« Yallah Gaza » est le deuxième film documentaire de Roland Nurier, sorti en novembre dernier mais tourné avant le 7 octobre. Un bel hommage à la résistance par la culture qui prend un relief particulier alors que Gaza, au moment où nous écrivons, subit des bombardements meurtriers sans précédent. Un film engagé, et un document majeur pour l’histoire de la Palestine sous occupation.
Le Chélif : Votre précédent film documentaire, Le Char et l’olivier, sorti en 2019 était sous-titré, « une autre histoire de la Palestine » et apportait un éclairage historique. Avec Yallah Gaza, vous poursuivez dans la même veine en recentrant le propos sur l’enclave palestinienne. Pourquoi avoir voulu faire un film sur Gaza ?
Roland Nurier : La bande de Gaza par sa situation géographique, par son histoire est un territoire de passage, de mélanges de cultures. En outre le fait que la population soit complétement enfermée, Gaza continuait de faire société (je parle au passé), donc tout cela était particulièrement intéressant à étudier.
Votre film a été réalisé dans des circonstances particulières puisque vous n’avez pas eu l’autorisation de vous rendre à Gaza. Vous avez donc piloté le tournage à distance avec la collaboration de votre chef-opérateur Iyad Allasttar. Comment avez-vous procédé ?
J’ai réalisé les tournages en Europe et pour la partie GAZA effectivement n’ayant pas pu rentrer j’ai transmis à mon ami Iyad le contenu des ITWS, les séquences que j’avais imaginées et écrites, les noms des personnes potentielles à interviewer afin de concrétiser les rendez-vous. Tout cela avec la connaissance du terrain de Iyad, s’est fait finalement assez facilement. Iyad me faisait des repérages, des essais puis m’envoyait les rushs par internet. Lui et son équipe ont fait un travail fabuleux.
On vous a reproché dans certains journaux un parti pris dans ce film et une démarche militante. Esthétique et engagement sont-ils compatibles selon vous ?
Ken Loach lors de l’ITW à Londres m’a dit : « Roland, l’objectivité en matière de cinéma, ça n’existe pas, encore plus en documentaire. Tu as des convictions, assume-les jusqu’au bout. ». J’ai donc essayé de soigner l’esthétique du film afin qu’il soit agréable à regarder, et sans chercher à trouver un équilibre entre Israël, (l’occupant) et Gaza (l’occupé), car cet équilibre n’existe pas sur le terrain. Donc en assumant les propos et la trame narrative qui je le souligne ne s’appuie que sur les faits, rien que les faits. Ma boussole comme pour le précédent film est le droit international et jusqu’à preuve du contraire, ce droit international est violé par Israël depuis plus de 70 ans.
Votre film a été tourné avant le 7 octobre dernier ce qui lui donne une valeur documentaire historique indéniable. Voir ce film aujourd’hui provoque une grande émotion parce que cette vitalité et cette faculté de résistance que vous célébrez est à l’heure actuelle mise à mal. Gaza est quasiment détruite et on ne peut pas s’empêcher de penser en voyant les habitants gazaouis à qui vous donnez la parole et les jeunes danseurs de dabké, que probablement nombre d’entre eux ont été tués dans les bombardements. Avez-vous des nouvelles de ces gens ?
Pour les 4/5ème des intervenants du film à Gaza, je n’ai pas de nouvelles. Je crains le pire. D’un autre côté je n’essaye pas de les harceler pour avoir de leurs nouvelles, tant leurs préoccupations sont tout autres : tenter de se mettre en sécurité des bombes de l’Etat terroriste israélien et trouver à manger et boire de l’eau potable.
Un des aspects du film met l’accent sur une caractéristique du peuple palestinien, assez peu connue, celle des rapports entre chrétiens et musulmans. Comment expliquez-vous cette capacité de vivre ensemble des communautés religieuses ?
La religion est quelque chose, il me semble, de personnel, c’est un engagement individuel ou une démarche philosophique. Pour les Palestiniens, c’est tellement évident, eux qui vivent depuis des centaines et des centaines d’années ensemble qu’ils soient musulmans ou chrétiens et même juifs, avant la création d’Israël. Ils sont d’abord palestiniens. Vous faites allusion à la séquence du chrétien qui accompagne son ami aveugle musulman à la mosquée. Par cette séquence, je voulais faire passer le message fort que, contrairement à ce que nous dit la propagande sioniste, Palestine-Israël n’est pas affaire de « guerre de religion », de « bien contre le mal » mais de co-lo-ni-sa-tion de la terre !
Votre film est actuellement en tournée en France alors que les bombardements se poursuivent et que le bilan est catastrophique, au point que la CIJ a établi le risque génocidaire et ordonné un certain nombre de mesures pour l’empêcher. Comme le film est-il accueilli et perçu dans ce contexte ?
Il y a une immense émotion car le public qui vient voir mon film est majoritairement en empathie avec ce qui se passe en Palestine. Et s’il ne l’est pas en rentrant dans la salle, il l’est en sortant. Et à la teneur des questions lors des débats, je continue de penser que la pédagogie que j’ai développée à l’écriture de « YALLAH GAZA » fait mouche et ça c’est très positif.
Nous évoquions tout à l’heure les jeunes danseurs de dabkés évoluant avec une belle énergie dans un décor particulier, au milieu des décombres de la dernière guerre à Gaza. Ce sont des images très fortes qui ponctuent le documentaire et illustrent cette puissance de vie malgré les bombes. Comment ont-elles été tournées ?
J’avais écrit cette séquence mais nans connaitre le terrain comme Iyad. Donc mon ami a fait des repérages, a eu les autorisations et a mis en place un dispositif filmique extraordinaire pour cette séquence qui sert de fil conducteur au film et de symbole fort : « On résiste aussi par notre culture et vous ne nous ferez pas disparaitre. »
Le film donne la parole à un certain nombre de protagonistes et notamment à des citoyens israéliens opposés à la politique du gouvernement de Netanyahou. Ces voix juives antisionistes sont assez surprenantes car minoritaires. Quelle réalité recouvrent-elles ?
Je veux absolument dans mes films rétablir un équilibre et donner la parole à des juifs anticolonialistes. Cela me permet d’affirmer preuve à l’appui « que tous les juifs du monde ne soutiennent pas Israël, loin s’en faut ! ». La propagande de l’Etat sioniste voudrait nous démontrer le contraire mais les faits sont là. On le voit avec les manifestations monstres aux USA des juifs qui ne se reconnaissant pas dans cet état qui s’affirme démocratique mais dont la politique impérialiste et colonialiste ne trompe plus personne de sensé.
Est-il prévu que votre film soit présenté à l’étranger ? Aimeriez-vous le présenter en Algérie ?
J’adorerais le présenter au public algérien qui sait ce que veut dire « être colonisé ». Je l’ai accompagné en Belgique la semaine dernière. Je l’accompagnerai en Suisse au mois de mars. Il y a eu une première à Chicago car il est sélectionné dans le plus grand festival de films palestiniens à Chicago en avril. Il a fait quelques autres festivals et a obtenu le prix du public au Karama Festival de Amman en Jordanie. Les salles sont pleines et le film est extrêmement bien perçu. Mais pourvu que l’humanité se réveille pour arrêter cette tuerie de masse que l’on est en train de vivre en direct. C’est mon vœu le plus cher. Inch’allah.
Propos recueillis par Keltoum Staali