence.

M. M.

*Avocat à la Cour de Relizane

Agréé à la Cour suprême et au Conseil d’État

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